L'influence du "gaming" à la littérature

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13/09/2023

Ina Siel, Le Cercle des Géographes, T.1, Emblèmes, Naos, éditons Mnémos

Ina Siel, Le Cercle des Géographes
T.1, Emblèmes
Naos, éditions Mnémos 

Autrice de science-fiction et de fantasy, Ina Siel aime beaucoup se perdre dans ses mondes imaginaires clairs-obscurs. 

Après un premier roman, Le musée galactique des choses disparues, publié aux éditions Haro, en septembre 2022, la voici de retour avec un nouveau titre édité, cette fois-ci, chez Mnémos.

Avec Emblèmes, premier tome d'une duologie, l'autrice a quitté les rivages de la dystopie mâtinée de cyberbunk pour accoster sur le territoire d'une fantasy, teintée d'obscurité. 

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Mnémos, je remercie Estelle Hamelin pour l'envoi de ce service de presse.

Résumé :

Érèbe d'Aigremort préfère la compagnie de son loup et la solitude de la forêt, plutôt que celle de ses semblables pleine de mesquinerie et de moquerie. Sur son compte courent les pires rumeurs, sa présence suscite tantôt l'effroi, tantôt la haine car les gens préfèrent se fier aux mauvaises langues plutôt que de faire leur propre opinion. Alors qu'il pensait demeurer seul, l'héritière de la maison Vonburg de Souale souhaite le rencontrer pour l'épouser. Il est vrai que la dot qu'elle apporte pourrait sauver le domaine de la ruine mais pourquoi désire-t-elle tant épouser un monstre ? Cécilie n'accorde que peu d'importance aux commérages et elle compte bien obtenir par son union un ticket d'entrée pour la Scientifica où elle espère trouver sa place et s'épanouir. Seulement son manque d'honnêteté et l'emballement des évènements pourraient bien lui coûter son rêve ?

Mon avis :

Dans Emblèmes, Ina Siel nous ouvre les portes d'un univers merveilleux et occulte qui oscille entre science et magie. Ce monde se divise en trois espaces distincts. Il y a Naturalia, administré par les cinq cités nations : Archonde, Lux, Cavare, Souale et La Tour qui entretiennent des relations commerciales entre elles et avec La Scientifica. Cette dernière forme, d'ailleurs, un archipel de cinq îles : l'île des Cendres, l'île des Pierres, l'île du Lys, l'île du Lierre et l'île de la Rose. Véritable berceau des innovations technologiques, elle abrite en son sein l'université qui forme les hommes et les femmes à devenir les futurs Scientificiens. Enfin, Exotica est une vaste jungle où vivent de manière éparse des clans régis par de puissantes entités, qualifiées ici d'Emblèmes, qui leur sont propres et leur confèrent une magie particulière. Leur existence demeure abscons aux yeux des Naturaliens et des Scientificiens qui organisent régulièrement des expéditions pour ramener des spécimens et percer les secrets de cette sorcellerie. Or, ces trois mondes dégagent des ambiances bien différentes. Si Naturalia personnifie le XVIIIe siècle à travers l'emprise des naturalistes, l'essor des cabinets de curiosités, l'engouement pour le commerce des produits exotiques et le maintien d'une société patriarcale, La Scientifica, elle, s'inscrit davantage dans notre époque contemporaine marquée par un important progressisme scientifique et social. Quant à Exotica, elle demeure un vaste territoire sauvage dominé par une nature luxuriante où s'épanouie la magie transformant même les espèces en créatures ésotériques. Véritable hommage à ces fameux cabinets de curiosités dont la désignation des objets s'y trouvant a littéralement inspiré l'autrice dans son choix du nom des lieux où se déroule l'action de son livre. Ainsi, naturalia désigne les objets de nature animale, minérale et végétale, scientifica fait référence aux instruments scientifiques et exotica renvoie à la faune et à la flore exotique, ainsi qu'aux objets ethnographiques. 

