L'influence du "gaming" à la littérature

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17/03/2021

Cloé Mehdi, Cinquante-trois Présages, éditions du Seuil

Cloé Mehdi, Cinquante-trois Présages, éditions du Seuil

Cloé Mehdi est une jeune plume qui s'est déjà fait remarquer dans le monde littéraire. Son premier livre, Monstres en Cavale, publié en 2014, lui vaut le prix du premier roman du festival de cinéma de Beaune. Quant à Rien ne se perd, sorti en 2016, il reçoit pas moins de huit récompenses

Avec un tel palmarès de distinctions, on ne peut que s'intéresser à ses écrits. Or, justement les éditions du Seuil viennent d'éditer son troisième roman, intitulé Cinquante-trois Présages

Reçu en service de presse, il y a quelques semaines, il était temps que je vienne vous parler de ce roman noir. Je remercie, au passage, la maison d'édition pour ce nouveau partenariat. 

Dans Cinquante-trois Présages, Cloé Mehdi nous attache aux pas de Raylee Mirre, une jeune femme qui est également la Désignée de Dix-Neuf, l'une des divinités de la Multitude. Dans le monde où vit Raylee, Dieu s'est divisé en une multitude de divinités qui se sont liées à des humains afin qu'ils leur servent de canaux de communication avec les autres. Parfois haïe, parfois vénérée, Raylee a beaucoup de mal à gérer son statut et a trouvé sa place dans cette société. D'autant, qu'elle se sent surveillée par l'Observatoire des divinités. C'est ni plus ni moins qu'une brigade de police chargée d'avoir à l'œil les activités du Bureau des prières que les Désignés gèrent. Or, l'étau s'est resserré depuis que les enquêteurs ont constaté la disparition de nombreux criminels, repérés pour la dernière fois, aux abords du Bureau de Raylee. Que sont-ils devenus ? Quel est le vrai pouvoir des Désignés ? Qui sont réellement ces divinités ? 

Dans Cinquante-trois Présages, Cloé Mehdi nous immerge dans une dystopie pré-apocalyptique. L'action prend cadre dans une société proche de la nôtre avec pour seule différence dans celle imaginée par Cloé Mehdi, l'existence d'une multitude de dieux qui interfère dans la vie des humains. 

D'ailleurs, on distingue ici deux types de divinités, celles à l'image de Dix-Neuf qui est proche des humains et celles que l'on appelle les Dieux rouges qui sont nettement plus agressifs. Ici, Dix-Neuf qui se veut bienveillant, propose une seconde chance aux humains qui sont poursuivis, soit parce que ce sont des criminels en repentir, soit pour échapper à autre chose. Il leur offre un asile en les conduisant auprès de sa Désignée qui, elle, est chargée de les envoyer dans un lieu secret et sécurisé. Tout comme Raylee, on en sait pas beaucoup plus sur ce phénomène si ce n'est que ces pourchassés disparaissent pour réapparaître des années plus tard. Chaque divinité édicte ses propres lois et entretienne des rapports bien différents avec les hommes. Au fil des présages que Dix-Neuf lui envoie, Raylee prend conscience d'un danger se profilant à l'horizon sans pour autant en mesurer toute sa portée. Au cœur d'une machination orchestrée par les dieux, pourra-t-elle seulement contrecarrer leurs plans et empêcher la destruction des siens ? A travers la présence de ces dieux, l'autrice colore son texte de notes fantastiques car ils confèrent aux humains qu'ils ont choisis un certain nombre de pouvoirs. Mais alors que l'on constate en librairie un nouvel engouement pour le post-apocalypse, Cloé Mehdi a préféré plutôt écrire ici un roman se déroulant à l'aube d'une apocalypse. 

Par l'intermédiaire de l'imaginaire, elle explore des pistes de réflexions sur l'évolution de nos sociétés modernes où l'individualisme a remplacé le collectif. En nous emmenant au cœur d'un monde au bord de l'extinction, elle nous rappelle les fondamentaux qui comptent vraiment et que l'humain, dans sa quête de pouvoir et d'immortalité, a tendance à oublier. Sans en avoir l'air, on prend conscience que ce roman s'inscrit finalement parfaitement dans notre actualité car il aborde des problématiques qui nous touchent de très près. 

