L'influence du "gaming" à la littérature

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03/03/2020

Raphaël Bardas, Les Chevaliers du Tintamarre, éditions Mnémos

Les Indés de l'Imaginaire est un collectif qui fait office d'incubateur de talents. Telles des chasseuses de têtes, les éditions Mnémos, ActuSF et Les Moutons électriques s'associent régulièrement pour dénicher les plumes françaises de l'Imaginaire de demain. Et quoi de mieux pour les mettre en valeur qu'un événement comme "Les Pépites de l'Imaginaire" ! 

Cela permet ainsi à des nouvelles voix comme celle de Raphaël Bardas de faire une entrée fracassante dans le catalogue des éditions Mnémos. Je remercie d'ailleurs Estelle Hamelin qui m'a convaincue de lire cet excellent service de presse. 

Les Chevaliers du Tintamarre relate avec beaucoup de légèreté les destins improbables de trois compères qui s'improvisent chevaliers. Silas, Rossignol et la Morue sont trois frères de cœur et de bibine qui sont d'ailleurs plus enclin à lever le coude dans leur rade habituel que leur rapière pour sauver la veuve et l'orphelin. Mais voilà que leur cité de Morguepierre devient le théâtre de phénomènes étranges, pour ne pas dire inquiétants : des marie-morganes sont retrouvées échouées sur la plage et des jeunes femmes innocentes se font enlever par un duo effrayant formé d'un nain et d'un garguelard. Les trois amis sentent bien que quelque chose de mauvais se trame. Alors qu'il pourrait s'en moquer, voilà que Silas se sent l'esprit chevaleresque. Depuis qu'il a vu une jeune femme se faire enlever sous ses yeux, il n'y tint plus, veut prendre part à l'enquête et enrôle ses copains dans l'aventure. Arpenter la ville, mettre à jour de sombres secrets et récolter au passage les lauriers, voilà de quoi occuper notre trio de joyeux lurons pendant un certain temps. Mais espérons pour eux qu'ils n'aggravent pas la situation, ou pire encore se mettent en danger. 

Avec ce premier roman, Raphaël Bardas ne manque pas d'audace et nous livre un récit plein de panache. 

Cette fougue, on la retrouve déjà dans ses personnages. Il nous brosse le portrait de héros à des années lumières de l’archétype habituel. Bagarreurs, frondeurs, séducteurs, Silas, Rossignol et la Morue donnent le ton à cette folle aventure. Usant d'un langage fleuri, ces canailles n'ont aucun mal à nous donner l'envie de les suivre dans leurs investigations qu'ils mènent à cent à l'heure. Même s'il sont plutôt du genre à agir sans réfléchir, ils arrivent à nous surprendre dans leurs déductions. A eux trois, ils forment un tout qui semble invincible. Au milieu de la testostérone et des combats de coqs, Raphaël Bardas n'a pas manqué d'ajouter une touche féminine à son récit. Aussi, la très belle Alessa aura son rôle à jouer dans cette histoire. Fière et indépendante, elle refuse de n'être qu'une énième amante et promet de tenir la dragée haute à cette bande de benêts. L'auteur nous rappelle ici le plaisir de partager un bon moment en compagnie de personnages atypiques. 

Les Chevaliers du Tintamarre, c'est aussi un bel univers fantasy qui s'exprime à travers la cosmopolite et rugueuse Morguepierre. On y rencontre par exemple un Kobold, conservateur de bibliothèque, des Alfes bibliothécaires, un dieu Ogre ou encore des moines Cyclopes. Raphaël Bardas se joue des codes du genre en sortant notamment les créatures du bestiaire merveilleux de leur environnement habituel pour les placer dans des situations inattendues. 

Il se dégage de ce livre une aura d'originalité sublimée par une intrigue prenante. 

