L'influence du "gaming" à la littérature

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28/09/2021

Stefan Platteau, Jaunes Yeux, tome 4, Les Sentiers des Astres, éditions Les Moutons électriques

Stefan Platteau, Jaunes Yeux, tome 4, 
Les Sentiers des Astres
éditions Les Moutons électriques

Depuis 2018, les inconditionnels de la plume de Stefan Platteau l'attendaient, il est en librairie depuis août dernier. Je vous parle, bien évidemment, de Jaunes Yeux, le tome 4 du cycle, Les Sentiers des Astres

Ayant lu Shakti et Meijo cet été, mon attente n'aura pas été longue mais mon plaisir demeure inchangé. 

Lu dans le cadre d'un partenariat avec Les Moutons électriques, je remercie Erwan pour l'envoi de ce service de presse. 

Alors que Maroué est acculée avec ses hommes sur la rive de l'Angmuir par les Souranès, les rares survivants de l'expédition, menée par le capitaine Rana, ont enfin rejoint la Voie au Roi. Ce n'est donc plus qu'une question de temps pour qu'ils rencontrent l'Oracle, sauf si les enfants de l'Hermine leur barrent une nouvelle fois la route ou que les Antiques qui ont survécu à la Gigantomachie, les trouvent avant. Mais ce ne sont pas les seules menaces qui pèsent sur cette quête car l'Outre-Songe, par l'entremise de Jaunes Yeux, interfère de plus en plus dans leur réalité, au point de leur faire courir un grand danger. Or, au milieu de tous ces périls, leur mission est peut-être déjà compromise ? 

Dans Jaunes Yeux, Stefan Platteau remet au premier plan la guerre civile opposant les Luari aux Souranès en glissant le témoignage du cadet de la maison de Marmach qui oeuvre aux cotés de ses hommes pour tenter de repousser un nouvel assaut des Souranès. C'est une manière pour l'auteur de remettre l'enjeu central de ce récit au cœur de sa narration. 

Avec ce tome 4, on goûte donc à la réalité de la guerre, ce qui bouscule le rythme du récit. Ce livre marque donc une rupture avec les précédents romans qui, eux, se lisaient davantage comme une balade onirique au cours de laquelle le lecteur était convié à appréhender ce merveilleux univers, nourri de mythes et de puissances célestes. En effet, à part quelques épisodes critiques menaçant la progression des protagonistes de Stefan Platteau, on a surtout eu affaire à un récit contemplatif qui nous a pleinement laissé le loisir d'apprécier cet univers fouillé. 

Aussi, au fil de ces livres, on parcourt les différentes réalités de son monde constitué de l'Héritage, une terre léguée aux hommes après que les Antiques aient repoussé les dieux impies du Vintou, le Vyanthryr, le royaume du Roi-Diseur servant également de refuge aux Teules et aux redoutables Nendous, et enfin l'Outre-Songe où règne le Seigneur des Trente chemins. 

Sous la plume de Stefan Platteau naît une cosmogonie cohérente et détaillée qui force le respect. Le monde qu'il décrit nous paraît aussi familier que mystérieux. On s'y sent bien car on y trouve des influences qui parlent à notre imaginaire collectif comme ces emprunts aux légendes celtiques où l'on retrouve, par exemple, la figure de la guerrière pour ne citer que cela. On s'attache complètement à tous ces lieux qu'il a imaginés car chacun d'eux suscitent chez le lecteur maintes émotions : peur, fascination ou émerveillement.

24/09/2021

Estelle Faye, Widjigo, éditions Albin Michel Imaginaire

Estelle Faye, Widjigo, éditions Albin Michel Imaginaire

Le 29 septembre prochain, Estelle Faye intègre le catalogue des éditions Albin Michel Imaginaire avec un nouveau roman qui s'intitule Widjigo.