A travers son héroïne, Cloé Mehdi se fait la porte-parole d'un message fort sur l'importance des liens que les humains doivent entretenir entre eux pour finalement ne pas perdre leur âme ni leur humanité. Il faut se reconnecter à la terre et à tous ceux qui la peuplent. 

Cinquante-trois Présages s'inscrit aussi dans la lignée du polar puisqu'il met également en scène des protagonistes qui enquêtent sur ces mystérieuses disparitions.

Ainsi, Cloé Mehdi a ponctué son récit de différentes nuances, donnant à son livre une saveur très particulière et qui finalement n'inscrit son récit dans aucun genre précis mais est plutôt le fruit de multiples influences. 

Quant aux personnages qu'elle a mis en scène, ils sont à l'image de l'humanité : complexes, fragiles et perturbés. Si on prend l'exemple de Raylee Mirre, elle incarne parfaitement la jeune génération. Ni homme ni femme, elle se veut sans genre. A travers elle, l'autrice aborde, là-aussi, des thèmes importants tels la tolérance et le respect que l'on se doit à soi et aux autres. Cela en fait un roman très humaniste et proche de ses lecteurs.

Cinquante-trois Présages est un récit fluide qui nous capte dès les premiers chapitres, et ce, même si à la base, vous n'êtes pas spécialement le lecteur visé. 

Très vite, on se laisse prendre au jeu par cette histoire complexe au suspense maîtrisé. Je suis, moi-même, surprise de l'avoir autant apprécié mais il faut dire qu'il nous emmène vers l'inattendu.  

Fantasy à la Carte

Informations

Cloé Mehdi
Cinquante-trois Présages
9782021471502
336 pages
Editions du Seuil

14/03/2021

Cécile Durant (sous la dir.), Fantastique en pays de Chièvres, anthologie, éditions Kelach

Fantastique en pays de Chièvres, anthologie, éditions Kelach

Sous l'impulsion de celui qui se fait appeler sous son nom de plume Vendarion d'Orépée, un collectif d'auteurs de tous horizons s'est formé pour donner naissance à l'anthologie, Fantastique en pays de Chièvres

Constitué de six nouvelles, cet ouvrage nous entraîne au cœur d'un territoire bercé par les légendes et un folklore omniprésent. 

Avant de vous en parler plus en détails, je tiens à remercier, à nouveau, Frédéric et les éditions Kelach pour ce nouveau partenariat. 

Sous la houlette des plumes de quatre auteurs, ce recueil nous immerge dans six univers différents. Ils mêlent ici leurs imaginaires respectifs pour faire résonner le fantastique de sonorités bien différentes. 

Ainsi, c'est Églantine Gossuin qui ouvre le bal en invitant dans sa nouvelle la riche communauté du petit peuple des fées. En effet, "Le fils du forgeron" a pour cadre la forêt dans laquelle, Chiraz, le septième fils d'un forgeron, est chargé d'en être le gardien. Mais le seigneur des lieux, prénommé Dagnir est un homme cupide qui ne rêve que du trésor des nains. Or, pour mettre la main dessus, il est prêt à tous les sacrifices. A Chiraz de tout tenter pour sauver les siens et protéger la forêt des dangers qui la guettent. Heureusement pour mener à bien sa quête, il sera accompagné des esprits de la forêt. A travers son texte, l'autrice mêle avec une belle habileté magie et folklore local. On se laisse happer par cette aventure qui rend hommage à dame Nature. 

Autre nouvelle qui met la secrète forêt des Ardennes à l'honneur est "L'Aigle et le Loup" de Stéphane Triquoit. Féru d'Histoire, l'auteur remonte le temps pour nous ramener à l'époque de la conquête de la Gaule par l'empire romain. Il nous entraîne à la suite d'un légionnaire chargé de débusquer et de tuer la druidesse, surnommée la louve des Ardennes car elle incite les tribus gauloises à se soulever contre les Romains. Profitant de la cérémonie de Samhain, au moment où cette dernière est occupée à disposer les offrandes aux puissants Sidhs, Tibérius Aquilius Bellius l'assassine lâchement mais avant de pousser son dernier soupir, elle prend le temps de le maudire. Bien que ce dernier ne croit guère aux croyances païennes, il pourrait finalement lui en coûter d'avoir attisé la colère des dieux celtes. Pour un amateur des légendes celtiques, c'est un plaisir que de se laisser porter par cette histoire bien ficelée.