Pour un premier roman, Raphaël Bardas a su déjà imposer son style gouailleur et taquin en nous offrant une lecture que l'on n'est pas prêt d'oublier

Fantasy à la Carte
A lire aussi l'avis de L'ours inculte

Raphaël Bardas
Les Chevaliers du Tintamarre
Editions Mnémos

01/03/2020

Emmanuel Chastellière L'Empire du Léopard, éditions Critic

Mars marque le retour du "Mois de" chez Book en Stock. Pour cette nouvelle édition, Phooka et Dup donnent la parole à Emmanuel Chastellière. Son dernier roman, La Piste des Cendres, l'a naturellement imposé par le retour de ce rendez-vous littéraire.

Je remercie le blog Book en Stock pour ce nouveau partenariat et je vous invite à aller y faire un tour tout au long du mois afin d'en apprendre plus sur cette plume montante de l'Imaginaire français. 

Même si - je ne vous le cache pas - je suis très curieuse de lire son nouveau roman, je vais tout de même commencer par vous parler de L'Empire du Léopard

Emmanuel Chastellière nous emmène au royaume de Cornado, et plus précisément dans sa colonie de la Lune d'Or. On y suit une communauté de personnages dont le colonel Cérès Orkatz. Elle est chargée  d'y maintenir l'ordre et d'assurer la sécurité du vice-roi, Philomé. La conquête a été difficile et est incomplète. Les lieux ne sont donc pas sûrs. De plus, Cérès doit faire avec un maigre bataillon de soldats tout en devant faire face aux assauts violents d'indigènes rebelles. En outre, l'empire du Léopard résiste encore au Cornado, ce qui pèse davantage sur l'avenir de la colonie. Or, l'arrivée d'une missive proposant un rapprochement entre le Cornado et l'empire grâce à un mariage arrangé risque d'ébranler les certitudes de chacun. Est-ce la bonne solution pour mettre un terme au conflit qui les oppose ? Ou est-ce un piège ? Nul ne sait comment les choses vont tourner. Mais tous devront prendre la route pour affronter leur destin. 

Déjà cinq romans à son actif et une vingtaine de nouvelles, le cofondateur du site Elbakin est un auteur prolifique. Il excelle avec les mots en arborant avec brio sa double casquette de traducteur et d'écrivain. 

L'Empire du Léopard est une oeuvre riche qui aborde moult thématiques. La plus importante est sans doute celle du colonialisme qui fait office de fil directeur de l'intrigue. En alternant les points de vue, l'auteur nous met aussi bien dans la peau des colons que dans celle des colonisés. L'immersion est ainsi totale. On goûte à la défiance, à l'incompréhension, à l'intolérance, inévitables lorsque deux cultures se rencontrent pour la première fois. Cela génère souvent des déceptions et des conflits. Emmanuel Chastellière explore d'ailleurs avec beaucoup de talent cette délicate situation. 

L'autre élément important au cœur de ce texte est la place qu'occupent la religion et les cultes. La diversité des croyances provoquent des étincelles et des heurts. Pour preuve, l'abandon des anciennes croyances au profit du culte du Soleil au sein de l'empire du Léopard démontre bien la faille d'un tel agissement. On ne peut nier les cultures des uns et des autres sous peine de recevoir un terrible retour de bâton. 

L'Empire du Léopard est un récit enlevé et intense qui nous tient totalement en haleine. Emmanuel Chastellière y dresse le portrait de nombreux personnages aux personnalités variées. On s'attache à eux au fil des pages. On apprécie leurs petites histoires ainsi que les complots qui ne manquent pas d'éclore ici ou là. Une pléiade de héros qui, avec leur singularité, pimentent bien ce récit, à l'instar du personnage majeur qu'est Cérès Orkatz. Militaire accomplie et guerrière-née, elle peut aussi faire preuve d'une grande humanité. Meneuse d'hommes, elle sait fidéliser ses troupes. Pour autant, elle n'est pas un soldat sans âme et nous dévoile au fur et à mesure du livre ses zones d'ombre, ses doutes, ses fêlures et ses attachements. Elle est un personnage complexe qui donne la mesure du travail accompli par l'auteur pour offrir à son histoire des personnages fouillés. 

