L'influence du "gaming" à la littérature

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27/04/2024

Cadwell Turnbull, Ni Dieux Ni Monstres, éditions L'Atalante

Cadwell Turnbull, Ni Dieux Ni Monstres, éditions L'Atalante 

Romancier et novelliste, Cadwell Turnbull s'est déjà fait remarquer en raflant quelques prix, comme le Newkom Institue Literary Arts Award pour son premier roman, La leçon ou le Locus pour Ni Dieux Ni Monstres. Voilà qui donne déjà le ton quant à la richesse de cette plume et à la qualité de ses textes.

Premier tome d'une série intitulée Convergence, Ni Dieux Ni Monstres vient tout juste de paraître aux éditions L'Atalante

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions L'Atalante, je remercie Emma pour l'envoi de ce service de presse.

Son frère vient d'être abattu par la police de Boston, Laina est effondrée. De plus, on vient de lui faire parvenir la vidéo du meurtre et son visionnage la laisse complètement abasourdie. Son frère était un lycanthrope et le policier qui a tiré, a en réalité tuer un monstre. Les créatures surnaturelles existent et elles souhaitent que le monde entier le sache sauf que certains ne semblent pas y tenir. Dans ce monde où deux camps s'opposent, lequel aura le dessus sur l'autre ? 

Ni Dieux Ni Monstres est un roman fantastique teinté d'horrifique. Il prend cadre dans une Américaine contemporaine où le surnaturel s'est révélé brutalement à la population provocant réactions violentes, déni ou censure. Ainsi, on rencontre entre ces lignes toutes sortes de métamorphes, des mages et des oracles. Ils forment une communauté hétéroclite et divisée. Certains choisissent de se rapprocher pendant que d'autres préfèrent rester des électrons libres. 

L'univers tient la route. L'auteur a pris soin d'analyser les comportements sociaux tout au long des mois qui vont suivre ce dévoilement qu'il qualifie lui-même de fracture. Ainsi, la situation va se tendre avec un retour de la chasse aux sorcières ponctuée de massacres de personnes accusées d'être des monstres. Il y a aussi une agitation de la communauté scientifique qui cherche à expliquer le phénomène, ainsi que de la sphère complotiste qui émet, sans surprise, les plus folles théories. Le monde bouillonne et approche de son point de rupture. Plusieurs camps s'y affrontent avec d'un côté, les pro-monstres qui vont jusqu'à organiser des actions de soutien comme une manifestation et de l'autre côté, les anti-monstres qui cherchent à les faire taire à tous prix. L'ambiance est féroce. La tension monte crescendo jusqu'à l'explosion d'une violence létale. 

Derrière Ni Dieux Ni Monstres, Cadwell Turnbull cherche d'abord à interroger la figure du monstre qui se juge non pas à la forme mais plutôt aux actes. Ainsi, la noirceur se cache derrière toutes les apparences et la cruauté n'est pas le seul apanage des personnes possédant des caractéristiques non humaines. Dans le roman de Cadwell Turnbull, nul n'est ni blanc ni noir car chacun possède sa part d'ombre poussant à commettre l'innommable. Il questionne l'humain dans ce qu'il est prêt à faire pour se faire entendre. En choisissant de mettre à l'honneur cette communauté de créatures surnaturelles, la plume de l'auteur se veut clairement engagée vis-à-vis des minorités en quête de reconnaissance et d'acceptation. 

En outre, il laisse une grande place à la diversité dans son roman car on retrouve aussi bien des personnes racisées, non genrées ou des marginaux. C'est réellement très appréciable. Le texte est puissant. Il explore toute la complexité de la société qui  cherche à étouffer ce qui fait pourtant sa force car la richesse des civilisations repose beaucoup sur ses différences. Il pointe donc du doigt ce formatage qui a enfermé notre monde dans un carcan normatif. 

Dans Ni Dieux Ni Monstres, Cadwell Turnbull met la tolérance à l'épreuve de l'individualisme et des préjugés. On se confronte donc à la froideur et à la violence de ce monde impitoyable. 

L'auteur en profite d'ailleurs pour mettre en exergue certains maux qui rongent l'Amérique comme les violences policières ôtant bien des vies. Un sujet de société majeur qui dépasse largement les frontières outre-Atalantique car la triste réalité est que la violence ne peut appeler que la violence. 

Enfin, l'auteur s'intéresse aussi aux modèles économiques en opposant le capitalisme à une forme d'économie coopérative davantage recentrée sur les besoins de chacun et où tout le monde s'implique. 

Ce roman se lit à l'aune des préoccupations qui nous animent actuellement afin de penser un futur davantage en accord avec chacun d'entre nous. 

Ce livre est réellement passionnant du point de vue de toutes les thématiques abordées, surtout que la plume est très belle. 

Néanmoins, sa narration décousue nous faisant passer d'un personnage à l'autre m'a empêchée de m'attacher pleinement aux très nombreux protagonistes. Ce que je regrette un peu. Mais, il faut quand même garder en mémoire que Ni Dieux Ni Monstres est le premier roman d'une série qui, comme tout texte s'inscrivant dans la durée, prend son temps pour poser le décor et les enjeux. Lire la suite devrait donc clarifier davantage d'éléments, notamment ce qui concerne certains personnages.

En lisant Ni Dieux Ni Monstres, j'ai découvert une plume incisive et enflammée qui porte un univers tourmenté que j'ai hâte de retrouver. Alors suite au prochain épisode à l'automne. 

Fantasy à la Carte

Informations

Cadwell Turnbull
Ni Dieux Ni Monstres
9791036001819
349 pages
Editions L'Atalante

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23/04/2024

Marge Nantel, Code Ardant, éditions Mnémos

Marge Nantel, Code Ardant, éditions Mnémos 

Après deux titres de fantasy urbaine, Dans l'ombre des miroirs et La cité sous les cimes, publiés aux éditions Mille Cent Quinze, Marge Nantel change, cette fois-ci, de registre en nous proposant avec Code Ardant, un postapocalyptique râpeux

Découverte en 2023, je dois vous avouer ma curiosité de voir cette plume s'épanouir dans un autre genre.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Mnémos, je remercie Estelle Hamelin pour l'envoi de ce service de presse.

Résumé :

Dans Code Ardant, on suit une bande de convoyeurs dirigée par l'inflexible Cécile Massah. En voulant comprendre pourquoi la forteresse d'Albi est partie en fumée ne laissant qu'un ardant comme seul survivant, juste après y avoir livré un colis, Sioux, Cécile & co se retrouvent très vite pris en chasse par une bande de mercenaires, avides de les liquider. Pour leur échapper, ils n'ont pas d'autre choix que de foncer droit devant afin de découvrir ce que cache ce nom de code de "prieur" qui agite tant de convoitises. 

Mon avis :

Code Ardant est un postapocalyptique qui prend cadre dans un futur proche où le monde a été dépouillé de sa technologie et coupé d'Internet. Soumise aux aléas climatiques, la vie s'est dégradée, menacée par une insécurité perpétuelle. Dans ce nouveau Far West, certaines villes sont devenues des forteresses couvant jalousement la puissance technologique dont elles disposent encore et rivalisant les unes avec les autres. Chaque conflit se règle dans un bain de sang car les armes semblent le seul langage que maîtrise cette humanité survivante. 

Pour pallier à la disparition de l'intelligence artificielle et des robots, une nouvelle génération d'humains a été conditionnée pour se comporter comme des androïdes. Ils sont appelés des ardants et répondent à un langage codé faisant d'eux de véritables armes. Surentraînés et drogués, ils sont contrôlés par les maîtres des donjons à la tête de chaque forteresse qui en usent autant comme des prostitués, des espions ou des hommes de main. 