L'imaginaire est un terrain de jeu privilégié pour les passionnés d'Histoire qui se plaisent notamment à réfléchir à ce qui se passerait si on y changeait un élément. Ainsi, avec "L'Inconnu de la Hunelle", Vendarion d'Orépée nous propose un récit uchronique où l'on suit un certain Kurguth Tylaksson, chevalier et protecteur du Saint-Graal, mais également assistant d'un chronomancien. Renvoyé accidentellement en 1944 par la machine à remonter le temps de ce dernier, Kurguth est chargé de se débarrasser d'une épée ensorcelée où l'âme d'un puissant sorcier y a été emprisonnée. Dans ce texte, l'auteur s'amuse à mêler les grandes figures des heures sombres de la Seconde Guerre mondiale à certains personnages des légendes arthuriennes tels Mordred ou Caradoc. Ils sont ici les chevaliers de l'Anti-Graal que le héros de Vendarion d'Orépée devra combattre afin d'éviter que cet artefact ne tombe entre leurs mains maléfiques. 

Enfin, parfois, le fantastique se connote de touches nettement plus sombres, voire même effrayantes surtout quand les démons sont de la partie comme c'est le cas dans "Derrière les murmures" où Constant Vincent nous transporte sur le terrain de la possession et de l'exorcisme. Autant vous prévenir tout de suite, il est préférable de lire certaines histoires avant que la nuit tombe sous peine de voir son repos troublé. 

Fantastique en pays de Chièvres nous fait vivre de multiples aventures où la magie n'est jamais loin. On se laisse facilement capter par ses voix qui donnent au genre bien des visages. 

Fantasy à la Carte

Fantastique en pays de Chièvres
Anthologie
978-2490647-0-64
220 pages
Editions Kelach

12/03/2021

Basile Cendre, La Descente ou la Chute, éditions Les Moutons électriques

Basile Cendre, La Descente ou la Chute, éditions Les Moutons électriques

Pour marquer le retour des Pépites de l'Imaginaire, Les Moutons électriques donnent la parole à une nouvelle voix. Fidèle à leur ligne éditoriale, ils nous proposent avec La Descente ou la Chute de Basile Cendre, un récit singulier à la croisée des genres. 

Avant de commencer, je tiens à remercier Erwan, ainsi que Les Moutons électriques pour l'envoi de ce service de presse. 

Ce roman nous attache aux pas de Loup. Au bord du précipice, là-haut, au sommet des montagnes de ferrailles, c'est là qu'il vit. Sous la houlette de son mentor, il a appris à appréhender son vertige. Descendre pour explorer les premiers degrés de ce monticule gigantesque lui est familier. Mais voilà que le désir d'aller plus loin, de descendre jusqu'aux titans endormis le titille. L'envie de découvrir les secrets enfouis le poussera-t-il à tenter la descente ? Ou finira-t-il par succomber à l'appel des ombres dans une chute vertigineuse ? 

Dans La Descente ou la Chute, Basile Cendre a construit un monde apocalyptique fait de bric et de broc. La Terre est recouverte par des tonnes de ferrailles, formant de véritables montagnes. C'est au sommet de ces monts que vivent maintenant les humains. Leurs habitations sont constituées d’éléments récoltés ici ou là dans le tas de ferrailles, situé sous leurs pieds. Régulièrement, ils descendent explorer les lieux en quête de trésors oubliés car par la force des choses, ils sont devenus des ferrailleurs. Ici, l'auteur nous dessine les contours d'un monde post-industriel qui a subit un cataclysme de grande envergure laissant la planète meurtrie et étouffée. Un monde qui a sonné le glas de la nature entraînant la disparition des végétaux et des animaux. Ainsi, ne subsiste qu'une poignée d'humains qui survivent tant bien que mal. Par le prisme de l'imaginaire, l'auteur alerte sur le danger et l'absurdité des excès comme celui de la surconsommation. 