Actrice, scénariste, réalisatrice, romancière, Estelle Faye cumule les casquettes. Sa plume talentueuse n'est pas passée inaperçue si l'on en croit les nombreuses distinctions déjà reçues pour récompenser certains de ses romans. Aussi, Porcelaine, légende du tigre et de la tisseuse reçoit le prix Elbakin en 2013, puis pour Thya (tome 1 de La Voie  des Oracles), ce sera les prix Elbakin et Imaginales en 2015 et enfin, Les Nuages de Magellan reçoit, quant à lui, les prix Bob Morane et Rosny aîné en 2019. 

Personnellement, j'ai un faible pour cette plume de l'Imaginaire francophone car depuis ma découverte des Seigneurs de Bohen, je n'ai pas cessé de lire ses autres livres, en continuant avec Les Révoltés de Bohen, Un Éclat de Givre ou encore Un Reflet de Lune

C'est donc avec un plaisir indéniable que je me suis plongée dans ce roman inédit.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Albin Michel Imaginaire, je remercie Gilles Dumay pour l'envoi de ce service de presse.  

1793, côtes de la Basse Bretagne,

Le jeune lieutenant de la République, Jean Verdier est chargé avec son régiment de ramener le noble Justinien de Salers, réfugié dans une forteresse, afin qu'il soit jugé par le tribunal révolutionnaire. Sur place, le vieux noble promet à Jean de le suivre sans faire de problèmes à la seule condition qu'il accepte d'écouter son histoire. Pour Jean, c'est le début d'une nuit étrange qui l'envoie sur la terre sauvage de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. 

Dans Widjigo, Estelle Faye confronte deux périodes historiques car on est tantôt en France sous la Terreur, tantôt à Terre-Neuve en 1753. Cela a le double intérêt narratif de dynamiser la lecture tout en nourrissant cette même ambiance diffuse d'angoisse.

L'intrigue principale prend donc cadre à Terre-Neuve, une île inhospitalière où plane l'ombre des croyances amérindiennes. Or, parmi leurs mythes demeurent, de manière prégnante, la légende du Wendigo, aussi nommé Widjigo chez les Algonquins. Il désigne un être surnaturel possédant une grande force spirituelle qui vit de préférence dans la forêt. Le Widjigo est également toujours associé à l'hiver, au froid et à la famine. On appréhende d'autant mieux son omniprésence entre ces lignes puisque Justinien de Salers se retrouve avec une poignée de compagnons, échoués sur l'île de Terre-Neuve après le naufrage de leur bateau. Très vite le froid, la faim et la peur vont se faire ressentir d'autant que la mort rôde et va frapper. Quand les survivants commencent à tomber, la suspicion s'installe. Pour Justinien de Salers, le criminel se cache peut-être parmi eux, à moins que ce soit l'oeuvre d'un autochtone ou d'un animal ? Toutes les hypothèses sont possibles et la folie gagne vite du terrain. 

Widjigo est un récit psychologique qui mêle du fantastique horrifique à quelques notes de thriller. Estelle Faye joue ici sur plusieurs tableaux et brouille bien volontiers les pistes. 

Elle s'appuie sur des personnages torturés qui cachent bien des secrets que l'on découvre petit à petit. Le héros lui-même, narrateur de cette histoire, ne nous dévoile son histoire que de manière diffuse. Il est si tourmenté que l'on en arrive parfois à s'interroger sur sa culpabilité. Quant aux autres personnages, ils ont tous une part d'étrangeté. Que ce soit le botaniste Clément Veneur qui avoue de suite à Justinien avoir été le seul survivant d'un massacre comme le jeune Gabriel faisant d'eux des êtres suspects aux yeux des autres. L’énigmatique métisse Marie, indienne de par sa mère, qui paraît toujours si froide et si détachée de tout et semble en savoir plus sur tout le monde. Le pasteur Ephraïm, aveuglé par sa foi et rongé par le remord, est inflexible avec sa fille Pénitence, quitte à la pousser à la névrose. 

La tragédie des histoires personnelles de chacun de ses personnages s'harmonise parfaitement avec l'ambiance lugubre que l'autrice a construit dans son livre.

Widjigo est un roman palpitant qui donne la chair de poule dès les premières lignes et dont il est impossible de se détacher avant d'arriver au terme de notre lecture. 