Dans cet univers incandescent, la moindre étincelle risque de tout faire péter. Or, celle-ci pourrait bien prendre la forme d'une machination entraînant les protagonistes dans un voyage sans retour. En effet, ces derniers vont se retrouver, bien malgré eux, au cœur d'une intrigue politique dont les enjeux vont vite les dépasser. Dans cette quête d'une puissance de feu du passé, rien ne saurait être plus désastreux que de la voir tomber entre de mauvaises mains. Ainsi, le défi de Cécile et de ses hommes sera d'empêcher que cela arrive. Pour eux, cela signifie de s'engager dans un road trip les menant au cœur de l'enfer avec le risque de ne pas revenir. 

Le rythme est enlevé et le ton est âpre. Marge Nantel nous entraîne dans une aventure à cent à l'heure qui nous laisse pas le temps de reprendre notre souffle. Elle nous colle au train d'une communauté de personnages profondément cabossés par la vie. Chiens fous ou gueules cassées, ils témoignent d'un passé douloureux qui en font des êtres à vif. Porte-flingues ou leader charismatique, ils ne laissent clairement pas indifférents et tissent rapidement une proximité émotionnelle avec les lecteurs. Que ce soit Seeyt dit Sioux, le médecin de la bande et tireur d'élite qui a le cœur sur la main et s'attache aux causes perdues ou l'impérieuse boss Cécile, fortement badass, qui mène son petit monde de testostérone à la baguette, en passant par le jeune Endah, affecté par un conditionnement absolu, tous nous touchent chacun à leur manière. 

Derrière ce roman coup de poing qui enchaîne les actions à un rythme affolant, Marge Nantel a pris le temps de travailler la psychologie de ses personnages pour leur donner de la profondeur. Sous leur cuirasse de mercenaires impitoyables et de tueurs froids, se dissimule un cœur qui ne semble battre que pour leur petite compagnie. Ils forment une vraie famille et sont très attachés les uns aux autres au point d'être prêts à se sacrifier si la situation l'exige. Leurs liens sont touchants et nous bouleversent complètement au cœur de ce monde devenu si cruel, surtout à travers l'existence de ces ardants. Ces derniers ajoutent un soupçon d'effroi sur ce futur rugueux qui a transformé un groupe d'humains en machines par un dressage précoce usant de drogues et de violence pour arriver à ses fins. 

Finalement, quelque soit l'avenir qui lui est réservé, l'homme continue de s'adapter, notamment en exerçant sur les plus faibles une domination totale.

L'autrice nous dévoile donc un monde brutal et belliqueux où l'humain use des mêmes travers, se laissant dévorer par sa propre monstruosité, à l'exception de quelques bonnes âmes qui par leurs actions cherchent à apaiser la souffrance.

Enfin, Marge Nantel table sur une narration intéressante qui enchaîne les chapitres courts et l'alternance des points de vue de Sioux et d'Endah. Entre l'argot de l'un et le langage informatique de l'autre, cela donne au texte un style particulier tout en conférant une personnalité très marquée à ces deux narrateurs. 

Pour conclure :

Code Ardant est un récit particulièrement immersif que l'on n'a clairement pas envie de lâcher jusqu'à la fin. En librairie depuis le 10 avril, foncez le lire et dites-moi vite pour quel protagoniste vous craquez ? 

Fantasy à la Carte

A lire sur le blog, mon avis sur La cité sous les cimes.

Informations

Marge Nantel
Code Ardant
9782382671290
479 pages
Editions Mnémos

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17/04/2024

Frédéric Dupuy, Arborescentes, T.1, éditions Bragelonne

Frédéric Dupuy, Arborescentes, t.1, éditions Bragelonne 

Quand il n'est pas occupé à faire tourner son agence de voyages littéraires (alias les éditions mille cent quinze), Frédéric Dupuy aime prendre la plume pour conter ses propres histoires. Arborescentes est sa première saga qui comptera quatre tomes publiés chez Bragelonne.

Reçu en service de presse, je remercie Frédéric Dupuy pour l'envoi de ce premier volet.

Résumé :

A 11 ans, Méline souffre du syndrome de la Belle au bois dormant, une maladie rare qui risque de la condamner au sommeil éternel comme cela a été le cas pour sa mère et sa grand-mère avant elle. C'est pour cela qu'elle a décidé de ne plus jamais dormir. Trimballée de foyer en foyer, on la retrouve à l'orphelinat des sœurs Aniel. C'est d'ailleurs là-bas qu'elle perd connaissance et est transportée à l'hôpital et où elle fait la rencontre d'une étrange infirmière qui va la conduire dans un lieu insolite pour, paraît-il, guérir. Peu convaincue, elle se laisse peu à peu émerveiller par ce monde-serre qui n'a pas fini de lui révéler tous ses secrets. Mais, elle ignore que le temps est compté car quelque part une menace est tapie, incarnée par l'avidité d'hommes, à l'image d'Arès Varkoda qui, au mépris de la vie d'autrui, recherche un remède pour lui-même car lui aussi souffre d'un mal incurable. Chacun engagé dans son contre-la-montre, peuvent-ils seulement espérer la victoire ? 

Mon avis :

Arborescentes est un roman contemporain piqué d'un onirisme subtil. Celui-ci se révèle à travers le regard d'une petite fille qui se retrouve propulsée dans un endroit secret dont l'existence n'est connue que par une poignée d'élus. Appelé la serre, ce lieu nous apparaît comme un petit paradis où s'épanouit une végétation aussi luxuriante qu'improbable au milieu de cascades d'eau et d'animécas qui s'y ébattent joyeusement, autrement dit de drôles d'animaux mécaniques animés par magie. C'est ici que certains maux réputés incurables trouvent un remède après un court séjour d'observation de patients triés sur le volet et de recherche du traitement adéquat. L'environnement est atypique et tire son pouvoir d'une source dont les origines et le fonctionnement demeurent très énigmatiques.

L'univers s'annonce donc très farfelu car drôle d'endroit pour être soigné, vous en conviendrez ! En outre, son existence ne va pas manquer de soulever la convoitise, réveillant la plus vile cupidité ou le plus fol espoir. Ainsi, au fil des pages, la serre devient un véritable enjeu de pouvoir, un monde à conserver pour les uns ou à s'emparer pour les autres. Son existence va enclencher une série d'actions donnant, par la même occasion, au texte tout son rythme. En effet, dans son sillage gravitent aussi bien des scientifiques curieux qu'un groupe pharmaceutique obnubilé par les brevets et le profit. On imagine donc sans mal que tous les coups seront permis pour arriver à ses fins.

Frédéric Dupuy nous livre donc un univers qui est à la fois chatoyant de par cette nature foisonnante et rugueux de par cette société des hommes implacable. 

Or, en mettant l'accent sur les agissements destructeurs d'un groupe pharmaceutique, l'auteur insert son récit dans une problématique de société, à savoir le sacrifice de la vie au bénéfice des capitaux. 

Ainsi, dans son roman, il nous confronte à la violence sociale et à celle du capitalisme. En effet, à travers Méline, on goûte à la froideur des structures sociales d'accueil et à la solitude et l'isolement de cette enfant. On est totalement bouleversé par son destin fort malmené car elle est à la fois confrontée à la maladie et à l'absence de ses parents entre une mère hospitalisée et un père inconnu. Par son entremise, Frédéric Dupuy aborde des thématiques fortes telles les traumatismes psychologiques, fruits du rejet social, du harcèlement ou encore de l'illettrisme.