Cependant, quand on poursuit notre exploration de cet univers, on y découvre d'autres influences. En effet, la présence des titans tend à nous rappeler la mythologie grecque. Enfermés au fond du gouffre, ces mythiques géants dorment d'un sommeil agité. Chacun de leurs soubresauts donne naissance à une brume toxique et dangereuse. Peuplée de fantômes qui ont fusionné ensemble, cette brume chuchote aux téméraires ferrailleurs de douces promesses d'oubli ou attaque avec violence quand on lui résiste. Telles des créatures ténébreuses, elles prennent parfois la forme de lycanthropes prêts à mordre afin de transformer leurs victimes en l'un des leurs.

En s'engageant sur ce périlleux chemin, Loup nous apparaît comme Ulysse dans son Odyssée, parti explorer un monde sombre et dangereux avec pour seul garde-fou, un fil le reliant au sommet. Justement ce fil que l'on pourrait qualifier de corde dans le jargon des montagnards, occupe une place prépondérante dans ce roman. Il incarne son dernier lien avec les hauteurs. Véritable compagnon pour Loup, ce fil représente autant son salut que son seul moyen de communication avec la surface qui s'exprime, d'ailleurs, à la manière du morse. Cordon ombilical ou fil d'Ariane, il est un élément vital à la mission que s'est donnée Loup car il lui permettra de retrouver son chemin. 

Dans La Descente ou la Chute, on rencontre une communauté hétéroclite de personnages. Basile Cendre nous donne assez de matière pour en apprécier certains ou au contraire, en détester d'autres. Néanmoins, c'est à Loup à qui revient les faveurs de l'auteur puisque c'est son personnage principal mais aussi l'unique narrateur de cette histoire. Avide de liberté et de savoir, Loup décide de braver ses peurs en tentant la descente. Au fil des épreuves, on lui découvre de nouvelles facettes : courage, témérité et solidarité. Vaincre la noirceur et amener la lumière n'est pas une mission facile ni sans risque. Mais comme tous ferrailleur, il n'est pas exempt d'obscurité. Pour preuve avec les rêves tourmentés qu'il fait chaque nuit. Hanté par son passé, il devra surmonter toutes ses failles pour trouver la clé de ce qu'il est venu chercher en bas : la liberté. 

La Descente ou la Chute nous ouvre les portes sur une fantasy baroque, hybride d'influences multiples. 

Avec une écriture stylisée, tantôt poétique, tantôt métaphorique, Basile Cendre nous entraîne dans un périple haletant à travers un monde aux mille nuances. 

Incisive et âpre, la fantasy de cette jeune plume nous promet une évasion littéraire turbulente et inattendue. 

Basile Cendre signe ici un roman de fantasy brillant, doublé d'un conte philosophique éclairant. 

Fantasy à la Carte

Informations

Basile Cendre
La Descente ou la Chute
978-2-36183-690-0
272 pages
    Editions Les Moutons électriques

09/03/2021

Orson Scott Card, Le Compagnon, tome 4, Les Chroniques d'Alvin Le Faiseur, éditions L'Atalante

Orson Scott Card, Le Compagnon, tome 4, 
Les Chroniques d'Alvin Le Faiseur
éditions L'Atalante

Quand on se lance dans la lecture des Chroniques d'Alvin Le Faiseur d'Orson Scott Card, on se rend très vite compte que s'en détacher devient, au fil des livres, de plus en plus difficile. En tout cas, c'est la réflexion que je me suis faite en refermant, il y a peu, le troisième tome. 