Les lieux décrits cadrent parfaitement bien avec les émotions que l'autrice cherche à susciter chez ses lecteurs : le trouble, le frisson, l'effroi et l'horreur.

Widjigo est un court roman incisif où l'affolement se dispute à la fascination. Tout y est pour ravir son public : le suspense, le meurtre, le secret et le mythe. La réalité et la légende se confondent, la frontière se trouble pour nous faire douter en permanence sur le contenu de ce que l'intrigue nous réserve.

Pari réussi pour Estelle Faye qui change complètement de registre en proposant avec Widjigo, un excellent roman d'épouvante.

Fantasy à la Carte

Sur la blogosphère, vous pouvez aussi lire l'avis de Just A Word.

Informations

Sur le blog, d'autres avis sont disponibles sur Les Seigneurs de Bohen, Les Révoltés de Bohen, Un Éclat de Givre et Un Reflet de Lune

Estelle Faye
Widjigo
978-2-226-45743-1
256 pages
Editions Albin Michel Imaginaire 

21/09/2021

Nicolas Texier, Les Ménades, éditions Les Moutons électriques

Nicolas Texier, Les Ménades, éditions Les Moutons électriques

Le 10 septembre dernier, Nicolas Texier a fait son grand retour au catalogue des éditions Les Moutons électriques avec un nouveau roman, intitulé Les Ménades

Après son cycle Monts et Merveilles, une uchronie mêlant magie et espionnage, il change de registre en proposant ici une fantasy teintée de mythologie grecque

Lu dans le cadre d'un partenariat avec Les Moutons électriques, je remercie Erwan pour l'envoi de ce service de presse. 

Dans Les Ménades, on marche dans les pas de Lyra, Enyô et Agamê, trois adolescentes qui entretiennent une belle amitié, en marge de leur communauté. Après la venue d'un mystérieux naufragé du nom de Lysio, toutes trois décident, un soir, d'aller célébrer Dionysos au cœur de la forêt. A leur retour, nos apprentie ménades sont effarées de découvrir leur village pillé et incendié. Les anciens ont été sauvagement assassinés, quant au reste de la population, elle a simplement disparu. Mais la stupeur laisse très rapidement la place à la colère, alors nos trois adolescentes décident de prendre la mer à leur tour afin de prendre en chasse les ravisseurs et délivrer les leurs. 

Les Ménades nous immerge dans la Grèce antique, dix ans après la célèbre guerre de Troie qui opposa Ménélas, le roi de Sparte au prince Troyen, Pâris après que ce dernier lui ait enlevé sa femme, Hélène. Ce conflit légendaire faisait partie d'un vaste cycle épique, dit le "cycle troyen" dont les œuvres sont aujourd'hui perdues, à l'exception de L'Iliade et L'Odyssée, attribués à Homère. Or, ces deux épopées, textes fondateurs de la culture grecque, puis romaine, constituent encore aujourd'hui une grande source d’inspiration pour les artistes et les écrivains. 

C'est clairement le cas de Nicolas Texier qui nous relate le destin tumultueux de ses trois héroïnes à la manière des épopées homériques. En s'embarquant dans cette aventure, Lyra, Agamê et Enyô empruntent certains mêmes chemins qu'Ulysse lors de son long périple de retour de Troie. Aussi, elles débarquent également sur l'île des cyclopes et rencontrent le fameux Polyphème, devenu aveugle suite à une ruse du roi d'Ithaque. Toujours très en colère, le cyclope accepte néanmoins d'aider les jeunes femmes dans leur quête, moyennant la fourniture d'une nourriture abondante. Plus tard, ce sont les terribles Lestrygons qu'elles doivent affronter car c'est auprès de ce peuple mythique de géants féroces et anthropophages que sont retenus les derniers membres de leur village. Enfin, tout comme Ulysse en son temps, elles pénètrent dans le royaume secret des Néréides et y croisent Thétis, la mère d'Achille. 

