L'influence du "gaming" à la littérature

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10/06/2021

Marina & Sergueï Diatchenko, Numérique, tome 2, Les Métamorphoses, éditions L'Atalante

Marina & Sergueï Diatchenko, Numérique, tome 2, 
Les Métamorphoses, éditions L'Atalante

Alors que Vita Nostra a raflé tous les prix en 2020 (Grand Prix de l'Imaginaire, prix Imaginales, prix Elbakin et prix Planète SF des blogueurs), les éditions L'Atalante viennent tout juste d'éditer le second volet de ce triptyque. Une sortie très attendue qui devrait également fortement marquer le paysage littéraire de 2021. 

Reçu en service de presse, je remercie à nouveau Emma et les éditions L'Atalante pour leur confiance renouvelée. 

Dans Numérique, Marina & Sergueï Diatchenko nous attachent à un certain Arsène Snegov, un adolescent âgé de 14 ans qui, à l'image de sa génération, ne vibre que par les jeux vidéo. Complètement obnubilé par son monde virtuel, il délaisse les cours pour se consacrer exclusivement à sa passion. Tout bascule le jour où ses parents décident brutalement de le couper de son addiction. Privé d'ordinateur, il s'enfuit pour aller jouer en réseau ailleurs. C'est à ce moment qu'il fait la connaissance d'un certain Maxime qui lui fait l'incroyable proposition de l'engager pour devenir testeur de jeux vidéo. L'aubaine est trop belle pour refuser mais il aurait dû savoir qu'il y a un prix à payer à toute chose. Alors sera-t-il capable d'assumer toutes les conséquences de son choix ? 

Avec Numérique, les auteurs poursuivent leurs explorations de cette thématique des métamorphoses initiée dans Vita Nostra. Aussi, ce volet n'est donc pas une suite directe mais une nouvelle interprétation du roman d'apprentissage. Ainsi, ils mettent en scène ici un jeune homme en pleine quête d'identité comme l'était Sacha dans le premier volet. En revanche, cette quête ne se déroule pas dans l'enceinte d'une école car Arsène est un électron libre, déscolarisé qui s'enferme dans les jeux vidéo pour se forger une identité et une personnalité toute autre. Encadré par l'étrange Maxime qui lui sert à la fois de mentor, de protecteur et de grand frère, Arsène va doucement se métamorphoser en naviguant en eaux troubles où le réel se confond bien souvent avec le rêve. 

Numérique s'inscrit dans un Saint-Pétersbourg dystopique où la technologie s'est fortement développée, à l'insu de tous, excepté pour une poignée d'initiés. Par l'intermédiaire de leur récit, Sergueï & Marina Diatchenko pointent du doigt notre société moderne hyper-connectée et hautement surveillée dans laquelle les humains sont vissés à leur écran. Ils en sortent complètement déconnectés du réel et vivent dans un monde finalement très artificiel. Les interactions sociales disparaissent ou ne se font plus que par écran interposé. Pour preuve, quand on s'intéresse de près au fonctionnement du noyau familial d'Arsène. Au début du roman, on découvre des parents inquiets de voir leur fils accro aux jeux au point de sécher les cours. Mais parallèlement, ils n'ont aucun recul sur leurs propres agissements puisque l'on a d'un côté, la mère accrochée à sa tablette pour mater en boucle des blogs et de l'autre côté, le père qui lui, a, les yeux rivés sur l'écran de la télévision pour suivre les informations en continu. Ils ne perçoivent donc pas l'image qu'ils renvoient à leur fils ainsi que leur part de responsabilités dans les actes de ce dernier. Englués dans ce flux d'informations, ils perdent peu à peu le sens des priorités. Ainsi, les relations intrafamiliales se dégradent, les parents s'éloignent, des conflits éclatent et un inéluctable détachement s'installe progressivement.

L'addiction prend bien des formes et n'épargne personne. En s'imposant dans notre quotidien comme indispensables, les outils modernes prennent finalement peu à peu le contrôle de notre vie et sur notre manière de penser. 

Justement dans ce roman, les auteurs questionnent beaucoup sur la place de la manipulation et de l'influence dans la société. Ce sont d'ailleurs des techniques très utilisées en marketing publicitaire pour donner l'envie et créer le besoin chez le consommateur afin d'augmenter les ventes de tel ou tel produit. Mais qu'en est-il quand ces mêmes procédés sont utilisés pour influencer l'opinion publique sur des sujets fondamentaux ? 