Mais heureusement, les éditions L'Atalante m'ont fait la surprise de m'envoyer le tome 4. Je les remercie ainsi qu'Emma pour ce nouveau partenariat qui me donne l'occasion de continuer de vous parler de cet incontournable du genre

Dans ce quatrième opus, Alvin est de retour à Hatrack River, en compagnie d'Arthur Stuart. Seulement, la joie des retrouvailles avec le père adoptif d'Arthur est vite gâchée par la plainte de vol, déposée à son encontre par son ancien patron, Conciliant Smith. Il l'accuse de lui avoir dérobé de l'or pour réaliser le soc de charrue, marquant le début de son compagnonnage. Bien que le motif soit ridicule, Alvin n'en est pas moins emprisonné le temps de son jugement. Clairement, cette affaire sent la malveillance. Maintenant est de savoir si le Défaiseur est en cause ou s'il s'agit d'autre ennemis ? Alvin sait que ses prochains jours seront compliqués. Mais ce qu'il ignore encore, c'est que la trahison pourrait venir de son entourage proche. En effet, à quoi s'attendre d'autre quand son propre frère a développé une telle jalousie qu'il choisit de s'éloigner afin de se forger de nouvelles armes à utiliser contre lui. 

Dans Le Compagnon, Orson Scott Card a divisé son récit en deux temps d'action avec d'un côté, les péripéties que subit Alvin et de l'autre côté, les manigances que fomente Calvin. A travers ces deux personnages, l'auteur explore les deux facettes de la personnalité d'un Faiseur car ils sont bien les 7e fils d'un 7e fils alors ils disposent des mêmes pouvoirs de Faiseur. Seulement, l'un incarne le Bien et l'autre, le Mal. 

Dans ce quatrième volet, l'auteur introduit de nouveaux personnages ou donne de l'importance à certains. C'est le cas de Calvin qui en grandissant a pris son frère en grippe. Or, en se laissant complètement submergé par la jalousie et la haine, il devient l'instrument idéal du Défaiseur pour nuire à Alvin. Dernier de la fratrie, il n'a pas réussi à y trouver sa place. Il se sent comme un laissé-pour-compte et tient Alvin pour entièrement responsable de cette situation. Il voudrait, lui aussi, être reconnu comme un Faiseur à part entière, seulement il ne sait pas comment faire. Toute cette rancœur accumulée va faire de lui un ennemi mortel pour Alvin. Finalement, à travers eux, Orson Scott Card revisite le mythe d'Abel et de Caïn, même si dans son récit, il inverse les rôles. Cela nous donne déjà des pistes quant à la tournure que l'auteur va donner à la suite de son intrigue. 

Cependant, chemin faisant, Alvin noue également de belles et solides amitiés comme avec En-Vérité Cooper qui souhaite comprendre la nature et la portée de ses propres pouvoirs et vient donc s'en remettre au Faiseur. C'est ainsi que cela se passe quand un Faiseur naît, il en attire d'autres. Au fil des pages de cette saga, Alvin s'entoure de personnes ayant le don ou maîtrisant des sortilèges. Or, la présence de tous ces détenteurs de pouvoir va lui permettre d'accomplir son oeuvre et de mettre ainsi en échec le Défaiseur. 

Dans Le Compagnon, la magie n'est donc pas seulement du fait d'Alvin. De plus, Orson Scott Card nous ouvre parfois la porte sur un autre espace-temps qui réduit considérablement les distances rien qu'en traversant une porte. Cela ancre son récit dans un ésotérisme qui s'affirme de plus en plus. 

D'autre part, en filigrane de l'intrigue que l'auteur tisse, on retrouve les grandes thématiques qui ont été au cœur des fondements des Etats-Unis d'Amérique : l'indépendance, la nation, l'égalité et l'abolition de l'esclavage. Orson Scott Card a à cœur de rattacher sa fantasy à la genèse du Nouveau Monde. En conséquence, il n'hésite pas  à peupler son uchronie de grandes figures du passé. C'est ainsi que l'on recroise la route d'un Napoléon Bonaparte, souffrant de la goutte que Calvin espère manipuler en agitant ses dons de guérisseur pour apprendre auprès de celui qui a régné un temps sur l'Europe. Plus étonnant encore est cette étrange amitié que ce dernier a noué avec un certain Honoré, poète sans le sou qui anime les salons de son verbe haut. 

Dans ce livre, les clins d’œil ne manquent pas comme celui adressé à J.R.R. Tolkien afin de nous rappeler, sans doute, ce que l'on doit au père fondateur du genre, même si depuis les écrivains se sont totalement affranchis du cadre. 