Des cercles érudits à l'équipée sauvage, l'atmosphère dégagée ici emprunte au gothique donnant au récit un charme suranné. 

L'intrigue de ce premier volet d'Emblèmes repose sur le couple arrangé formé par Érèbe d'Aigremort et Cécilie Vonburg qui sont les deux narrateurs de cette histoire. Introverti et solitaire, Érèbe est littéralement écrasé sous le poids des rumeurs qui entachent sa réputation l'empêchant ainsi de s'épanouir. C'est un protagoniste profondément touchant, hanté par un drame survenu alors qu'il était très jeune mais dont les souvenirs demeurent flous. Depuis lors, il fait des cauchemars toutes les nuits, toujours réveillé par ses hurlements. Cela l'a fragilisé au point de le couper de la société qui rejette sa différence préférant l'injurier plutôt que de le comprendre. Son altruisme et son envie irrépressible d'être aimé attendrissent et déclenchent une vive émotion dans le cœur des lecteurs qui découvrent son histoire. A contrario, Cécilie, elle, est une âme forte, une battante qui souhaite s'écrire son propre destin sans se soucier des autres. Elle est étouffée par le modèle de société prôné à Naturalia reléguant la femme au seul rôle d'épouse et ne rêve que de s'émanciper, d'étancher sa soif de savoirs en s'inscrivant à l'université afin de devenir à son tour une Scientificienne. Or, pour arriver à ses fins, elle a élaboré un plan aussi opportuniste que machiavélique. Son désir d'indépendance est louable et compréhensible mais ses mensonges et ses non-dits le sont moins vis à vis d'un Érèbe si meurtri. Ainsi, Ina Siel a pris le parti de nous brosser le portrait de protagonistes nuancés avec d'un côté un homme accablé par la rumeur dont il faudra démêler le vrai du faux et de l'autre côté, une femme déterminée à l'égocentrisme blessant. 

Dès les premières lignes de son livre, Ina Siel nous emporte dans le tourbillon des péripéties par lesquelles passent ses deux personnages principaux. La plume est fluide et n'a aucun mal à nous faire adhérer à son histoire. D'autant que le texte est ponctué de thèmes pertinents. Bien sûr, on va retrouver des éléments familiers au Young Adult comme l'amitié, l'amour ou l'apprentissage, mais l'autrice nous parle aussi d'handicap, de dépression et de maladie en mettant notamment en exergue la manière de les surmonter ou tout du moins de les apprivoiser. Elle table plutôt sur des destins tourmentés et des personnages fragilisés donnant ainsi un accent très réaliste tout en suscitant moult émotions. 

Pour conclure :

Exploration, secrets et complots politiques émaillent les lignes de ce fabuleux récit. Avec Emblèmes, Ina Siel échafaude une intrigue ambitieuse qui n'a pas fini de nous faire réagir d'autant que le suspense est manié ici avec beaucoup de machiavélisme. Vous voilà prévenus mais comment ne pas succomber au charme de cette signature déjà si prometteuse? 

Fantasy à la Carte

Informations

Ina Siel
Le Cercle des Géographes
T.1
Emblèmes
9782382670842
382 pages
Collection Naos
Editions Mnémos

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09/09/2023

Nicolas Allard, Dune, essai, éditions Pocket Imaginaire

Nicolas Allard, Dune l'essai, éditions Pocket Imaginaire 

Vendu à plus de 20 millions d'exemplaires, Dune est la saga de science-fiction la plus lue au monde. Véritable phénomène littéraire qui en aura fasciné et inspiré plus d'un. Les tentatives d'adaptation cinématographiques, pas toujours heureuses au demeurant, n'ont pas manqué comme celle avortée d'Alejandro Jodorowsky en 1970, celle de Scott Lynch en 1984 et enfin celle proposée dernièrement par Denis Villeneuve qui totalise 401 847 900 entrées à l'échelle mondiale. 