A travers leurs deux personnages principaux, les auteurs abordent cette question de la manipulation en commençant par celle utilisée consciemment ou inconsciemment par Arsène qui en use notamment dans le jeu. C'est la raison pour laquelle il est remarqué et approché par Maxime qui voit en lui un parfait sujet d'étude et un outil-clé pour accomplir ses desseins. En outre, il lui fait ainsi prendre conscience de l'omniprésence de l'influence car elle est utilisée partout et par tous. 

A travers ce nouveau regard qu'il pose sur son environnement, on découvre le monde de faux-semblants qui nous entoure. A force de se plonger dans le virtuel, l'humanité perd pied et de fait, se coupe de ce qui fait son essence. Avec Numérique, Marina & Sergueï Diatchenko signent un roman noir glaçant qui nous fait très vite perdre pied pour nous projeter dans une réalité loin d'être absurde. En effet, avec le numérique qui dicte progressivement notre quotidien, les auteurs s'interrogent finalement dans ce roman sur la place actuelle de l'humanité. A l'heure où l'on parle beaucoup de transhumanisme, est ce que celui-ci ne passerait justement pas par ce que ce livre énonce ? 

Numérique est donc un récit aussi intrigant qu'il est dérangeant pour le questionnement qu'il pose et l'avenir qu'il suggère. 

Le duo formé par Arsène et Maxime contribue à nous ancrer davantage dans l'histoire. Que ce soit l'adolescent rebelle ou l'énigmatique et secret adulte, leur relation conflictuelle et chaotique émaille ce texte d'un intérêt sans cesse renouvelé. Tout au long de ce livre, on reste captivés par leur personnalité qui s'entrechoquent régulièrement. Que ce soient les réactions ou les découvertes d'Arsène ou bien les non-dits et les mensonges de Maxime, on ne sait pas exactement où l'on va et on s'attend même au pire au prochain chapitre. 

Les auteurs se sont beaucoup amusés à brouiller les pistes avec ces personnages pour nous laisser volontairement dans le flou et nous tenir en haleine jusqu'au bout. 

Personnellement, je trouve que ce tome 2 est plus facile d'accès que le premier. L'histoire est prenante et est écrit avec une grande fluidité. Les plumes de Marina & Sergueï Diatchenko se mêlent encore une fois très harmonieusement pour nous écrire une récit bien ficelé. 

Avec Numérique, les auteurs ukrainiens frappent fort une nouvelle fois en nous offrant un récit captivant qui va faire grand bruit.

Fantasy à la Carte

A lire sur le blog, mon avis sur Vita Nostra, et sur la blogosphère, la chronique d'Elbakin

Informations

Marine & Sergueï Diatchenko
Numérique
Tome 2
Les Métamorphoses
9-791036-0007768
416 pages
Editions L'Atalante

05/06/2021

Tad Williams, La Légende du Noble Chat Piste-Fouet, éditions Mnémos

Tad Willians, La Légende du Noble Chat Piste-Fouet, éditions Mnémos

Avant de connaître le succès avec son cycle, L'Arcane des Épées, Tad Williams s'est essayé à l'animal fantasy avec son premier roman, intitulé La Légende du Noble Chat Piste-Fouet.

Je profite de sa réédition aux éditions Mnémos pour vous en parler et remercie Estelle Hamelin pour ce nouveau partenariat. 

Je ne vous cache que ce ne fut pas une lecture facile et pour cause, lire un roman mettant les chats à l'honneur quand on a deux chiens à la maison, c'est risqué, à tout moment, de voir le livre être mis en pièces. Heureusement avec un peu de ruse, on arrive à tout. 

Dans La Légende du Noble Chat Piste-Fouet, on file le train à un jeune chat, prénommé Fritti Piste-Fouet qui, du jour au lendemain, doit quitter le refuge du Vieux-Bois pour s'engager dans des chemins inconnus. Mais a-t-il un autre choix ? Quand sa bonne amie Patte-Feutrée disparaît et dont le sort n'inquiète personne, lui seul est à même de se rendre à la cour d'Harar signalé sa disparition et trouver de l'aide auprès de ceux qui savent. Ainsi, commence l'histoire du célèbre chat, Piste-Fouet. 