Les Chroniques d'Alvin Le Faiseur ont donné une pleine liberté d'écriture à Orson Scott Card lui permettant ainsi  de jouer entre la réalité et la fiction. 

Remarquablement bien écrit, cette saga nous embarque avec fluidité au point de rendre la séparation chaque fois plus douloureuse. 

Fantasy à la Carte

A lire aussi sur le blog mes avis sur Le Septième Fils, Le Prophète Rouge et L'Apprenti


Informations

Orson Scott Card
Le Compagnon
Tome 4
Les Chroniques d'Alvin Le Faiseur
9791036000676
480 pages
Editions L'Atalante

06/03/2021

Sylviane Corgiat & Bruno Lecigne, Le Jeu de la Trame, éditions Mnémos

Sylviane Corgiat & Bruno Lecigne, Le Jeu de la Trame, éditions Mnémos

Co-écrit par deux auteurs de science-fiction, Le Jeu de la Trame est, d'abord, paru chez Fleuve Noir, dans les années 80, sous la forme de quatre romans. Or, les éditions Mnémos viennent de dépoussiérer ce cycle en le rééditant en un intégrale. Quelle merveilleuse idée que d'offrir à de nouveaux lecteurs l'opportunité de découvrir cette incroyable oeuvre de fantasyC'est donc à quatre mains que Bruno Lecigne et Sylviane Corgiat se sont attelés à l'écriture de ce cycle. 

Reçu en service de presse, je remercie Estelle Hamelin et les éditions Mnémos pour l'envoi de ce livre.

Le Rêve et L'Assassin 

Ce premier tome s'ouvre sur Keido, un jeune homme de bonne famille qui vit paisiblement dans la demeure paternelle avec sa sœur. Tous deux entretiennent une relation forte et fusionnelle. Tout bascule lorsque son père souhaite de l'unir à la fille d'un notable voisin. Pour échapper au chagrin de voir son frère perdu à jamais, Kirikine choisit de s'ôter la vie. Ce suicide, Keido ne l'accepte pas, alors il décide de se lancer dans l'étrange quête de réunir les 39 cartes du jeu de la trame car selon la légende, elles donneraient le pouvoir de ressusciter les morts. 

L'Araignée

On retrouve Keido qui poursuit sa traque des cartes magiques. Après en avoir récupéré deux de haute lutte auprès de puissants seigneurs rivaux, le voici qui s'embarque vers une nouvelle destination, peut-être encore plus dangereuse. Il s'agira, cette fois-ci, d'infiltrer une secte, composée exclusivement de femmes aveugles, tellement endoctrinées que le jeune homme ne devra pas sous-estimer pour espérer tromper ces esprits rusés et arriver à ses fins...

Le Souffle de Cristal

Dans ce nouveau volet, les pérégrinations de Keido vont l'amener à traverser clandestinement la muraille de pierres pour s'aventurer dans les Terres de Cendre. Seulement, fouler cette terre aride et hostile ne sera pas sans danger sans pour autant être un gage de réussite pour mener à bien sa démarche insensée. 

Le Masque d’Écailles

Toujours dans le territoire des Cendreux, Keido s'entête et rejoint le palais d'un seigneur des Terres Fertiles exilé, dissimulé dans des grottes. Aveuglé par son obsession pour les cartes, il pourrait se heurter à une découverte majeure sur le jeu de la trame. Mais sera-t-il prêt à l'entendre ? 

Constitué de quatre romans, Le Jeu de la Trame est un récit efficace. Le fait d'avoir bénéficié du concours de deux écrivains y est sans doute pour quelque chose. En effet, comme chaque version écrite par l'un a été retravaillée par l'autre, comme le souligne Bruno Lecigne dans la préface, cela a donné naissance à un cycle remarquablement bien écrit et d'une grande fluidité. Sylviane Corgiat et Bruno Lecigne y enchaînent des chapitres courts où l'action est menée tambour battant