Pour bâtir son univers, Nicolas Texier s'est largement inspiré de la mythologie grecque en empruntant certains épisodes phares de L'Iliade et L'Odyssée ou en introduisant quelques divinités de l'Olympe. En choisissant d'insérer son intrigue dans une fantasy mythologique, l'auteur offre à ses lecteurs un cadre d'action enchanteur et fascinant. Finalement, cette mythologie reste peu utilisée par les auteurs du genre, c'est donc une agréable surprise que de lire ce texte qui ne manque pas d'originalité et de fraîcheur. 

En outre, avec Les Ménades, Nicolas Texier se fait l'auteur d'une intrigue passionnante, portée par trois jeunes héroïnes bouleversantes et attachantes. En effet, tenues à l'écart par les autres villageois, elles ont fait de leur différence une vraie force. Enyô est une orpheline qui a été trouvé bébé par l'un des villageois mais marqué par la guerre, c'est un homme brutal et violent qu'elle ne cesse de fuir depuis sa plus tendre enfance. Quant à Agamê, elle n'est pas plus intégrée à la communauté car sa carrure effraie et lui vaut la défiance de tous. Enfin, Lyra est la seule à avoir encore ses parents et pourtant elle ne sent pas plus à sa place. Voici trois êtres courageux qui s'engagent corps et âmes dans cette quête insensée afin de prouver à tous et à elles-mêmes leur valeur. 

Dans ce livre, on est donc complètement dans un roman d'initiation dans lequel les jeunes héroïnes vont vivre une multitude d'aventures qui vont les faire mûrir et passer à l'âge adulte. 

D'autre part, derrière Les Ménades, Nicolas Texier s'intéresse à des thèmes fondamentaux comme l'amitié, la ségrégation, la solidarité ou encore la tolérance. Il en résulte un roman assez foisonnant qui passionne autant par les questions qu'il pose que par l'univers imaginé. 

En conclusion, on se laisse complètement happer par la plume de Nicolas Texier car elle nous entraîne à perdre haleine dans un tourbillon de péripéties au sein d'un univers fabuleux qui continue de fasciner les nouvelles générations. Bien entendu, c'est un roman que je vous recommande !

Fantasy à la Carte

Informations
Nicolas Texier
Les Ménades
Éditions Les Moutons électriques

Lien vers le site 

19/09/2021

Embarquez pour le festival Méditerranéen Polar et Aventure


Pour la cinquième fois, Le Lydia jette l'ancre au Barcarès afin d'accueillir une nouvelle édition du Festival Méditerranéen Polar et Aventure qui met autant à l'honneur la littérature policière que les littératures de l'Imaginaire. 

Fort d'un programme riche et varié, les animations vont se succéder tout au long de ces trois jours du 24 au 26 septembre prochain. 

Aussi quelques très intéressantes tables-rondes vous seront proposées autour desquelles viendront débattre les auteurs invités. Dès le vendredi à 15h, il sera question de réfléchir sur l'engouement pour ces "mauvais genres" avec une première intitulée "Polar et littératures de l'imaginaire : des mauvais genres à succès ". Réservez votre samedi car dès 11h, il sera question de réfléchir à "la géopolitique explorée par la littérature de l'imaginaire" et à 15h, ce sera davantage une réflexion autour du métier d'écrivain avec "Devenir écrivain : Polar et littérature fantastique : même combat ?". Pour finir, le dimanche 26 septembre, la dernière table-ronde portera sur "Le polar nous fait voyager dans d'autres mondes". 

Mais que serait un festival sans distinction à remettre pour récompenser tel ou tel livre. Alors le Festival Méditerranéen Polar et Aventure propose également son prix Méditerranéen Polar. Juste avant la remise du prix 2021, les lauréats de 2020 ainsi que de 2021, respectivement Fabrice Papillon et Fabio Mitchelli, animeront une conférence qui portera sur "l’inspiration pour un polar : s'attacher au quotidien des faits divers ou puiser son inspiration dans l'imaginaire ?" 