Arborescentes est donc un récit riche mais aussi très engagé qui nous place face au mépris d'une caste aisée vis-à-vis de la nature. D'ailleurs, les moyens utilisés pour la détruire sont colossaux et les conséquences volontairement ignorées. Néanmoins, celles-ci reviennent tel un boomerang dans la vie de l'un des protagonistes. En effet, en rasant toutes les ressources naturelles pour répondre à une course aux brevets, le patron des laboratoires Varkoda est bien puni puisque le traitement à sa propre maladie n'est pas découvert et les plantes prélevées sont gâchées le renvoyant à la case départ. Ainsi, cette saga d'Arborescentes se lit comme un hommage à la nature car l'auteur y pointe ses merveilles, la beauté de sa régénérescence et surtout l'importance de vivre en symbiose avec elle car elle demeure la clé de la survie. 

Son cycle est également un cri d'alerte quant à la sauvegarde des forêts, à l'image de l'Amazonie, débitée inexorablement à grands coups de tronçonneuse. 

En outre, en nous attachant notamment aux pas d'une petite orpheline et d'un homme d'affaire peu scrupuleux, Frédéric Dupuy table clairement sur deux salles deux ambiances. Un choix qui, je dois dire, m'a un peu perturbée car d'un côté, on est en but aux difficultés d'intégration d'une gamine qui connaît l'indifférence et la méchanceté, et de l'autre côté, on fait face aux manigances d'un homme qui use des pires moyens pour arriver à ses fins : enlèvement, torture, assassinat et destruction. L'alternance de ces points de vue est déstabilisant car l'un des personnages est aussi détestable que l'autre est attachant. Pour autant, faut-il réellement se fier aux apparences car nous ne sommes pas à l'abri de retournements de situation surtout que la série va s'étaler sur quatre tomes, alors qui peut savoir !

Pour conclure :

Avec ce tome 1 d'Arborescentes, on est clairement sur un roman d'exposition qui prend son temps pour présenter l'univers, les enjeux et les protagonistes. Frédéric Dupuy mêle habilement émotions et actions pour happer le lecteur et l'emporter ainsi dans son univers ciselé et assez questionnant. Alors, attachez bien vos ceintures car le voyage ne fait que commencer !

Fantasy à la Carte

A lire sur la blogosphère, l'avis de  Le Nocher des livres.

Informations

Frédéric Dupuy
Arborescentes
T.1
9791028114480
380 pages
Editions Bragelonne

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12/04/2024

Clément Bouhélier, Le Pacte de Sang, éditions Critic

Clément Bouhélier, Le Pacte de Sang, éditions Critic

De Clément Bouhélier, je n'avais lu jusque là que sa série Olangar qui fut pour moi une véritable révélation. Pour autant, il est également l'auteur d'un post-apocalyptique avec Chaos (2016) et d'un thriller fantastique avec Passé Déterré (2017). Or, justement il semble avoir voulu renouer avec ces premiers amours d'écrivain en nous proposant avec son nouveau livre, Le Pacte de Sang, un autre thriller fantastique mêlé à de l'historique. 

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Critic, je remercie Eric Marcelin pour l'envoi de ce service de presse. 

Résumé :

1364, bataille d'Auray. Bertrand Du Guesclin et ses troupes sont en déroute. Deux de ses chevaliers, Olivier de Clissan et Martin de Rosmedec se sont réfugiés dans une vieille forteresse abandonnée en pensant y être à l'abri. Seulement quelque chose semble être à l'affût, prêt à sceller leurs destins. 

Juillet 2021: Les salariés d'une entreprise lyonnaise de référencement termine leur semaine de séminaire. Pour leur dernière soirée, il est prévu qu'ils la passent dans un château pour participer à un escape game. Un programme qui n'enchante pas beaucoup nos Lyonnais même si tous s'y plient sans faire d'histoire. Seulement, ils ignorent la nuit de cauchemar qu'ils vont vivre entre ces murs lugubres...

Mon avis :

Le Pacte de Sang est un roman contemporain où le thriller et l'Histoire s'invitent. En effet, Clément Bouhélier joue sur deux temporalités avec d'un côté, un cadre historique riche, celui de la bataille d'Auray qui mit fin à la guerre de succession de Bretagne avec la victoire de Jean III de Montfort et de l'autre côté, une scène moderne classique, celle d'une partie d'escape game entre collègues. Cette alternance permet à l'auteur de rendre la lecture très dynamique d'autant qu'il s'appuie sur des chapitres courts tout en donnant aux lecteurs les clés de compréhension du présent grâce au passé. 

Derrière ces deux époques, il y a tout de même un point commun, c'est le lieu. En effet, Clément Bouhélier a choisi de réunir ses personnages au château d'Auray, faisant comme si celui-ci existait toujours autrement que sous la forme de ruines. L'endroit est isolé et inquiétant. Les murs transpirent une certaine malfaisance ressentie par chacun des protagonistes quelque soit son siècle. Derrière ce délabrement de façade, un être hante bien les lieux. Sa présence donne le caractère horrifique au texte. Insaisissable, monstrueux et avide, ce croque-mitaine fout vraiment les fois. 

Et pour cause, sous la plume de Clément Bouhélier il personnifie la figure du vampire dans toute sa sauvagerie, sa cruauté et son abomination. Sa vue se dérobe souvent à nos yeux comme à ceux des autres personnages. Celui-ci préfère se dissimuler dans les ombres, fuyant la lumière pour se protéger tout en accroissant la peur. Sa monstruosité se devine plus qu'elle se perçoit. Ainsi, l'auteur joue sur tous nos sens pour laisser s'exprimer notre propre interprétation quant à la représentation de la figure vampirique, allègrement nourrie par l'imaginaire collectif. 

L'atmosphère y est vite oppressante surtout en présence de ce tueur qui ne laissera sans doute que peu de chances à ses victimes. Le ton est donné assez rapidement et la tension monte crescendo. Le récit sera sanglant, qu'on se le dise, thriller oblige ! 

Mais Le Pacte de Sang, c'est aussi l'occasion pour Clément Bouhélier de revisiter le mythe faustien à travers le pacte avec le diable contracté ici pour une vie éternelle puisque l'immortalité est la seule chose qu'un vampire ait à offrir en sus de la mort. Or, enchaîner sa liberté a un être vile pour continuer à vivre et ne pas hésiter à multiplier les sacrifices pour entretenir le pacte pose la question de la monstruosité qui, finalement, n'est pas que l'apanage d'abjectes créatures. 

Mais Clément Bouhélier n'est pas seulement un auteur des littératures de l'imaginaire très talentueux car sa plume se veut aussi toujours très engagée. Il aime ancrer ses récits dans des questions de société et Le Pacte de Sang ne fait pas exception à la règle. Ainsi, derrière cette entreprise de référencement web se cache une stratégie économique destructrice. En effet, lorsqu'une société souhaite fusionner avec une autre, cela se déroule rarement dans l'intérêt des salariés. Ainsi, l'auteur met en lumière le désastre de l'économie de marché, obnubilée par la recherche de profits à tous prix sans évaluer les risques psychosociaux, écrasant plutôt sans état d'âme quiconque se trouvant malencontreusement en travers du chemin. Voilà le mal qui ronge notre siècle et dont moi-même je peux témoigner vivant cette situation de l'intérieur. 

Pour conclure :

Le Pacte de Sang est un récit court, rythmé et sans concession dans toutes les formes de violence qu'elles soient physiques ou sociales car le texte est là pour hanter longtemps. Alors, tenté ? Il sort le 19 avril, je vous dis ça, je vous dis rien.