Comme le titre l'indique, on ne s'étonne donc pas de lire dans ce roman une histoire de chats. En effet, Tad Williams a imaginé une société féline dans laquelle l'homme n'a qu'un rôle mineur, relayé au rang de serviteur, bon à fournir un abri et une gamelle quand la chasse est mauvaise. Pour preuve ici, il y est que très brièvement mentionné. Ainsi, à travers le regard de Fritti Piste-Fouet, on découvre une société féline structurée et hiérarchisée avec à sa tête une reine et un prince consort, que les chats peuvent consulter en cas de litiges et/ou pour recevoir un conseil. Les chats se partagent le territoire par clans mais aiment se retrouver à des moments-clés du mois lors d'assemblées afin d'échanger des histoires et des contes. Ils ont une culture orale très marquée et se transmettent les légendes de leur Peuple lors des veillées en les chantant. Ainsi, ce texte dégage un bel esthétisme poétique à travers ces fameux chants disséminés au fil des pages pour nous faire découvrir les plus grandes épopées de ce Peuple. 

De plus, leur vie est cadrée par des rituels de passage marquant des moments importants. Ainsi, la cérémonie d'imposition du nom y est fondamentale. C'est pourquoi, chaque chat dispose d'un nom de cœur donné par leur mère à la naissance et connu que des proches, ainsi que d'un nom de visage, choisi par les Anciens lors de la première assemblée. Alors que le premier est tiré de la langue ancienne du Haut-chant, le second, lui, provient du Chant-commun et est utilisé partout et par tous. 

Mais La Légende du Noble Chat Piste-Fouet est aussi un roman d'action où le danger menace tout du long ces boules de poils. En effet, de sombres créatures rôdent et enlèvent les chatons et les jeunes chats. D'ailleurs, pris en chasse par plusieurs d'entre elles, Piste-Fouet sera très longtemps bien incapable d'en faire une description précise. Bien souvent submergé par la peur, la fuite sera son salut jusqu'à ce qu'elle ne soit plus possible. Voilà qui teinte ce texte de quelques notes horrifiques où plane l'ombre du mal.

Comme souvent en littérature fantasy, la lutte entre le Bien et le Mal se dessine également ici, à travers ces félins dégénérescents que Fritti  va devoir affronter pour tenter de libérer son Peuple de leur joug et sauver, si possible, sa bien-aimée. Ainsi, Fritti Piste-Fouet arbore ici une âme chevaleresque même si sa nature de chat revient souvent au galop. On ne se refait pas. Alors comme ses congénères, il arrive qu'il se laisse emporter par ses instincts de chasseur et en oublie le but de sa quête mais - rassurez-vous - jamais pour très longtemps. Ainsi, on découvre en Fritti, un héros courageux, un brin têtu et débrouillard malgré lui. A l'image de ses pairs, on retrouve bien toutes ces caractéristiques félines que les familiers des chats reconnaîtront sans peine. Pour l'accompagner dans sa périlleuse mission, l'auteur lui a adjoint un chaton du nom de Bond-Vif qui lui vaut une vénération sans bornes. 

Bien entendu, ce duo nous apparaît bien improbable pour affronter les méchants mais c'est justement tout l'intérêt de ce livre. C'est également un récit d'apprentissage dans lequel l'auteur explore la quête d'identité. 

Avec ce récit, Tad Williams signe un bel hommage à cette noble espèce qui sait toujours tenir la dragée haute à son entourage, y compris aux humains car ne dit-on pas des propriétaires de chats qu'ils habitent chez leurs compagnons à poils et non l'inverse. 

La Légende du Noble Chat Piste-Fouet revisite sous un angle d'originalité les codes de la fantasy. Même si l'on retrouve parfois le chat dans des récits du genre, j'en connais personnellement aucun qui lui soit exclusivement consacré comme c'est le cas ici. Si ce n'est le célèbre cycle des Chroniques de Narnia de C.S. Lewis, peu d'auteurs ont d'ailleurs franchi le pas d'écrire de la fantasy animalière. 

Ce livre nous apparaît d'autant plus précieux, un classique du genre que l'on découvre ou redécouvre grâce aux éditions Mnémos. Rafraîchissant ! 