Or, pour surfer sur la vague Dune, les éditions Pocket Imaginaire nous proposent une réédition en version augmentée d'un essai sur Dune signé par Nicolas Allard

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Pocket Imaginaire, je remercie Emmanuelle Vonthron pour l'envoi de ce service de presse dédicacé.

Mon avis :

Agrégé de lettres modernes et grand passionné de fantasy et science-fiction, Nicolas Allard cumule depuis quelques années les essais s'intéressant à la pop culture avec Star Wars, un récit devenu légende (Armand Colin, 2017), L'Univers impitoyable de Game of Thrones (Armand Colin, 2018), ainsi que Les Mondes extraordinaires de Jules Verne (Armand Colin, 2021). C'est donc tout naturellement qu'il s'est penché sur Dune de Frank Herbert et nous en propose une analyse fine et très documentée, découpée en trois parties. 

Il commence par s'intéresser à l'écriture de Dune en insistant sur les difficultés pour adapter ce monument littéraire. En effet, beaucoup s'y sont cassés les dents comme aime nous le rappeler dès le début de son essai Nicolas Allard qu'il qualifie lui-même d'adaptation maudite. Le premier à avoir vu le potentiel de cette œuvre est Arthur P. Jacobs, à qui l'ont doit La Planète des Singes. Seulement, le projet connait des difficultés et est finalement abandonné au décès du producteur. La franchise Marvel était également intéressée mais elle a essuyé un refus par Frank Herbert en personne qui estimait que seul le 7e art pouvait faire honneur à sa saga. De même, Alejandro Jodorowsky n'a pas su convaincre Hollywood mais il faut dire qu'il proposait un film de 10 heures. Finalement, le premier film est produit par l'Italien Dino De Laurentiis qui a acquis les droits sur le conseil de sa fille, grande amatrice du cycle et est réalisé par David Lynch remplaçant à la dernière minute Ridley Scott. Mais, le succès attendu n'est pas au rendez-vous et la critique est sévère au point que David Lynch ait renié son film. Il aura donc fallu attendre 2021 et la proposition de Denis Villeneuve pour voir l'adaptation la plus crédible de Dune même si lui-même reconnaît que le format série serait plus adapté pour le déroulé des intrigues. C'est pourquoi Dune : The Sisterhood est déjà prévue et portera sur l'ordre du Bene Gesserit comme l'a annoncé justement Denis Villeneuve dans un communiqué de presse. 

On l'aura compris, réaliser un film à la hauteur de l'esthétisme et de la complexité des intrigues n'a pas été chose aisée, seul l'avenir nous dira si l'objectif est pleinement atteint en faisant de Dune le nouveau phénomène pop culture.

Dans sa deuxième partie, Nicolas Allard détaille le roman de Frank Herbert en mettant en lumière la richesse des thématiques abordées. Le texte est passionnant et novateur. Il est porteur d'un message féministe et écologique. L'auteur donne une réelle importance aux femmes dans son récit à travers cet ordre du Bene Gesserit qui n'est ni plus ni moins une société matriarcale. Dans Dune, Frank Herbert a une vraie conscience écologique en défendant la vision d'humains vivant en bonne intelligence avec la nature dans le respect de la faune et la flore. De même, le noyau de l'intrigue de Dune permet à l'auteur d'alerter sur des sujets qui l'inquiètent comme le transhumanisme à travers la maîtrise de la génétique. Ce n'est pas pour rien qu'il a projeté son récit dans un futur lointain où l'humanité a mis fin à l'intelligence artificielle pour se replier sur elle-même et développer ses propres capacités afin d'être autonome. Enfin, il met en garde sur cette recherche perpétuelle de la figure du héros comme sauveur que les électeurs ont d'ailleurs tendance à rechercher dans l'homme politique, quitte à en perdre sa liberté. 

Dune est non seulement une aventure captivante qui nous emmène sur une autre galaxie, mais c'est aussi un texte d'une grande sagacité qui mérite d'être grandement médité. 