Fantasy à la Carte

A lire aussi sur la blogosphère l'avis d'Au Pays des Cave Trolls

Informations

A lire sur le blog, mes avis sur Bans et Barricades tome 1 et 2Une Cité en FlammesLe Combat des Ombres et Histoires au Crépuscule

Clément Bouhélier
Le Pacte de Sang
9782375793015
256 pages
Editions Critic

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09/04/2024

Aurélie Wellenstein, L'Epée, la Famine et la Peste, T.2, éditions Pocket Imaginaire

Aurélie Wellenstein, L'Épée, la Famine et la Peste
t.2, éditions Pocket Imaginaire 

Les éditions Pocket Imaginaire ont eu la bonne idée de publier simultanément les deux tomes de L'Epée, la Famine et la Peste permettant aux lecteurices d'enchaîner l'histoire sans pause. 

Après un coup de cœur pour le premier tome, notamment pour son trio de personnages principaux profondément attachants, je suis donc très contente d'avoir pu enchaîner directement avec la suite.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Pocket Imaginaire, je remercie Emmanuelle Vonthron pour l'envoi de ce service de presse. 

Résumé :

Après leur victoire sur un escadron de l'inquisition, Sulyvahn, Cillian et Erin ont quitté l'ancienne capitale, Irichill pour marcher sur Wavestone et détruire l'inquisition afin de libérer la population de son terrible joug. Mais, Conrad et Lile sont toujours sur leur trace et ils comptent bien les empêcher d'accomplir leur quête. L'affrontement promet, d'ores et déjà, d'être apocalyptique. Alors quel camp va l'emporter ? 

Mon avis :

Avec ce volume 2 de L'Épée, la Famine et la Peste, Aurélie Wellenstein joue sur la déstabilisation des lecteurices en changeant de points de vue. En effet, pendant une grande partie du roman, on redécouvre l'histoire à travers le regard de Conrad qui nous partage sa version des faits et ses souvenirs. Ce tome se lit donc en miroir du premier pour à la fois relancer l'histoire et dynamiser la lecture. Mais c'est un procédé qui est aussi utile pour interroger la figure du monstre. Ainsi, dans cette deuxième partie, on marche dans les pas de celui qui est considéré comme l'incarnation du diable par Sulyvahn, Erin et Cillian. Alors qu'eux-mêmes sont catalogués de fléaux à abattre par Conrad. En étant en but aux convictions et aux contradictions de cet inquisiteur, il viendrait presque nous mettre le doute quant à la justesse des motivations des trois autres. C'est à la fois perturbant et intéressant car cela permet à l'autrice de montrer que chacun a sa part de noirceur et peut endosser le rôle de bourreau pour imposer les idées que l'on pense justes. Aussi, la violence n'appelle que la violence et la croyance n'excuse en rien les exactions commises. 

Le texte est puissant. Il est comme une déflagration émotionnelle qui empruntent les montagnes russes pour nous en faire voir de toutes les couleurs et clairement retourner nos cerveaux et nos cœurs. 

Les personnages sont comme autant de pions sur l'échiquier politique d'une éminence grise qui les manipule à souhait en s'appuyant sur l'adage du diviser pour mieux régner et ainsi servir ses desseins de soif de pouvoir. 

Dans ce tome 2, on va donc découvrir des protagonistes sous un jour nouveau bien qu'on les ait détesté dès les premières lignes du diptyque car l'autrice a cette capacité déstabilisante de renverser une situation que l'on pensait pourtant bien connaître. Elle arrive même à nous en faire apprécier certains en dépassant nos idées reçues car nous aussi, avons été trompés par les apparences au même titre que certains personnages. 

Le récit est à la fois dur et beau car il parle autant du bon que du mauvais de l'humanité. Au-delà du pire dont elle est capable s'exprimant par le prisme de cette monstruosité désinhibée, elle peut également faire preuve de bonté et être portée par de nobles sentiments tels l'amitié ou l'amour. Ainsi, en sus des clivages qui opposent certains, il y est aussi beaucoup question de liens d'amitié qui s'effilochent sans se rompre complètement. L'autrice questionne aussi la notion de famille en la mettant à l'épreuve du deuil et de la culpabilité. C'est clairement un récit renversant dans lequel on savoure la patte si particulière d'Aurélie Wellenstein. Son style est inimitable, capable d'imagines des mondes grandioses et des destins terriblement tourmentés.

Entre beauté et horreur, elle continue de nous emmener dans des explorations psychologiques forçant à l'introspection et à poser un regard critique sur la société et l'âme humaine. Par l'entremise de son imaginaire, voilà qu'elle nous parle aussi bien de violences conjugales que de harcèlement afin de mettre en lumière ces fléaux qui rongent notre quotidien.

En conclusion :

Impossible de passer à côté de cette signature si atypique quand on aime se plonger dans les littératures de l'Imaginaire. Chacun de ses textes est un véritable coup de poing qui crie une vérité toujours très saisissante.

Fantasy à la Carte

A lire aussi sur le blog, mes avis sur le T.1 de L'Epée, la Famine et la Peste, Les Loups Chantants, Le Désert des Couleurs, Mers Mortes et Le Dieu Oiseau

Informations

Aurélie Wellenstein
L'Epée, la Famine et la Peste
T.2
9782266340137
464 pages
Editions Pocket Imaginaire

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05/04/2024

Aurélie Wellenstein, L'Epéee, la Famine et la Peste, T.1, éditions Pocket Imaginaire

Aurélie Wellenstein, L'Épée, la Famine et la Peste, éditions Pocket Imaginaire 

Depuis quelques années, Aurélie Wellenstein est une signature qui s'est imposée aux littératures de l'Imaginaire. 

Aujourd'hui, sa bibliographie compte une quinzaine de romans, auxquels s'ajoutent quelques bandes dessinées puisque l'autrice s'essaye depuis peu à ce format graphique. 

Sa dernière actualité est la réédition en poche de sa duologie, L'Epée, la Famine et la Peste.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Pocket Imaginaire, je remercie Emmanuelle Vonthron pour l'envoi de ce service de presse. 

Résumé :

Le royaume de Comghall connait des temps troublés depuis que la population est condamnée par les terribles tarentas, faisant disparaître des villages entiers sous des toiles d'araignées. Or, pour lutter contre ce fléau et le culte qui lui est dédié, l'inquisition a été dépêchée et exerce sa mission avec beaucoup de zèle. Elle va d'ailleurs prendre en chasse un ancien soldat qui a pris bien malgré lui sous son aile deux jeunes gens : Cillian, en proie à une malédiction de loup et Erin, accusée à tort de sorcellerie. Alors que le piège semble se refermer sur eux, arriveront-ils à s'échapper ? 

Mon avis :

L'Epée, la Famine et la Peste est une fantasy crépusculaire qui nous entraîne au cœur d'un royaume mourant, marqué par la famine et la peste grise. Fruit d'une malédiction qu'il doit à la morsure d'une tarentule venant du royaume voisin et condamnant la princesse mordue à devenir une tarenta, autrement dit une femme araignée. 

Pour nourrir son univers, Aurélie Wellenstein emprunte donc à cette croyance païenne de la Tarenta comme araignée mythique qui, par sa morsure symbolique et le poison inoculé, génère des troubles du corps et de l'âme. Entre ces lignes, les conséquences de la morsure de l'araignée dépendent de l'espèce en présence. Ainsi, la veuve noire tisse les pensées de leurs victimes les plongeant ainsi dans une profonde mélancolie, la lycose de Tarente change les femmes en sorcières et les hommes en illuminés, et la fileuse suscite des rêves prémonitoires. Certaines femmes mordues prennent donc des caractéristiques physiques ainsi que des capacités propres aux araignées. En outre, Comghall est littéralement envahi par ces arachnides qui tissent leurs toiles partout au point d'étouffer toute étincelle de vie. Mais le tarentisme n'est pas le seul fléau qui sévit dans ce monde car il faut aussi compter avec des cas de lycanthropie.