Fantasy à la Carte

A lire sur la blogosphère, la critique du site Elbakin

Tad Williams
La Légende du Noble Chat Piste-Fouet
978-2-35408-906-1
368 pages
Editions Mnémos

01/06/2021

Floriane Impala, La Brigade du Surnaturel, collection Naos, éditions ActuSF

Floriane Imapala, La Brigade du Surnaturel, éditions ActuSF

Avec La Brigade du Surnaturel, Floriane Impala fait une entrée tonitruante au catalogue de Naos. Du haut de ses 600 pages, La Brigade du Surnaturel est le genre de roman que l'on n'a pas envie de lâcher et que l'on referme avec un gros pincement au cœur. 

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions ActuSF, je remercie Jérôme Vincent pour l'envoi de ce service de presse. 

Inspectrice à la BMS (Brigade de la Magie et du Surnaturel), Claire Defontaine traque et élimine les humains contaminés par la magie. En effet, depuis trois ans sévit une pandémie qui infecte les humains d'une magie instable qui les consume faisant d'eux de véritables bombes humaines. Alors que sa dernière intervention connait un dénouement mortel, Claire est sommée de faire équipe avec un incube pour résoudre une enquête top secrète concernant la communauté des surnaturels. Louvoyer dans ce monde inconnu promet de lui compliquer la tâche sans compter les dangers encourus mais a-t-elle un autre choix ? 

La Brigade du Surnaturel cumule toutes les qualités d'un roman coup de cœur. C'est une oeuvre à tiroirs qui mêle harmonieusement l'enquête policière à la fantasy tout en revisitant les mythologies.

La Brigade du Surnaturel s'enorgueillit donc d'un univers fantasy très travaillé. En effet, Floriane Impala y interpose notre monde à celui des Limbes où se croisent démons, anges et dieux. Par le truchement de son enquête, Claire découvre ce monde parallèle dont elle soupçonnait déjà l'existence depuis le suicide de son père. Missionnée par le diable en personne, elle est chargée d'élucider un crime sanglant qui a entraîné la mort violente d'une puissante succube et de plusieurs de ses clients humains. Au fil des rencontres surnaturelles que fait Claire, l'autrice lève le voile sur les Limbes, royaume miroir au nôtre, très hiérarchisé où chaque divinité se dispute le pouvoir. C'est dans ce nid de vipères que l'inspectrice met les pieds sans savoir que des jeux de pouvoir sont à l'oeuvre et tout y est faux-semblant. Ici, les mythologies se télescopent et on ne s'étonne donc pas de voir le panthéon nordique côtoyer, par exemple, celui de la Grèce antique. Floriane Impala s'est réappropriée avec beaucoup d'habileté ces mythologies pour nous immerger dans une intrigue dont les fils sont tirés par les déités les plus rusées. Ni blanc, ni noir, on foule un territoire inconnu où les résidents sont habités par les mêmes sentiments et passions que les humains. Tout y est juste plus exacerbé. Dans son roman, Floriane Impala joue finement avec ces mythes et les codes du polar pour nous dessiner un univers finalement très crédible auquel on adhère complètement. 

Adossé à cet univers solide, on apprécie le duo qu'elle met en scène car il donne à ce récit toute sa dynamique. En jouant d'emblée sur leurs antagonismes, l'autrice donne le ton à son texte en nous promettant de savoureux moments. Et pour cause, Claire Defontaine et Keziah sont, de prime abord, aux antipodes l'un de l'autre. Lui est un irrésistible immortel qui, par sa nature d'incube, dégage une puissante aura de séduction alors qu'elle est surtout obnubilée par son travail, fermée à toute forme de relation sérieuse ou non. Mais contrairement à ce que vous êtes en train d'imaginer, Floriane Impala n'a pas cédé à la facilité dans l’évolution potentiellement prévisible de leur relation. Contraints de collaborer, ils vont, bien entendu, apprendre à se connaître mais aussi et surtout se découvrir eux-même. Même si plane un parfum de "je t'aime, moi non plus" au-dessus d'eux, même s'il y a parfois une petite jalousie qui s'installe entre eux, leur relation va surtout emprunter des chemins inattendus. 