Enfin, Nicolas Allard conclut son essai sur le parallèle qu'il fait entre Dune et Star Wars car la saga de George Lucas est bien un enfant du roman de Frank Herbert. Les lecteurs de la première heure y voit même dedans une réécriture de Dune. Frank Herbert lui-même y avait remarqué pas moins de seize similitudes comme le lieu de l'action, une planète désertique, l'introduction de technologies avancées ou encore la construction politique tournant autour d'un homme de pouvoir. Mais, l'essayiste va même plus loin en établissant des liens avec d'autres pointures littéraires comme la série du Trône de Fer de G.R.R. Martin qui, d'ailleurs ne s'est jamais caché d'avoir lu Frank Herbert et de s'en être même inspiré. 

A la lumière de ses analyses, on mesure l'influence colossale que Dune a pu exercer sur des générations d'auteurs et d'artistes dans la genèse de leur processus de créations. Dune demeure une œuvre intemporelle qui n'a sans doute pas fini de faire parler d'elle.

Pour conclure :

Que vous soyez un amoureux du cycle de Frank Herbert qui souhaite prolonger la magie intelligemment ou au contraire, un simple curieux qui ne veut pas passer à côté de ce chef d'œuvre, cet essai sur Dune va s'imposer à vous, ne vous en déplaise ! Il est bourré d'informations et de réflexions pertinentes qui éclairent autant la saga de Frank Herbert que que celles de ses héritiers de fantasy et science-fiction. N'hésitez pas plus longtemps et lisez-le !

Bande annonce de Dune (partie I) de Denis Villeneuve 

Fantasy à la Carte

Informations

Nicolas Allard
Dune, l'essai
9782266332613
334 pages
Editions Pocket Imaginaire

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05/09/2023

Clément Bouhélier, Histoires au crépuscule, Olangar, éditions Critic

Clément Bouhélier, Histoires au crépuscule, Olangar, éditions Critic

Alors que l'on pensait que Le Combat des Ombres serait le dernier voyage à Olangar, Clément Bouhélier a décidé cette année de jouer les prolongations en nous proposant, avec Histoires au crépuscule, un recueil de nouvelles se déroulant dans cet univers cher à mon cœur de lectrice.  

En effet, il renoue avec ses héros de la première heure qui viennent chacun à leur tour nous conter des histoires intimes et bouleversantes.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Critic, je remercie Eric Marcelin pour l'envoi de ce service de presse.

Résumé :

Après la sanglante attaque du train qui a failli leur coûter la vie, Torgend, Evyna et Silja poursuivent vaille que vaille leur route vers Frontenac. Profondément traumatisée par la violence des événements, Evyna est devenue mutique. Or, pour la sortir de son état, Silja a l'idée de profiter de leurs arrêts près d'un feu de camp pour conter une histoire. C'est ainsi, qu'à tour de rôle, ils vont s'immerger dans leurs souvenirs et nous entrainer dans des instantanés de vie témoignant de la rudesse de ce monde d'Olangar.

Mon avis :

Avec Histoires au crépuscule, on retrouve cette même plume engagée qui a fait le succès de la saga Olangar

Clément Bouhélier est le genre d'auteur qui ponctue ses textes de propos politiques, socio-économiques et écologiques forts dans le but d'éclairer très habilement notre époque. Ses récits sont âpres, touchants et donnent même matière à réflexion. Ainsi, il apprécie de mettre ses personnages en difficulté pour mieux en analyser les réactions. Les trois nouvelles Histoires au crépuscule n'échappent donc pas à cette habitude et nous placent ainsi face à des sujets d'actualité. 