Pour tenter d'endiguer cette tragédie entre en scène l'inquisition qui va traquer à l'extrême toute suspicion de tarentisme ou de lycanthropie faisant régner la terreur au sein du royaume car les persécutions vont bon train. Sa présence ajoute de l'infâmie à l'horreur ambiante et donne de suite le ton funeste au texte. 

Ici, les manifestations surnaturelles sont autant considérées comme des malédictions que comme des miracles, selon l'interprétation que chacun leur donne. On en croise beaucoup au fil des pages de ce livre, tantôt pour émerveiller tantôt pour horrifier. 

En outre, l'autrice joue également sur le détournement de conte. En effet, derrière ce palais maudit et entoilé que l'on est amené à visiter à un moment de l'histoire, il est très facile d'y voir une personnification du château assoupi de La Belle au Bois Dormant, notamment à travers ce temps suspendu qui semble avoir cours en ces lieux. Seulement, les résidents ne sont pas victimes d'un sommeil éternel car dans ce cas-ci, ils sont bel et bien morts. Emmaillotés dans les toiles, leurs corps ne tombent simplement pas en poussière. 

Comme à son accoutumée, l'univers qui sert d'écrin à son intrigue est très immersif, troublant et captivant à la fois. 

Le récit est également très riche, porteur de questions de société. Aurélie Wellenstein nous y parle de la persécution des minorités et des femmes. Sa plume est incisive pour traiter cette thématique du bouc émissaire comme catalyseur de la violence sociale. Le livre est dur et rugueux nous plongeant dans un tourbillon d'émotions fortes jusqu'à tutoyer l'insoutenable. 

Et pourtant de cette noirceur quasiment étouffante, elle réussit à dégager une lumière d'espoir à travers son trio de personnages qui se trouvent et tissent même un lien semblant indéfectible. Les destins contés sont juste bouleversants. A travers ces trois personnalités, elle joue beaucoup sur leur angoisse et leur espoir pour donner du relief à son récit. 

L'autrice table donc sur trois protagonistes très différents les uns des autres. Il y a d'abord Sulyvahn qui incarne la figure du soldat déchu en quête de rédemption. Hanté par ses exactions passées et traumatisé par la disparition des siens, il cherche un signe auquel se raccrocher pour vivre. Par ses choix de vie, celle-ci a tournée à la tragédie. On va donc le suivre dans ses regrets et ses espoirs de se racheter. Cillian, lui, est un enfant maltraité. Orphelin, la vie ne lui fait aucun cadeau. Il grandit dans le plus grand dénuement, subit la moquerie et les brimades des enfants de son âge. Son bégaiement est source d'insultes. Très affecté par sa situation, il va intérioriser sa souffrance et s'empêcher de s'épanouir. Sa rencontre avec Sulyvahn, suivie de celle d'Erin vont être décisives pour lui, notamment du point de vue de son évolution. Enfin, on rencontre la seule jeune femme du lot prénommée Erin. C'est une adolescente hyper attachante qui va être dans un premier temps victime des hommes. Pour avoir refusé d'être abusé, pour s'être défendu, elle va en payer le prix fort. Pour autant, en dépit de l'horreur dans laquelle elle plonge jusqu'au cou, elle conserve sa bonté d'âme et sa personnalité solaire. C'est un personnage tampon qui fait beaucoup de bien aux autres personnages au point de les rendre meilleurs, peut-être ? Elle se révèle au fil des pages pour laisser dans nos cœurs une marque indéfectible. 

Pour conclure :

Avec L'Epée, la Famine et la Peste, on est à nouveau sur un texte puissant et très psychologique. Aurélie Wellenstein m'a une nouvelle fois embarquée sans mal dans cette histoire. Comme d'habitude, j'apprécie le travail poussé qu'elle fait sur ses protagonistes. L'univers est intriguant et ne laisse clairement pas indemne. Vite, la suite !

Fantasy à la Carte

A lire sur la blogosphère, les avis du Bibliocosme et Carolivre.

Informations

A lire aussi sur le blog, mes avis sur Les Loups Chantants, Le Désert des Couleurs, Mers Mortes et Le Dieu Oiseau.

Aurélié Wellenstein
L'Epée, la Famine et la Peste
T.1
9782266340120
512 pages
Editions Pocket Imaginaire

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02/04/2024

Timothée Rey & Patrick Larme, A l'ombre des nervures, éditions Les Moutons électriques

Timothée Rey & Patrick Larme, A l'ombre des Nervures
éditions Les Moutons électriques 

Poète, écrivain et anthologiste, Timothée Rey apprécie de toute évidence d'écrire sous tous les formats. Au regard de sa bibliographie richement fournie en science-fiction, fantasy et fantastique, les littératures de l'Imaginaire ont donc clairement sa préférence. Il compte pas moins d'une cinquantaine de textes à son actif et a même reçu le prix Rosny aîné 2011 de la meilleure nouvelle "Suivre à travers le bleu cet éclair puis cette ombre". 

En septembre 2023, il signe le graphique A l'ombre des nervures, paru chez Les Moutons électriques et illustré par l'illustrateur et bédéaste Patrick Larme.

Lu dans le cadre de la dernière Masse critique mauvais genres, je remercie l'équipe de Babelio ainsi que Les Moutons électriques pour l'envoi de ce livre.

Résumé :

Vaste édifice, la Basilique abrite un œuf géant pondu, il y a un millénaire, par une créature venue d'ailleurs. Celui-ci est veillé par une communauté de zélotes qui attendent avec impatience son éclosion pour enfin connaître l'Age d'Or promis. Seulement, il semblerait que les lieux aient été infiltrés par des croyants d'un autre type qui souhaitent voir naître leur propre divinité en fécondant cet œuf. En tout cas, c'est ce que deux Disquisiteurs sont venus dire à un sous-brigadier de la police ecclésiastique afin que tous les trois les prennent en chasse et ainsi empêcher un drame d'advenir.

Mon avis :

A l'ombre des nervures est une fantasy baroque qui emprunte aussi bien des éléments au conte qu'au fantastique horrifique, en passant par le genre policier. 

Les lieux sont déjà très étranges. Nous voici propulsés au sein d'une construction immense qui ne fait pas qu'accueillir un œuf gigantesque puisque toute une cité semble se presser autour. L'espace a l'air sans fin abritant un vaste réseau d'escaliers et de canaux et permettant même la circulation de trains. Or, dans cet étrange dédale, on va rencontrer des sirènes d'un nouveau genre ayant fusionnées avec des anémones, des champignons mélodieux ou encore des anges-lopiots, une sorte de chauve-souris à tête de poupon surmontée d'une paire d'antenne. Les mélanges vont bon train dans ce livre pour donner naissance à toute une cosmogonie singulière et troublante. 

L'imaginaire de Timothée Rey est très fertile pour nous entraîner dans un voyage particulièrement burlesque.

En outre, les clins d'œil ne manquent pas. Quand ceux-ci ne portent pas sur ses propres œuvres, à l'image de son Tilbar occidental, ils font référence à d'autres classiques comme à travers cette très reconnaissable créature qui se dissimule sous la coquille du précieux œuf et que le crayon de Patrick Larme nous laisse entrapercevoir. Elle semble tout droit sortie d'un décor lovecraftien. Cela tient sans doute aux nombreuses tentacules qui terminent son corps. Allez savoir ! Et puis que dire du personnage principal gonflé comme une baudruche et emporté dans les airs à la fin du récit. Ne vous rappelle-t-il pas l'acariâtre tante Marge dans Harry Potter

Le ton est clairement pratchettien, il est là pour nous faire rire ou tout du moins nous tirer un sourire.