Si, au premier abord, on perçoit Claire surtout comme une femme froide, elle cache en réalité sous sa carapace une personnalité plus complexe que cela. Nourrie par des drames personnels, sa personnalité est surtout faite de force et de faiblesse qui s'affrontent en permanence. C'est une vraie héroïne badass qui dégaine son arme à tout bout de champ car elle est plutôt du genre à tirer avant de parler. Après tout, c'est aussi ce qui fait son charme. A ses côtés, Kesiah est un séducteur, sûr de ses atouts. Sa rencontre avec Claire va vite le décontenancer et pour cause, elle lui résiste. Énigme l'un pour l'autre, au fil de l'enquête, ils vont apprendre à se connaître et nous révéler, par la même occasion, des pans insoupçonnés de leur personnalité. Je dois reconnaître qu'on craque franchement pour ces deux héros qui nous offrent sur un plateau une aventure fort captivante. 

Le style de l'autrice y est aussi pour quelque chose. Il faut dire que ses premières lignes nous mettent directement dans le bain avec une inspectrice sur les nerfs qui tire sans sommation sur Kesiah alors même que la pièce dans laquelle les deux protagonistes se trouvent est plongée dans le noir.

Ainsi, on prend de suite, la mesure de l'aventure "rock'n'roll" que nous promet l'autrice.

Avec La Brigade du Surnaturel, j'ai découvert une nouvelle signature de l'Imaginaire et le moins que je puisse dire, c'est que l'alchimie a pris de suite car c'est un énorme coup de cœur !

C'est un roman si vivant, vibrant et captivant que j'espère juste y replonger bientôt. 

Fantasy à la Carte

Floriane Impala
La Brigade du Surnaturel
Collection Naos
978-2-37686-357-1
608 pages
Editions ActuSF

28/05/2021

Ellen Kushner, Thomas le Rimeur, éditions ActuSF


Ellen KushnerThomas le Rimeur, éditions ActuSF

En ce mois de mai, la très belle et délicate plume d'Ellen Kushner fait son grand retour au catalogue des éditions ActuSF avec la réédition de Thomas le Rimeur. Mais, point d'escrime entre ces lignes car Ellen Kushner a laissé son cher Richard Saint-Vière à ses combats (A la pointe de l'épée) pour laisser la place à une magie ensorcelante, portée par un irrésistible joueur de harpe.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions ActuSF, je remercie Jérôme Vincent pour l'envoi de ce service de presse qui confirme mon attachement à l'imaginaire foisonnant de cette autrice.

Ménestrel talentueux qui lui vaut le surnom de Rimeur, Thomas est également un très beau jeune homme qui plaît aux femmes et sait en profiter sans vergogne. Un soir d'hiver, il trouve refuge chez un couple d'éleveurs de moutons qu'il prend immédiatement en affection. Ils sont un peu comme les parents qu'il n'a jamais eus car Thomas est orphelin. Dès lors, dès que ses obligations le lui permettent, il n'hésite pas à leur rendre régulièrement visite. Or, un jour qu'il séjournait chez eux, il eut envie d'aller flâner seul dans la campagne. C'est ainsi qu'il rencontra la reine des Elfes qui le mit au défi de l'embrasser et cet indécrottable charmeur fut bien incapable de lui résister sans savoir que cela allait l'engager à la suivre au pays des Elfes pour la servir pendant sept années. Telle est l'incroyable histoire de Thomas le Rimeur, emporté au pays des fées pour vivre une grande aventure mais qui ne sera pas sans conséquences. N'en doutez pas !

Récompensé par le World Fantasy Award et le prix Mythopeic en 1991, la poésie et l'esthétique de ce texte ne sont, sans doute, pas étrangers à ces distinctions. 

Dans ce récit, Ellen Kushner nous conte la fabuleuse destinée d'un ménestrel. Bien que sa profession le conduise à fréquenter les plus belles cours royales et à rencontrer les esprits les plus éclairés, ce n'est pourtant pas cela qui est le plus remarquable dans la vie de ce joueur de harpe. Pour sûr, son nom fleurit sur de nombreuses lèvres, surtout féminines car il est vrai que son charme est ravageur tout comme ses talents de musicien. D'ailleurs, ses allers et venues sont toujours très attendues. Sa notoriété est si rayonnante qu'elle a même attiré l'attention de la reine des Elfes qui l'invite en son royaume. Ainsi, le destin exceptionnel de Thomas le Rimeur est marqué par son séjour en féerie qui le fait entrer dans la légende. A sa suite, on pénètre le jardin secret du monde invisible du petit peuple des fées. On s'émerveille devant cette nature chatoyante, on goûte aux banquets sans fin des créatures féeriques et on participe aux improbables chasses d'insaisissables chimères. A l'image des compagnons d'Arthur Pendragon, Thomas succombe à son tour aux douces promesses d'une enchanteresse. Ainsi, Ellen Kushner a nourri son récit du mythe arthurien en y empruntant les mêmes codes de narration. En lisant Thomas le Rimeur, j'y ai retrouvé autant de la geste arthurienne que de certains classiques fondateurs du genre comme La Fille du Roi des Elfes de Lord Dunsany. En effet, ce roman d'Ellen Kushner y partage cette même ambiance teintée d'un merveilleux originel propre à ces récits pionniers. 