Dans "Le secret de Kornal", Silja évoque l'histoire de la jeune elfe Afrun qui, en compagnie de son maître a été chargée d'enquêter sur la disparition d'enfants, des orphelins pour la plupart et dont le tragique destin fait froid dans le dos. A travers eux, Clément Bouhélier évoque le sacrifice de cette jeunesse démunie manipulable et exploitable à l'excès, tombant facilement aux mains d'adultes sans scrupules animés par un pouvoir dévoyé et corrompu. A la faveur de la guerre, l'auteur rappelle les horreurs et les abus perpétrés au nom d'un conflit dont les principaux acteurs ne sont bien souvent que les victimes. Voilà qui fait écho à notre brûlante actualité, à travers ce front guerrier entretenu sur le sol européen et dont l'issue semble toujours s'éloigner un peu plus. 

D'ailleurs, ce n'est pas le seul sujet pertinent que Clément Bouhélier met en exergue ici puisque dans "Un grand feu de joie", il est question de l'invasion des Peaux-Vertes sur les terres d'Enguerrand obligeant la population locale à fuir ou au contraire, à prendre les armes par peur de l'étranger. Plutôt que de communiquer, chacun reste ici sur son pré carré sans être capable de se mettre à la place de l'autre, ni de chercher à le comprendre, notamment dans ses motivations.

Enfin, dans "Les loups d'Enguerrand", Evyna et son frère investiguent sur une série d'attaques de chariots de denrées alimentaires ayant entraîner la mort de paysans et de quelques soldats. La rumeur court que des loups seraient à l'œuvre mais pour le frère et la sœur, la vérité est ailleurs. Derrière cette tragédie, l'auteur en dessine une autre, celle de la famine, fruit d'une succession de mauvaises récoltes rationnant une population déjà exsangue. Une catastrophe écologique et économique qui entraîne de véritables drames sociaux. Dans cette troisième nouvelle, Clément Bouhélier passe au crible la psychologie humaine lorsqu'il s'agit d'une question de survie. 

De fil en aiguille, Histoires au crépuscule construit un kaléidoscope de tranches de vie qui nous font passer par tout un panel de vives émotions allant du simple serrement de gorge au vrai chagrin. 

Derrière son monde imaginaire, il met à l'honneur des destins tourmentés, des vies brisées qui ne laissent clairement pas indifférents. 

Alors que pour certains, lire ce recueil sera l'occasion de pousser la porte d'un univers à explorer, pour d'autres, c'est simplement l'opportunité de retrouver de vieux amis, des personnages qui nous ont marqué et que l'on retrouve avec grand plaisir. D'autant plus que Clément Bouhélier nous en dévoile un peu plus ici sur la jeunesse d'Evyna, éclairant de facto sa personnalité si affirmée, découverte dans la saga. 

Pour conclure :

Avec Histoires au crépuscule, Clément Bouhélier ravira autant les fans de la premières heure que les curieux de dernière minute avec des récits toujours aussi passionnants dont lui seul a le secret. Lisez donc les romans de cet auteur, vous ne serez pas déçus, croyez moi !

Fantasy à la Carte

Sur la blogosphère, lisez l'avis d'Au Pays des Cave Trolls

Informations

A lire sur le blog, mes avis sur les tomes 1 et 2 de Bans et Barricades, Une cité en flammes et Le Combat des Ombres.

Clément Bouhélier
Histoires au crépuscule
Olangar
9782375792803
188 pages
Editions Critic

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01/09/2023

François Baranger, Sorcier d'empire, T.1, Ars Obscura, éditions Denoël

François Baranger, Sorcier d'empire, T.1, Ars Obscura, éditions Denoël 

Ai-je réellement besoin de vous présenter François Baranger ? C'est un célèbre illustrateur, à qui l'on doit notamment la version illustrée de deux nouvelles de H.P. Lovecraft, L'Appel de Cthulhu (2017) et Les Montagnes Hallucinées (2019). Il est également l'auteur de la duologie de science-fiction, Dominium Mundi (2013-2014), et de deux thrillers, L'Effet domino (2017) et Tepuy (2020). Or, cette année 2023 marque son retour en librairie avec la publication de Sorcier d'empire chez Denoël qui inaugure une nouvelle série littéraire. 