En outre, réservez également vos soirées car le vendredi 24 septembre à partir de 20h30, vous pourrez participer à une enquête, "Clap de fin", à bord du Lydia (sur réservation) et pour les amateurs de Jazz, ne manquez pas le concert de Gramophone Stomp, prévu le samedi 25 septembre dès 20h30. 

Bien entendu une trentaine d'auteurs de littérature policière ou d'Imaginaire seront là pour dédicacer leurs romans. Alors n'hésitez pas à aller les rencontrer. Côté SFFF, il y a notamment Lionel Davoust (auteur de l'excellent cycle Les Dieux Sauvages), Franck Ferric (La Loi du Désert), Paul Beorn (Calame, Le Septième Guerrier-Mage, 14-14... ect), Benjamin Lupu (Les Mystères de Kioshe et Le Grand Jeu), Nicolas Texier (le cycle Monts et Merveilles et plus récemment Les Ménades), ou encore Florian Paret (Le Maître Horloger et L'Obsession). 

Voici une nouvelle édition qui se promet déjà passionnante dans un lieu remarquable et insolite. Bon embarquement !

Fantasy à la Carte

Informations

Festival Méditerranéen Polar et Aventure
Paquebot Lydia (sortie 13)
24,25 et 26 septembre 2021
Entrée libre
Horaires : vendredi de 14h à 20h30
samedi et dimanche de 10h à 12h30 et 13h30 à 19h30

17/09/2021

Ellen Klages, Passing Strange, collection Hélios, éditions ActuSF

Ellen Klages, Passing Strange, collection Hélios, éditions ActuSF

Connue pour ses romans historiques, Ellen Klages est également l'autrice de nombreuses novellas fantastiques. Passing Strange est l'une d'entre elles. Après avoir été finaliste du prix Nebula, elle est récompensée, en 2018, par les World et British Fantasy Award, ainsi que par le Gaylactic Spectrum Award

Pour les inconditionnels du poche, il vient de paraître en petit format chez Hélios dans une édition auréolée d'une couverture très graphique, signée Zariel.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions ActuSF, je remercie Jérôme Vincent pour l'envoi de ce nouveau service de presse. 

Dans le San Francisco de 1940, on croise Helen, Babs, Emily, Franny ou encore Haskel. Toutes sont des esprits libres et indépendants qui tentent de se faire une place au milieu de ce monde dirigé par des hommes et de trouver le bonheur. 

Amoureuse de San Francisco, Ellen Klages s'y installe en 1976. Passing Strange est l'une de ses novellas qui lui est dédié car l'autrice aime ici nous perdre dans le dédale de ses rues et ses ruelles dérobées. Cité très cosmopolite, on la découvre en passant d'un quartier à l'autre. Cités dans la cité, San Francisco incarne le parfait brassage culturel et cultuel. Ellen Klages nous immerge dans ses ambiances variées et nous grise par ses sons, ses couleurs et ses odeurs différents selon les endroits. A la suite de ses héroïnes, l'autrice nous ouvre la porte d'un San Francisco secret et prohibé. Aussi, on pénètre dans l'un des plus célèbres club sulfureux de la ville où les femmes n'hésitaient qu'à peine, à afficher leur homosexualité. Lieu de spectacle, de danse et de jazz, Chez Mona fut le premier bar lesbien ouvert aux Etats-Unis. Une institution qui lui vaut très vite l'intérêt des touristes et l'a beaucoup protégée des descentes de police, fréquentes à cette époque : l'homosexualité étant sanctionnée par la loi. Changement d'ambiance lorsque les pas des héroïnes d'Ellen Klages nous conduisent sur l'île artificielle de Treasure Island qui fut spécialement construite pour la foire internationale de 1939. Cette île incarne les ultimes moments d'insouciance où les gens étaient invités à s'émerveiller devant les dernières découvertes scientifiques et à s'amuser de manière générale. Or, le démantèlement de la Foire à la fin de l'année 1940 pour laisser la place à une base militaire, servant d'avant poste à l'armée américaine, lors de la seconde Guerre Mondiale a mis brutalement fin à cette douce indolence. 