Entre ces lignes, la magie prend et nous ensorcelle pour nous immerger dans une histoire fascinante, auréolée de séduction et de fascination. Amour courtois et passion charnelle s'entrecroisent entre ces pages pour nous livrer un récit passionnel et passionnant. 

En outre, en alternant les points de vue de ses quatre personnages principaux, l'autrice signe une oeuvre chorale bien rythmée. Les niveaux de langage utilisés selon qui narre l'histoire nous immerge pleinement dans ce Moyen-Âge revisité. Tantôt subjugué par les jeux de mots, tantôt envoûté par les vers, Thomas le Rimeur est un conte très plaisant à lire. Alors comment ne pas tomber également sous le charme de ce ménestrel ? 

Personnage solaire qui capte l'attention dès les premières lignes du livre, on le découvre d'abord à travers les yeux attendris de Meg et Gavin qui le voient comme un fils. Courageux, débrouillard et talentueux, il a l'art et la manière de se faire apprécier de son entourage. Et ce n'est pas la volcanique Elspeth qui viendra démentir ces propos car elle-même va finir par tomber dans ses filets. Mais, elle n'est point comme ses autres amantes écervelées, Elspeth l'a percé à jour depuis longtemps. En cela, elle est bien son âme sœur car c'est elle qui le comprend le mieux. L'autre personnage féminin de ce roman est la flamboyante reine des Elfes que l'on découvre à travers le regard subjugué de Thomas. Une femme puissante entourée de mystères qui joue beaucoup de ses charmes pour abuser et dominer le Rimeur. Thomas est donc bien la figure centrale de ce roman. D'un jeune godelureau, il devient donc un sage car tel est le prix à payer lorsque l'on passe par le pays des fées.  Ainsi, Thomas le Rimeur est aussi un récit d’apprentissage. 

Avec ce livre, Ellen Kushner m'a fait voyager dans cette fantasy chère à mon cœur qui renoue complètement avec le merveilleux celtique. C'est un pur enchantement ! 

Fantasy à la Carte

A lire aussi A la pointe de l'épée d'Ellen Kushner. 

Informations

Ellen Kushner
Thomas le Rimeur
350 pages
Editions ActuSF

26/05/2021

Daylon, Mécaniques Sauvages, édition Courant Alternatif

Daylon, Mécaniques Sauvages, éditions Courant Alternatif

Sous la houlette des Moutons électriques, leur nouveau label, Courant Alternatif, cherche à promouvoir des textes forts et engagés. Dans un paysage éditorial et littéraire de plus en plus marqué par cette démarche d'éveil des consciences, ce genre de récits arrivent à point nommé pour intéresser et toucher le lecteur d'aujourd'hui et de demain. 

Parmi les nouveautés parues au catalogue de cette nouvelle collection, il y a Mécaniques Sauvages de Daylon, un roman dont il faut absolument que je vous parle. 

Mais avant de commencer, je remercie Erwan et les éditions Les Moutons électriques pour ce nouveau partenariat. 

Dans Mécaniques Sauvages, on est propulsé dans un Paris devenu le centre de l'univers. Entourée de vastes étendues désertiques, la capitale parisienne semble le seul noyau de vies dans ce monde désolé. A sa tête, on trouve une certaine Alma Parisi, héritière directe de la lignée royale. Pourtant Paris n'est pas une monarchie mais bien une république. Même si certains membres de sa famille, tous parlementaires et loyalistes, ne rêvent que de renverser le système politique en place. Mais forte de sa mainmise sur les collecteurs d'eau, grand enjeu dans ce monde désertique où l'eau est devenue une denrée rare, Alma tient fermement pour le moment les rênes du pouvoirs. Parallèlement, on suit le couple formé par Jaz et Isobel, deux simples employés de multinationales qui vont découvrir bien malgré eux qu'une révolte se trame en coulisses. Dans un monde exsangue, en proie aux luttes pour le pouvoir et à la guerre d'influence, la révolution est en marche. 