Résumé :

1815, alors que Napoléon est occupé à consolider ses positions en Europe, aidé de son sorcier Élégast qui utilise l'Art Obscur pour lui permettre de triompher lors des batailles, La France, elle, est soumise à la terreur depuis que d'étranges bulles noires apparaissent de nulle part pour engloutir les gens se trouvant malencontreusement au mauvais endroit tout en libérant des hordes de monstres démoniaques. Depuis que sa femme et sa fille ont été englouties par ces anomalies surnaturelles, Ludwig les traque dans l'espoir de trouver le moyen de libérer sa famille qu'il pense toujours en vie, coincée quelque part. Un jour, il croise la route de la naturaliste Éthelinde Ordant qu'il sauve des griffes de soldats chargés, par Élégast en personne, de l'éliminer. En cherchant à en comprendre les raisons, ils vont enquêter sur ce mystérieux sorcier, quitte à se jeter dans la gueule du loup. Pour autant, atteindront-ils le but qu'il se sont fixé ? 

Mon avis :

Ars Obscura est une uchronie qui nous propulse au temps des guerres napoléoniennes. En effet, 1815 inaugure la période des Cent-Jours qui marquent le retour de Napoléon Bonaparte en France après sa première abdication. Déclaré "hors-la-loi" par le Congrès de Vienne, il espère détruire les forces britanniques et prussiennes présentes en Belgique avant qu'elles ne soient renforcées par les contingents autrichiens et russes. François Baranger insère donc son récit dans la période charnière de la septième coalition où l'empereur va tenter le tout pour le tout. Le cadre historique choisi donne au texte une dimension politique et militaire que François Baranger colore de notes ésotériques. Celles-ci se manifestent d'abord par l'Art Obscur dont use le sorcier Élégast  pour notamment soutenir les contingents militaires de Napoléon sur le champs de bataille. De cette sombre magie, on ne sait que peu de choses si ce n'est qu'elle trouve son origine à l'ère d'une ancienne civilisation. En effet, François Baranger a l'ingénieuse idée de faire coïncider les expéditions scientifiques qui ont eu cours pendant la campagne d'Egypte avec l'apparition soudaine de ce sorcier aux côtés de l'empereur. Il faut également ajouter la survenue de ces bulles noires qui ravagent les campagnes françaises et sont la hantise des citoyens. Elles demeurent une énigme autant pour les protagonistes que pour les lecteurs. Sujet d'étude pour les uns, source d'effroi pour les autres, leur existence confère au mystique et nourrit le fil narratif de ce roman. Il ne s'agit pas tant de magie mais plutôt de science occulte entre ces lignes qui donne à ce texte une ambiance touchant à l'horrifique, dégageant d'ailleurs quelque chose de lovecraftien. 

En outre, François Baranger joue beaucoup sur la géopolitique de l'époque à travers la formation des coalitions européennes pour lutter contre l'hégémonie de la France. Sorcier d'empire est un roman choral qui met en scène aussi bien des patriotes que des ennemis d'Etat. Cela permet à l'auteur de ponctuer son récit de complots politiques rendant l'intrigue éminemment intéressante du point de vue des tractations internes des pouvoirs en place. Ainsi, avec Ars Obscura, François Baranger confronte un univers occulte mystérieux à une situation politique, géopolitique et stratégique sensible. Le tout formant un mélange audacieux et réussi qui tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre de ce premier volet. 