L'Empire du Léopard, c'est le gage d'une lecture passionnante, fruit d'un auteur de talent dont on n'a pas fini d'entendre parler. 

Fantasy à la Carte

Informations

Retrouvez les avis du blog Au Pays des Cave Trolls, et de Dup de Book en Stock

Emmanuel Chastellière
L'Empire du Léopard
Editions Critic

21/02/2020

Elodie Serrano, Cuits à point, collection Bad Wolf, éditions ActuSF

Nouvelle moisson de talents chez les Indés pour cette édition 2020 des pépites de l'Imaginaire. Côté ActuSF, on retrouve la plume d'Elodie Serrano avec un roman inédit, Cuits à point. C'est dans la collection Bad Wolf que ce dernier est publié. Je remercie Jérôme Vincent et les éditions ActuSF pour l'envoi de ce service de presse. 

Triés sur le volet, les livres édités sous ce label sont soigneusement sélectionnés. Alors on n'est pas surpris d'y retrouver les éléments qui font la force de Bad Wolf : intrigue enlevée, personnages hauts en couleurs et brin de légèreté. 

Cuits à point réunit tout cela et même plus encore. Elodie Serrano nous met dans les pattes d'un duo de démystificateurs régulièrement appelé pour démêler des affaires touchant au surnaturel. Enfin, il s'agit surtout pour eux de prouver l'arnaque là-dessous. Pour l'heure, c'est à Londres qu'ils doivent se rendre via un dirigeable afin d'élucider le mystère de cette canicule qui s'est abattue sur la capitale britannique en plein mois de février. Mandatés par le parlement des Lords, ils devront s'associer à un homologue anglais dont les convictions différentes pourraient bien ébranler les leurs. Cause naturelle ou surnaturelle, à eux de le découvrir. 

Sous le couvert d'une investigation à mener, Elodie Serrano évoque finalement une problématique très actuelle : l'urgence climatique. En effet, les causes de ce coup de chaud inopiné, c'est bien le fond du problème que doivent résoudre nos héros. Et même si l'autrice l'aborde avec beaucoup de dérision, surtout quand on en découvre les raisons, cela ancre bien sa fiction dans notre contemporanéité. 

Un mot sur les héros que nous brosse l'autrice. Elle a pris le parti de réunir un Français bougon et une Italienne exubérante. Le résultat est explosif et franchement drôle. Gauthier Guillet est si vieille France, si collet monté qu'il apporte malgré lui la touche de légèreté à ce roman. Renfrogné, querelleur, avec lui tout est sujet à chamaillerie comme en fera les frais l'Anglais qui vient leur prêter main forte dans cette enquête. Quant à Anna Cargali, elle est une héroïne rayonnante, toujours de bonne humeur et ne manque pas d'initiative. Elle fait même fi des convenances de son époque lorsque cela est nécessaire pour mener à bien ses missions. Passionnée comme le sont les Italiens, elle ne s'en laisse jamais compter. A eux d'eux, ils sont l'étincelle contribuant à rendre ce livre encore plus addictif. Mais, j'avoue apprécier également le flegme d'Anton Lloyd qui tient la dragée haute à Gauthier. Tout personnage secondaire qu'il est, il tient autant sa place que les deux autres.

Cuits à point ne manque pas de points forts comme l'univers dépeint. Je partage avec Elodie Serrano le même faible pour l'époque victorienne qui est propice à l'épanouissement d'une fantasy saupoudrée d'une touche "steampunk". D'ailleurs, d'autres auteurs aiment aussi y faire éclore leurs propres histoires comme Alex Evans et son roman, La Machine de Léandre dont je vous ai déjà parlé sur le blog. L'esthétisme que dégage cette époque donne à l'aventure son caractère passionnant. 

Voici une pépite de l'Imaginaire qui se lit d'une traite et se révèle comme un gros coup de cœur.  