Avec Mécaniques Sauvages, Daylon signe un univers féroce qui bouleverse les certitudes. En mélangeant les genres, il dessine les contours d'un monde fouillé et fouillis. Ainsi, entre ses lignes notre réalité côtoie l'inconnu et l'improbable. L'auteur nous emmène dans un Paris familier où l'on retrouve bien ses rues et ses quartiers bordés par ses faubourgs industrieux, à l'image de La Défense. Seulement, la vie s'arrête là car au-delà on ne trouve que du désert. Bouleversement climatique oblige, le désert a gagné l'espace en grignotant toute vie aux alentours. Devenue le centre de l'univers, Paris semble l'unique refuge pour cette humanité survivante et standardisée. Salariés de grandes multinationales, les derniers habitants de la terre ont finalement une vie réglée par des automatismes précis agissant selon une routine personnelle qui ne doit pas être bouleversée sous peine d'entraîner dérèglements et anomalies dans leur quotidien. A la différence des automates rencontrés ici comme Monomachine qui, grâce à une technologie avancée est capable d'autonomie et d'analyse. Ici, les machines vivent parmi les hommes et ils y ont une place dominante. Pire encore, ils menacent même de prendre le pouvoir. Ainsi, Daylon imprime à son récit des influences différentes en empruntant autant à la science-fiction d'anticipation que post-apocalyptique. Mais, il y a ajouté également une dimension mythologique qui complexifie un peu les choses en faisant référence, par exemple, à l'existence d'un dragon en plein réveil dans les entrailles de la terre ou encore au soleil désigné ici comme Amon, clin d’œil à l'une des principales divinités égyptiennes lorsqu'il est qualifié de dieu cosmique, maître de tout. Il en ressort un univers pluriel et ambitieux mais dont la complexité a parfois égaré ma pleine compréhension de l'histoire.

Mécaniques Sauvages, c'est un roman court très bien rythmé. Il faut dire que l'écriture y est nerveuse comme si l'auteur cherchait à rappeler à ses lecteurs l'urgence des enjeux mis en exergue dans son livre. Entraîné à la suite des personnages de Daylon, on prend vite conscience que quelque chose se prépare, que ses protagonistes sont assis sur une poudrière sur le point de faire basculer leur monde. 

Derrière Mécaniques Sauvages, l'auteur dissèque notre société en alertant quelque peu sur ses travers et ses dérives. Avec sa plume incisive, il est sans pitié pour nous décrire un monde en déliquescence corrompu par la politique, uniformisé socialement et dominé par l'intelligence artificielle. Mécaniques Sauvages nous emmène finalement dans un monde au bord du gouffre où la révolte gronde car c'est bien le fil directeur de ce roman. Entre ses pages, on apprécie de l'intérieur les mécanismes d'une révolution en marche jusqu'à son éclosion, même si, ici la liberté vient de là où on ne l'attend pas. 

Oeuvre étonnante, forte d'un message percutant, Mécaniques Sauvages questionne sans relâche sur les fondements de notre société. 

Les personnages de Daylon apparaissent comme autant de voix dissonantes dans ce milieu très normé. Que ce soient Isobel et Jaz d'un côté, qui s'interrogent sur des anomalies survenues dans leur travail les poussant à enquêter pour en comprendre les raisons ou Alma, de l'autre côté, qui, pour empêcher un putsch, prend l'initiative d'en orchestrer un elle-même au nom de la liberté. Les protagonistes de Daylon sont pour le moins aussi étonnants qu'anticonformistes, à l'image du récit qu'ils portent. 

Avec Mécaniques Sauvages, Daylon se fait l'auteur d'un texte à la mesure de nos attentes quant aux fictions que l'on souhaite découvrir au sein de ce nouveau label. 

Fantasy à la Carte

Informations

Daylon
Mécaniques Sauvages
978-2-36183-704-4
240 pages
Editions Courant Alternatif