Enfin, pour rythmer son roman, l'auteur y multiplie les points de vue des personnages. Ainsi, on suit tantôt une érudite, un chasseur de monstres, un soldat, un mercenaire, une comtesse russe, un espion anglais et même le frère du Tsar. Une pluralité qui va nous permettre de prendre de la hauteur afin de mieux mesurer  l'ensemble des enjeux narratifs de ce livre. De cette communauté, j'ai eu un vrai coup de cœur pour deux d'entre eux qui mêlent leur destin pour faire cause commune. Ainsi, Éthelinde  Ordant incarne la figure de l'intellectuelle intrépide qui cherche à en apprendre plus sur l'Art Obscur afin de mener sa quête de vengeance à son terme. Elle souhaite faire la lumière sur les circonstances du décès de son père survenu en Egypte et dont elle tient le mage Élégast pour responsable. Or, elle veut se donner les moyens de l'affronter sur son terrain et pour cela elle n'hésite pas à se confronter aux bulles noires et aux créatures vomies par ces dernières. A ses côtés, survient de manière inattendue l'énigmatique Ludwig Arcerese qui porte une histoire touchante. Déjà, il est amnésique de tout un pan de son enfance. Il est donc amputé de son passé et ignore qui il est et d'où il vient. Ensuite, alors qu'ils s'était reconstruit une famille, le destin lui a à nouveau enlevé. De cette tragédie, il en a fait une force pour nourrir sa détermination à retrouver les siens et à défendre les plus démunis face à ces abominations venues d'ailleurs. C'est un personnage plein de zones d'ombre que l'on apprécie de suivre dans sa bouleversante quête. 

Pour conclure :

De François Baranger, je ne connaissais jusque là que sa merveilleuse patte artistique mais en lisant Sorcier d'empire, j'ai enfin goûté à sa plume incisive et à son imaginaire particulièrement fertile. Alors, vivement la suite !

Fantasy à la Carte

Sur la blogosphère, vous pouvez lire les avis de : Le nocher des livres, Le Bibliocosme, Etemporel et Dup de Book en stock. 

Information

François Baranger
Sorcier d'empire
Tome 1
Ars Obscura
9782207165805
496 pages
Editions Denoël

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25/08/2023

Arnaud Cazelles, Nous regrettons la mort, éditions Les Trois Nornes

Arnaud Cazelles, Nous regrettons la mort, éditions Les Trois Nornes 

Parmi les nouvelles signatures de l'Imaginaire francophone, il y a Arnaud Cazelles, à qui l'on doit déjà deux romans publiés en 2022 : Un Certain goût de plomb (éditions Oneiroi) et Nous regrettons la mort (éditions Les Trois Nornes). Or, justement ce second livre m'attendait dans ma pile à livres depuis l'été dernier, alors il était donc plus que temps que je m'y intéresse. 

Résumé :

La mort n'est plus. En effet, à l'expiration de leur dernier souffle, les humains deviennent de dangereux spectres contre lesquels les vivants ne peuvent se prémunir qu'avec du sel. Les sorcières en seraient la cause, ainsi que de l'élévation d'infranchissables barrières de brume. Depuis lors, les prêtres et les sœurs inquisitrices du Culte du Grand Œil traquent toutes les sorcières afin de les éliminer dans l'espoir de faire revenir la mort. Fàinella est l'une de ces sœurs. Elle a été chargée par sa hiérarchie de retrouver celle que l'on surnomme la Corneille Blanche, pendant qu'elle retourne sur sa terre natale pour noyer sa mère devenue une non-morte. C'est accompagnée d'un vieil homme que Fàinella s'engage dans cette nouvelle mission qui pourrait bien ébranler ses certitudes, qui sait ? 