Fantasy à la Carte

Découvrez l'avis des Carnets d'une Livropathe

Elodie Serrano
Cuits à point
Collection Bad Wolf
296 pages
978-2-37686-237-6
Editions ActuSF

18/02/2020

Guy Gavriel Kay, Tigane, éditions L'Atalante

Les éditions L'Atalante se sont illustrées en éditant des grands noms de l'Imaginaire. Parmi eux, il y a la plume de Guy Gavriel Kay qui est devenue, au fil du temps, incontournable pour les amateurs de fantasy historique. 

Auteur à succès, Guy Gavriel Kay voit, depuis quelques années, ses romans être réédités dans une nouvelle traduction chez L'Atalante. C'est ainsi que son second livre, Tigane est ressorti en librairie en 2018. Je remercie Emma des éditions L'Atalante pour l'envoi de ce nouveau service de presse qui me permet de continuer mon exploration des œuvres majeures de cet auteur. 

L'écriture de ce livre marque un tournant dans la carrière de Guy Gavriel Kay. En effet, après avoir écrit une première saga d'une fantasy très classique avec La Tapisserie de Fionavar, il s'est tourné vers l'épopée fantastique. Pari osé pour cet auteur qui a cherché très vite à se démarquer de ses homologues. Même s'il refuse d'écrire des cycles fleuves, l'ensemble de ses œuvres demeurent tout de même très denses. Il prend son temps pour planter le décor de chacun de ses livres et cela se ressent à la lecture. Tigane en est un bel exemple puisque le récit se raconte en 765 pages. 

On y suit une communauté de personnages qui, chemin faisant, se rejoignent pour mener à bien une belle et noble quête. La Palme est une péninsule qui s'est vue des années auparavant conquise par deux puissants sorciers. Tombées sous le joug de ces deux tyrans, les provinces-états qui composent cette péninsule ont perdu toute liberté. Pire encore, l'une d'elle, La Tigane, a même perdu son identité. En effet, en représailles de la mort de son fils, le mage Brandin d'Ygrath a souhaité la châtier de la pire des manières en effaçant son nom de la mémoire de tous. Pourtant une poignée d'hommes et de femmes se souvient. Parmi eux, le prince héritier Alessan de Tigane souhaite venger la disparition des siens et retrouver sa province. C'est dans cette quête que lui et quelques-uns de ses amis se lancent afin de reconstruire La Tigane et libérer La Palme toute entière. Seulement, anéantir deux sorciers n'est pas chose aisée surtout lorsque cela doit impérativement se faire simultanément. 

Inspiré de l'Italie de la Renaissance, on retrouve dans la gestion des cités-états qui composent La Palme un peu de l'influence des Médicis lorsque cette puissante famille exerçait son pouvoir en son temps. 

En suivant les pérégrinations d'Alessan et ses compagnons qui cherchent à rallier chaque province à leur cause, on explore une terre meurtrie, tout comme on rencontre des personnages résignés ou revanchards. Tous ont la même ambition de voir les tyrans tombés même si personne n'ose réellement y croire. 

Guy Gavriel Kay se fait l'auteur ici d'un grand récit d'aventure dont l'enjeu n'est pas des moindres puisqu'il s'agit ni plus ni moins que de la reconquête de sa liberté et de son identité. Il met en lumière l'importance de connaître ses racines, faute de quoi, celui qui en est privé est condamné à un profond mal-être. 

Une histoire menée par une poignée de héros tous plus attachants les uns que les autres. A travers leurs regards différents, ils nous permettent de prendre la mesure de l’horreur que vivent ces peuples déracinés ou envahis par des nations conquérantes. 

Guy Gavriel Kay est un conteur-né qui nous entraîne avec une grande facilité dans ses histoires. C'est une plume que l'on prend plaisir à lire. Même si le livre est épais, cela n'est en rien un obstacle à la lecture, bien au contraire !

Finalement, passés les premiers chapitres, Tigane devient vite un roman très immersif dont on a juste envie de connaître le dénouement. 

Fantasy à la Carte
Retrouvez les avis du Monde d'Elhyandra  et de Just A Word.


Guy Gavriel Kay
Tigane
Editions L'Atalante
A lire aussi sur le blog mon avis sur Voile vers Sarance