L'intrigue se cristallise autour d'un seul personnage, prénommé Keido qui ne craint pas d'affronter mille dangers pour ramener sa sœur d'entre les morts. Keido est un protagoniste troublé. Incestueux et violent, il n'agit que par intérêt personnel. Bien loin de l'archétype du héros menant une quête pour le bien collectif, Bruno Lecigne et Sylviane Corgiat ont cassé les codes pour nous proposer ici un anti-héros. Âme damnée, ce sombre personnage laisse derrière lui un sillage pour le moins sanglant car il n'hésite pas à assassiner à tour de bras. Avec un tel portrait, il serait légitime de le détester. Et pourtant, il n'en est rien car Keido est un être troublant. Plein de failles, il mène aveuglement sa mission par amour pour sa sœur. Je vous accorde que cette adoration a quelque chose de dérangeant, d'autant qu'il la voit partout, elle s'incarne même dans chacune de ses rencontres féminines. Cependant, torturé par cet amour inavouable, on est captivé par ce héros ambivalent. Narrateur principal de ce récit, on suit ses aventures avec une certaine fascination. D'autant que ce n'est même pas un guerrier, contrairement à ce qu'il veut faire croire à ceux qu'il rencontre. Usurpateur jusqu'au bout, ce piètre combattant n'obtient finalement ce qu'il souhaite que par la ruse et la fourberie. En mettant en exergue un personnage aussi atypique, les auteurs s'assurent déjà toute notre attention.

D'autre part, Le Jeu de la Trame met également l'accent sur une magie très particulière qui se manifeste par l'intermédiaire de cartes tissées en soie. Elles sont au nombre de 39 et confèrent à son détenteur un panel varié de pouvoirs. Ces cartes sont étroitement liées à l'existence du monde dans lequel évolue Keido. En effet, afin de protéger les Terres Fertiles du feu, un empereur a fait ériger autour d'elles une grande muraille de pierres, percée de 39 portes. Chaque porte est gardée par un seigneur à qui l'empereur a remis une carte avec la consigne de ne jamais les réunir. Mais relayée au plan du mythe, l'intégralité de la légende s'est perdue au fil du temps. 

En lisant Le Jeu de la Trame, on identifie rapidement les influences asiatiques qui viennent colorer cet univers d'un exotisme et d'un érotisme très marqués. Ainsi, cette muraille de pierres apparaît comme un clin d’œil à la Chine impériale moyenâgeuse. Ici, elle sert de barrière naturelle pour empêcher l'invasion des Cendreux et du mal du feu qui enflamme autant les hommes que les terres. 

Plus on s'enfonce dans l'histoire, plus on découvre un monde étrange et inquiétant. En compagnie de Keido, on traverse fiévreusement ce désert où naissent des créatures de feu à l'aspect vaguement humanoïde, dont le but est d'enflammer tout ce qu'ils rencontrent.

En outre, pour apporter du crédit à l'univers qu'ils ont imaginé, Bruno Lecigne et Sylviane Corgiat ont notamment ajouter en annexes, un index des archives et des manuscrits, conservés dans une bibliothèque afin de servir de mémoire à ce passé fondateur. En effet, la mention de ces documents : traités, poèmes, biographies ou encore dictionnaires sont autant d’éléments qui viennent donner corps à l'Histoire de ce monde imaginaire. 

Le Jeu de la Trame nous offre donc une épopée de fantasy orientale qui mêlent habilement sensualité, folie et violence. 

Avec ce cycle, les auteurs ont voulu marquer une rupture avec les canons du genre autant du point de vue de la construction de leur univers que du héros qu'ils ont choisi de mettre en scène. En écrivant un tel récit, Bruno Lecigne et Sylviane Corgiat se sont distingués en proposant un texte novateur et passionnant. 

Ainsi, les auteurs donnent à la fantasy un vrai souffle de liberté et d'originalité. Or, si d'aventure, vous ne l'avez pas encore lu, je vous invite chaudement à le faire car c'est une très belle pépite qui apporte beaucoup à cette littérature de l’Imaginaire. Pour moi, c'est assurément un coup de cœur. 

Fantasy à la Carte

Informations

Sylviane Corgiat & Bruno Lecigne
Le Jeu de la Trame
512 pages
978-2-35408-779-1
Editions Mnémos