Voici un cadre d'action bien à-propos qui épouse parfaitement la tonalité du récit passant du grain de folie à la gravité. Ce San Francisco uchronique nous fait non seulement fouler des lieux mythiques de la ville mais nous offre quelques belles rencontres, notamment, artistiques comme celle de Diego Rivera ou la mention de sa non moins célèbre épouse Frida Khalo. Bien documentée, Ellen Klages profite de son texte pour donner vie avec beaucoup de sensibilité au San Francisco de l'époque. C'est réussi car on s'y croirait !  

Plus que de prendre plaisir à se promener dans cette ville, érigée ici au rang de personnage à part entière, on apprécie également les héroïnes d'Ellen Klages qui nous étourdissent de leurs histoires. Bien qu'elles soient six, dans Passing Strange, on s'attache surtout à Emily Netterfield et Lorreta Haskel car c'est l'histoire de leur rencontre et de leur amour naissant qui nous est contée ici. L'une est une artiste qui vit de ses couvertures réalisées pour des pulps, l'autre est une chanteuse grimée sous l'identité d'un homme. Deux âmes opposées qui se sont trouvées pour briller ensemble, telles deux étoiles, dans ce monde hostile à l'égard des femmes. Alors qu'au premier abord, on aurait tendance à percevoir Loretta Haskel comme un simple bloc de glace. La vérité est que sous cette carapace qu'elle arbore telle une armure, se cache une très belle femme pleine de fêlures. Rejetée par sa mère, elle s'est construite auprès de rencontres artistiques qui l'ont façonnée en une toute autre personne. Clairement sa rencontre avec Emily va la bouleverser à jamais. Quant à cette dernière, elle n'est finalement pas l'oiseau fragile que son apparence laisse supposer. Renvoyée de l'école pour avoir été prise sur le fait d'aimer une autre fille, elle est reniée par les siens et envoyée au loin. Mais refusant le destin qui lui était réservé, elle a préféré s'en choisir un tout autre en débarquant à San Francisco. 

Ellen Klages nous brosse le portrait de deux êtres courageux qui ne vont pas hésiter de braver les interdits pour trouver le bonheur. 

En filigrane de cet amour, il est aussi question ici d'amitié et de sororité entre ces six femmes qui vont devoir se serrer les coudes pour affronter les dangers qui s'annoncent. 

Passing Strange est un récit plein de poésie. Plus qu'une balade amoureuse, c'est aussi une histoire de mœurs. Ellen Klages aborde avec beaucoup de délicatesse l'homosexualité, la xénophobie, ainsi que les discriminations qu'il en découle dans cette Amérique puritaine de l'Avant Guerre. Cette novella, à la fois tendre et terrible, nous prend au cœur et nous fait complètement perdre pied. 

Élégante et délicate, la plume d'Ellen Klages nous emporte donc sans mal avec elle et nous fait même passer par tout un éventail d'émotions tant la lecture est intense. 

Entre ses lignes, la magie prend corps subtilement par petites allusions ici ou là. Dans ce livre, des sorcières auraient par l'intermédiaire de l'Ori-kami, l'art ancestral du pliage, la capacité de créer des raccourcis spatio-temporels. Un don bien utile pour échapper à la vigilance des uns et des autres. 

Avec Passing Strange, Ellen Klages se fait l'autrice d'un récit bouleversant. Les pages défilent trop vite car on aimerait bien rester un peu plus longtemps en compagnie de ces femmes charmantes. Mais, c'est tout l'enjeu du format court de la novella, cela crée obligatoirement des frustrations. Heureusement elle a écrit d'autres textes partageant ce même univers, alors ce n'est peut-être qu'un simple au revoir. Qui sait !

Fantasy à la Carte

Sur la blogosphère, vous pouvez lire les avis du Bibliocosme, Au Pays des Cave Trolls et La Bibliothèque d'Aelinel.  

Informations
Ellen Klages
Passing Strange
Collection Hélios
978-2-37686-385-4
288 pages
Editions ActuSF