Mon avis :

Dans Nous regrettons la mort, on pose ses valises dans un univers de fantasy remarquable et détaillé dans lequel Arnaud Cazelles a donné à son monde imaginaire un historique et une chronologie précis. Après des années de guerre et de pillages, les quinze clans, installés sur les îles situées au nord du continent d'Aboshàt, ont entériné la paix par le truchement d'un traité. Depuis lors, ils vivent à l'écart avec leurs propres croyances, en dépit de l'hégémonie du Culte du Grand Œil. Néanmoins, celui-ci demeure vivace sur le continent grâce au zèle de ses disciples qui gagnent toujours plus de terrain pour convertir les peuples et éteindre les sources de magie en supprimant les sorcières. On y retrouve ici des influences celtiques, à travers la présence de druides ou par le parallèle que l'on peut faire avec la dissolution progressive de la religion polythéiste celte dans la culture romaine. Sous la plume d'Arnaud Cazelles, la magie se nomme le viviccia et forme des nœuds de pouvoir perceptibles et utilisables que par une poignée d'élues. C'est aussi une source d'énergie utilisée pour ensorceler des armes servant à combattre les spectres et alimenter les navires-cathédrales, une sorte de bateaux volants qui ajoute une touche steampunk à l'ensemble.

Nous regrettons la mort est un roman court mais bien mené qui nous conte le road-trip d'un duo de personnages détonnant. Elle est jeune, lui est un homme vieillissant. Elle s'est convertie au Culte du Grand Œil, lui croit aux anciens dieux. Ils semblent incompatibles pour ce voyage et pourtant ils finiront par se compléter. Fàinella est un personnage plutôt ambivalent. Par sa chevelure rousse et ses racines, elle incarne l'image populaire que l'on se fait de la sorcière. Pourtant, elle s'est destinée plus par opportunité que par réelle conviction à la fonction de chasseuse. Au fil de l'aventure, on découvre donc cette femme dans toute sa complexité. Curieuse et pugnace, elle s'est hissée par sa seule volonté à une position élevée. Mais en retournant chez elle, elle va se confronter à son passé et à une réalité dont elle s'était coupée en partant. Ce voyage est donc l'occasion d'une introspection personnelle qui s'avéra à la fois douloureuse et perturbante. Un parcours qui fait d'elle une protagoniste particulièrement intéressante à suivre, d'autant qu'elle centralise à la fois des forces et des faiblesses. Quant à Callean, il se retrouve embarqué bien malgré lui dans ce périple dans lequel il va prendre part et jouer d'ailleurs un rôle décisif. Arnaud Cazelles nous brosse donc le portrait d'un personnage âgé en mettant en exergue toutes les problématiques liées à l'âge avec d'un côté, les douleurs du corps, la baisse du tonus et le dynamisme amoindri et de l'autre côté, l'expérience et la sagesse qui sont d'indispensables atouts. Sa volonté de protéger et de préserver Fàinella dégage de lui une vision paternelle. C'est vraiment un personnage très attachant, particulièrement dans sa démarche. Personnellement, j'ai eu un vrai coup de cœur pour ces deux protagonistes, autant pour l'évolution que l'auteur leur donne que pour les liens qu'ils tissent entre eux. 

Nous regrettons la mort est un roman d'action qui enchaîne les péripéties sans temps mort. En outre, Arnaud Cazelles a ponctué son récit de complots politiques, ce qui ne gâche en rien au plaisir de lecture. C'est également un texte intéressant du point de vue des thèmes traités puisqu'il nous parle de deuil, de vieillissement et de regret. Or, ce n'est pas forcément la panacée des récits de fantasy. Alors, c'est clairement un bon point pour ce livre qui se démarque. Il met également en lumière les relations intergénérationnelles en soulignant l'importance de se nourrir des expériences de ses aïeux car elles sont très formatrices pour tous. 

Pour conclure: 

Entre un imaginaire fertile et une plume travaillée, Arnaud Cazelles s'inscrit de suite dans la nouvelle génération d'auteurs à lire. Avec Nous regrettons la mort, j'ai passé un très bon moment de lecture, alors je ne peux que vous le recommander. Et puis, c'est aussi l'occasion de soutenir une jeune maison d'édition, alors foncez !

Fantasy à la Carte

A lire sur la blogosphère, l'avis de Etemporel

Informations

Arnaud Cazelles
Nous regrettons la mort
9782492118067
231 pages
Editions Les Trois Nornes

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