Timothée Rey joue beaucoup sur des inventions saugrenues pour nourrir son imaginaire complètement décalé. L'absurde est là pour témoigner du ridicule des croyances lorsqu'elles sont poussées à l'extrême poussant à des actes aux conséquences irréversibles. Entre ses lignes, il met en concurrence deux religions qui cherchent à s'imposer l'une à l'autre par la force et la tromperie en faisant notamment naître sa divinité qui les gouvernera tous. Il y a un côté mise en garde comme l'image du messie incarné ici par la figure du dieu tutélaire qui sauvera les croyants tout en leur apportant longue vie et prospérité. 

En outre, le récit ne manque pas d'action riche en rebondissements, même si certains sont tout de même prévisibles. De la traque à la course-poursuite, l'auteur tient le cap pour mener ses lecteurs au cœur d'une aventure à la saveur très insolite. 

Maintenant que l'on a vu le fond, intéressons-nous à la forme car le livre est vraiment très beau, tout de violet vêtu. C'est un relié parcouru d'illustrations qui prennent parfois la forme de planches de bande dessinée. Celles-ci viennent d'ailleurs poursuivre le récit et constituent de vrais moments de respiration au milieu du texte. La lecture est donc bien dynamisée. Les dessins dégagent une vraie modernité dans le trait et s'insèrent parfaitement pour éclairer des moments-clés ou mettre l'accent sur des scènes critiques du livre.

Pour conclure :

Encore un nouveau titre qui a rejoint La Bibliothèque Dessinée, une collection ambitieuse qui allie la plume et le pinceau pour nous embarquer dans des mondes imaginaires extrêmement fertiles. A bon entendeur !

Fantasy à la Carte

Informations

Timothée Rey
Patrick Larme
A l'ombre des nervures
9782361838683
146 pages
Editions Les Moutons électriques

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29/03/2024

Michel Pagel, Le Roi d'août, éditions Les Moutons électriques

Michel Pagel, Le Roi d'août, éditions Les Moutons électriques 

Ecrivain français, Michel Pagel a déjà signé de nombreux titres. Parmi lesquels, on peut en citer en science-fiction avec L'Equilibre des paradoxes, récompensé par les prestigieux prix Rosny aîné et Julia-Verlanger, en fantasy avec Les Flammes de la nuit et en fantastique avec son copieux cycle de La Comédie inhumaine

Primé en 2003 par le grand prix de l'Imaginaire, son roman Le Roi d'août vient d'être réédité chez Les Moutons électriques.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec Les Moutons électriques, je remercie Maxime pour l'envoi de ce service de presse qui m'a donné l'occasion de goûter à cette pépite de fantasy

Résumé :

Sacré roi en 1180, Philippe II prend la suite de son père Louis VII. Son début de règne est marqué par un revirement d'influence puisque la maison maternelle de Blois-Champagne est mise sur la touche au profit de celle de Flandre. En outre, celui-ci est également émaillé de conflits perpétuels avec ses rivaux Plantagenêt, de victoires et de défaites militaires, sans oublier d'unions tumultueuses. Une vie fort mouvementée pour celui qui fut considéré comme le premier roi de France.

Mon avis :

Le Roi d'août est un récit de fantasy historique dans lequel Michel Pagel s'est replongé dans la destinée exceptionnelle de Philippe II et à travers lui, celle de la France. Il faut dire que son règne réunit tous les éléments faisant écho aux codes du genre. 

On peut déjà citer les intrigues politiques et les jeux d'influence. En effet, dès son couronnement Philippe II privilégie la maison de Flandre pour réduire le pouvoir de sa mère Adèle de Champagne et du clan champenois. En outre, il épouse Isabelle de Hainaut, la nièce de son parrain, Philippe d'Alsace, le comte de Flandre. Véritable premier acte politique qui lui vaut l'inimitié de sa mère. S'ensuit la signature du traité de Gisors avec Henri II d'Angleterre qui renforce sa position de jeune roi face aux maisons de Flandre et de Champagne. Pour autant, des rivalités demeurent au sein du royaume. Ainsi, en 1881 une brouille entre Philippe II et son parrain ranime le conflit avec les barons que le roi entérinera par le traité de Boves lui confirmant sa mainmise sur le Vermandois, l'Artois et l'Amiénois. Mais sa plus grande préoccupation demeure le conflit qui l'opposa longtemps aux Plantagenêt. Or, en grand stratège, il s'est d'abord lié d'amitié avec les fils pour jouer sur les antagonismes que ces derniers entretenaient avec leur père jusqu'à ce que chacun à leur tour prenne les armes contre lui pour lui reprendre les terres acquises par la guerre ou le mariage. 

Ce qui nous amène à un autre élément cher à la littérature fantasy, à savoir la conquête qui vient donner le caractère épique au récit. On est en plein dedans ici, à travers les manœuvres de Philippe Auguste pour agrandir son territoire. 

Ainsi, Michel Pagel joue pleinement sur les manipulations et les traitrises qui ont eu cours à l'époque pour nourrir son roman et par conséquent, captiver son lectorat.

Mais il ne peut être question de fantasy sans magie. Alors quid de celle-ci entre ces lignes ? Pour le coup, l'auteur se montre très ingénieux en utilisant les mystères qui ont émaillé le règne de Philippe II comme des fenêtres sur l'onirisme. Ainsi, ces miracles que l'on a attribués au roi, notamment au début de sa prise de pouvoir, comme une manifestation divine sont réinterprétés par Michel Pagel comme un héritage surnaturel qui coulerait sommairement dans ses veines. En outre, il procède de la même manière avec Isambour de Danemark que Philippe II a répudiée dès le lendemain de leur noce sans explication valable. L'auteur, lui, y voit là une nouvelle manifestation ésotérique que le monarque ne peut souffrir d'où son rejet. Cette introduction des créatures surnaturelles qui mêlent leurs destins à des dynasties familiales tombe bien à-propos pour envoûter le lecteur en l'emmenant sur des terres que l'Histoire n'a pas encore explorées. 

26/03/2024

Nghi Vo, Des mammouths à la porte, éditions L'Atalante

Nghi Vo, Des mammouths à la porte, éditions L'Atalante 

Des mammouths à la porte est le quatrième opus de la série, Les Archives des Collines-Chantantes de Nghi Vo.

Vous connaissez ? Vous devriez !

Il prend la suite de L'Impératrice du Sel et de la Fortune, Quand la tigresse descendit de la montagne et Entre les méandres

Finalement, l'autrice n'en a pas encore fini avec l'adelphe Chih et sa neixin Presque-Brillante et continue donc de nous conter avec beaucoup de subtilité leurs formidables aventures. 

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions L'Atalante, je remercie Emma pour l'envoi de ce service de presse.

Résumé :

Après une longue absence de quatre ans, Chih est de retour à l'abbaye des Collines-Chantantes. Alors que l'adelphe pensait simplement retrouver ses pairs et renouer avec un quotidien paisible, la réalité s'annonce déjà toute autre puisque l'accès à l'abbaye est obstruée par un groupe de personnes accompagnées de mammouths. Celles-ci sont venues demander réparation d'un litige sans savoir que les lieux sont presque complètement désertés par ses occupants, dispersés aux quatre vents pour régler d'autres problèmes. Mais, alors qui sera à même de régler cette situation interne tendue, aggravée par la disparition du patriarche du clan Coh et quel rôle Chih y jouera-t-il ?

Mon avis :

Contrairement à ses précédents récits, Nghi Vo n'a pas choisi une narration linéaire pour nous conter les pérégrinations de Chih et de Presque-Brillante à travers l'empire. En effet, il ne s'agit donc plus de partir à la découverte de nouveaux lieux et de nouvelles personnes mais c'est plutôt un retour aux sources pour le personnage principal. 

Pour autant, le récit n'en est pas moins semé d'embûches et nourri d'intrigues. Le ton est d'ailleurs donné dès le départ puisque Chih doit commencer par traverser un rempart de corps humains et de mammouths pour atteindre les portes de l'abbaye. En effet, il y a du mécontentement dans l'air et certaines sont là pour demander réparation. Mais le plus difficile demeure la disparition brutale de l'adelphe Thien, surtout en l'absence de tout le monde ou presque. C'est à son ami d'enfance Ru d'assurer l'intérim des responsabilités. Or, un écueil se pose avec la petite-fille de Thien qui se trouve parmi les assiégeants et réclame le corps de son grand-père pour l'inhumer sur ses terres. L'affaire est clairement épineuse. 

Mais ce décès est aussi un temps pour le souvenir et le recueillement. Ainsi, le deuil imprègne les pages de cette quatrième novella. Alors beaucoup d'émotions traversent ces lignes comme le chagrin, la perte, la colère et même le regret. En quelques pages, Nghi Vo s'exprime sur beaucoup de sujets car la disparition d'un proche constitue toujours une occasion pour exorciser les fantômes du passé. C'est une manière de mettre à nu ce qui hante et de faire tomber les masques. Aussi, une personne peut donc tout à fait s'avérer être un ange pour certains et un monstre pour les autres. Et, ce n'est pas parce qu'elle n'est plus qu'il faut taire ses secrets. Cela l'autrice nous le raconte très bien dans sa nouvelle et cela remue d'autant plus qu'il est question de violence faite aux femmes.

Cette remontée de souvenirs à graver dans la mémoire et à inscrire dans les archives permet aussi aux vivants de faire le point sur leur vie. Ainsi, on se remémore le passé pour mieux se projeter dans l'avenir. 

22/03/2024

François Baranger, Sorcier Empereur, T.3, Ars Obscura, collection Lunes d'Encre, éditions Denoël

François Baranger, Sorcier Empereur
T.3, Ars Obscura
collection Lunes d'Encre, éditions Denoël

Depuis quelque temps, François Baranger est sur l'écriture d'une série mêlant uchronie et dark fantasy, intitulée Ars Obscura, dont les deux premiers tomes Sorcier d'Empire et Second Sorcier sont respectivement sortis en librairie en mars  et en septembre 2023. 

Gros coup de cœur pour cet univers particulièrement immersif, j'avais hâte de replonger dans la suite. 

Or, celle-ci est prévue pour le 27 mars prochain mais les éditions Denoël m'ont fait l'honneur de me faire parvenir l'ouvrage en épreuves non corrigées afin que je le lise en avant première, je les remercie donc très chaleureusement pour leur confiance. 

Après la défaite à Waterloo et l'arrestation de Napoléon, Élégast a repris les rênes du pouvoir et continue de mener le combat contre les coalisés. Pendant ce temps, Irénion Brégante a pris la tête de la résistance dont les rangs grossissent de jour en jour afin de mettre en échec le sorcier. Quant à Ethelinde et Ludwig, ils ont pris la direction de l'Egypte afin de mettre la main sur les cristaux d'Élégast placés sous bonne garde des Anglais. C'est donc l'heure d'un contre-la-montre pour chacun des camps en présence et l'on se demande bien qui va l'emporter ? 

Dans Sorcier Empereur, François Baranger élargit son cadre d'action en ne se contentant plus de nous balader des quatre coins de la France au palais d'Hiver de Saint Pétersbourg mais nous entraîne aussi sur les terres des Pharaons. En effet, le moment est venu pour Ludwig Arcerese et Ethelinde Ordant d'aller explorer le tombeau mis au jour par le père de cette dernière afin de mettre la main sur les cristaux d'Élégast. Or, cette expédition ponctuée de moult dangers prend vite une allure de grande aventure entre la traversée d'un désert, l'attaque du caravansérail où ils prenaient un peu de repos, l'intrusion dans une tombe au nez et à la barbe de l'ennemi sans oublier l'affrontement avec un djinn. 

19/03/2024

Gauthier Guillemin, Métempsychogenèses, éditions 1115

Gauthier Guillemin, Métempsychogenèses, éditions 1115

Après Rivages (2019) et La Fin des étiages (2020), Gauthier Guillemin signe un nouveau récit de science-fiction au format d'une novella. Il s'agit de Métempsychogenèses, publié par les éditions 1115. Voici un titre aussi imprononçable qu'intriguant

Lu dans les cadre d'un partenariat, je remercie les éditions 1115 pour l'envoi de ce service de presse. 

Pour nous éclairer, commençons par faire un peu de sémantique. En grec ancien, métempsychose désigne le transvasement d'une âme dans un autre corps, qu'elle va animer. Ce concept trouve son origine dans l'Egypte antique et renvoie ni plus ni moins à la transmigration des âmes.

Maintenant que le titre est déchiffré, voyons d'un peu plus près ce que raconte ce récit. 

Résumé :

A Sharp Plateau situé dans l'Alaska, un groupe de chercheurs travaillent à extraire les âmes d'écrivains disparus de ce qu'ils appellent le flux métensomatique. Leur but étant qu'elles accompagnent les derniers humains dans leur ultime voyage vers une destination inconnue. En effet, devenue inhospitalière, la planète terre n'est plus un refuge pour ce fragment d'humanité qui va chercher le salut ailleurs, mais pour ne pas sombrer dans la folie, il est nécessaire que leur longue période de stase soit bercée par la littérature. En tout cas, c'est ce que pensent les scientifiques à l'origine du projet. Mais le temps presse alors réussiront-ils leur bien étrange mission ?

Mon avis :

Dans Métempsychogenèses, on va retrouver des codes habituels en science-fiction comme une planète terre mourante, malmenée par un enchaînement de cataclysmes et une humanité finissante drastiquement réduite. A cela, l'auteur a ajouté la notion de sauvegarde par l'intermédiaire de voyage à bord de vaisseaux dans des caissons cryogénisés afin de placer leurs corps en stase le temps d'arriver à bond bord. Jusque là rien de nouveau pour un récit de science-fiction car entre apocalypse et voyage spatial, on n'est point dépaysé. Pour autant, ce texte demeure très originale dans sa manière d'aborder le sauvetage de l'humanité. Ainsi, cette croyance dans l'immortalité de l'âme qui survit en changeant d'hôte se concrétise entre ces lignes grâce à la science qui agit sur le flux pour en extraire les âmes. Celles-ci sont ensuite projetées dans un automate afin de donner un corps provisoire qui va les stabiliser et empêcher qu'elles se volatilisent. Voilà un concept aussi fascinant qu'effrayant. Or, ce procédé est testé sur les âmes des hommes et des femmes de lettres de différentes époques afin que leurs œuvres ne tombent pas dans l'oubli après la disparition de la terre et qu'ils continuent d'abreuver les survivants de leurs écrits. En faisant de la littérature un garde-fou, Gauthier Guillemin cherche surtout à lui rendre hommage. Il souligne son importance et revient, par l'intermédiaire de grands noms, sur les courants qui ont marqué l'histoire des littératures comme le romantisme français. Néanmoins, ces poètes ne sont pas choisis au hasard car ils s'intéressaient en leur temps à la déraison de l'esprit en l'expliquant comme le fruit d'un corps occupé par quelqu'un d'autre. C'était une théorie que prônait Gérard de Nerval pendant ses moments de lucidité et qui a inspiré John-Antoine Nau pour son roman, Force ennemie lui valant le premier prix Goncourt. Ainsi, le récit prend une tournure surprenante en traitant avec beaucoup de rationalité un courant de pensées fumeux mais tenace. 

15/03/2024

Chantal Robillard, Dentelles des univers de Cendrillon, éditions Astérion

Chantal Robillard, Dentelles des univers de Cendrillon, éditions Astérion 

En février est sorti en librairie le nouveau livre de Chantal Robillard. Il s'agit de Dentelles des univers de Cendrillon qui rejoint ses autres recueils de nouvelles au catalogue des éditions Astérion : Dentelles des reflets de Venise, Dentelles des sirènes de la lagune et Dentelles du ru des troubadours

Grande amatrice des contes de fées, ils semblent être pour elle une source inépuisable d'inspiration. En tout cas, c'est ce que l'on se dit lorsqu'on jette un œil sur sa bibliographie avec des titres aussi évocateurs que Fugue de la fontaines aux fées ou Dimension Fées

Or, parmi les figures les plus emblématiques des contes, il y a une certaine jeune fille maltraitée par sa marâtre et ses filles qui l'ont reléguée au rang de souillon pour laquelle Chantal Robillard semble s'être prise d'affection puisqu'elle lui a consacré tout un livre. 

Ayant reçu Dentelles des univers de Cendrillon en service de presse, je remercie Chantal Robillard pour sa confiance renouvelée. 

Mon avis :

Ce n'est pas moins de 18 nouvelles qui sont au programme de ce nouveau recueil. Qu'elles répondent à un air de déjà vu pour qui connaît bien le travail de Chantal Robillard ou au contraire, est une exploration en terre inconnue, Cendrillon demeure le phare qui éclaire le chemin des lecteurs. 

L'autrice s'appuie donc sur les éléments propres à ce conte, à savoir la marâtre, les deux demi-sœurs tyranniques, le prince et la pantoufle qu'elle va allègrement transposer dans différentes époques et où elle donne même à Cendrillon de nombreux visages. 

Les textes sont variés et plutôt bien réussis.

Tantôt fantasque tantôt poignante, la plume de Chantal Robillard se part de nombreuses couleurs pour nous entraîner dans bien des voyages. Quoi de plus surprenant que de retrouver la figure de Cendrillon dans "La sizaine des Cendreux", au milieu des maquisards pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est une manière pour l'autrice de rendre hommage à tous les résistants du Val d'Allier tout en faisant vibrer la corde sensible de ses lecteurs. 

Le conte de fées, c'est aussi dépeindre la réalité aussi sombre soit-elle. D'ailleurs, Chantal Robillard ne se gêne pas pour le faire comme dans "La Place-aux-sabots" qui nous conte le funeste destin d'une innocente. Les éléments sont si bien amenés que l'on ne voit rien venir jusqu'à la chute qui est plutôt glaçante.

12/03/2024

Aliette de Bodard, Serviteur des Enfers, éditions Mnémos

Aliette de Bodard, Serviteur des Enfers, éditions Mnémos 

Autrice américaine mais qui a grandi en France, Aliette de Bodard a toujours privilégié la langue anglaise pour écrire ses textes. 

Méconnue en France car peu traduite, il n'en demeure pas moins qu'elle cumule les plus prestigieuses distinctions : du British Science Fiction au British Fantasy en passant par les prix Locus et Nebula.

En dépit d'une bibliographie bien fournie, peu de ses textes sont disponibles en français. On ne peut donc que se réjouir de la réédition sous le titre de Serviteur des Enfers que nous proposent les éditions Mnémos. Il s'agit du premier volet qui inaugure sa série, Chroniques aztèques et compte à ce jour trois romans.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Mnémos, je remercie Estelle Hamelin pour l'envoi de ce service de presse. 

Résumé :

A Tenochtitlan, Acatl est grand prêtre des morts. Son quotidien est consacré au service funéraire, à veiller les morts et à accompagner les familles dans leur deuil. Mais, sa vie se retrouve bousculée lorsqu'une prêtresse est portée disparue laissant derrière elle une chambre ensanglantée et que son frère est accusé de ce crime car elle était sa maîtresse. Dès lors, le prêtre aztèque s'engage dans une course contre la montre pour retrouver cette Eleuia ou à défaut, les preuves de l'innocence de Neutemoc. Pour autant, arrivera-t-il à ses fins ? 

Mon avis :

Serviteur des Enfers est un roman de fantasy historique qui prend cadre au temps de l'empire aztèque. En nous attachant aux pas d'un prêtre et d'un guerrier, Aliette de Bodard illustre parfaitement la société aztèque qui était très hiérarchisée et dont le sommet se partageait entre les dignitaires militaires et religieux. La religion était d'ailleurs omniprésente et polythéiste. Elle se caractérisait par des rites et des croyances qui imprégnaient la vie quotidienne des Aztèques au point d'influencer leur hiérarchie sociale et leurs relations avec les autres peuples jusqu'à motiver certains conflits armés. C'est une religion astrale dans laquelle le mythe solaire et son culte sont fondamentaux. Les dieux étaient affectés à des tâches précises d'assistance aux hommes et à la conservation du monde. Au sommet de ce panthéon, on trouve Huitzilopochtli, le dieu de la guerre et du soleil et Tlaloc, le dieu des eaux, de la foudre et des séismes dont les rivalités vont imprégner les pages de ce livre et même menacer le Cinquième Monde, autrement dit le présent actuel. Ces divinités sont vénérées par des sacrifices humains d'esclaves, issus de prises de guerre ou non mais aussi d'Aztèques libres souhaitant se donner à leur dieu pour avoir une meilleure vie dans l'autre monde. Ainsi, les sacrifices sont omniprésents entre ces lignes mais se pratiquent ici sur de petits animaux, essentiellement des volatiles car ces rites sanglants favorisent l'accès au pouvoir issu de l'autre monde. La religion aztèque apparaît donc ici comme le réceptacle idéale à la magie. Celle-ci s'épanouit aussi bien à travers les nombreuses interventions des dieux dans la vie des protagonistes d'Aliette de Bodard, souvent relégués au rôle de simples pions, que dans leurs interactions avec des forces invisibles.

Autour de ce contexte historique peu emprunté en littérature fantasy, Aliette de Bodard a développé un univers remarquable et très immersif. Le récit est d'autant plus captivant qu'il s'agit d'une enquête sur une disparition inquiétante pouvant potentiellement découler sur un meurtre. C'est très bien rythmé car on rentre tout de suite dans le vif du sujet et où le temps joue même contre le personnage principal  qui doit innocenter son frère et ainsi lui sauver la vie. 

Dans Serviteur des Enfers, la plume d'Aliette de Bodard est très habile pour entremêler des intrigues politiques complexes à des relations familiales conflictuelles. C'est un roman très psychologique qui part des antagonismes fraternels pour analyser les comportements et les sentiments qui en découlent. Ainsi, l'autrice va mettre en lumière les non dits, les idées fausses, la jalousie et les frustrations qui ne vont pas manquer de fleurir au sein d'une famille en but à des oppositions. Elle s'intéresse également à l'image du couple et à ses difficultés, notamment lorsque l'adultère s'invite dans la place. Le texte est riche, parcouru par de nombreuses émotions qui lui donnent tout son relief.