L'influence du "gaming" à la littérature

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30/06/2020

Peng Shepherd, Le Livre de M, éditions Albin Michel Imaginaire

Peng Shepherd, Le Livre de M, éditions Albin Michel Imaginaire

Peng Shepherd est une autrice américaine qui signe avec Le Livre de M son premier roman. Présenté comme du Post-Apocalyptique, rien dans la couverture ni dans le résumé ne laissent présager la part de fantasy que ce livre recèle. Sans la recommandation de Gilles Dumay, j'aurais pu bêtement passer à côté de cette lecture. Je le remercie donc bien chaleureusement de m'avoir proposé ce partenariat. 

Au cœur d'une Amérique déchue, Max et Ory ont trouvé refuge dans un hôtel situé en pleine forêt. Alors que le monde a sombré dans le chaos, ils semblent être les rares rescapés d'un terrible phénomène qui s'est abattu sur les humains. Un homme a commencé à perdre son ombre faisant de lui une célébrité et une curiosité scientifique. Mais ce qui aurait pu rester un événement isolé est devenu un problème mondial. Plus que de perdre leur ombre, ces milliards d'individus touchés perdent également leurs souvenirs jusqu'à même nier leur propre existence. Aux abois ceux qui sont devenus des sans-ombres sèment l'anarchie et menacent l'humanité toute entière. Max et Ory auraient pu rester cacher au fond des bois, même si la nourriture venait à manquer, mais tout bascule lorsque Max perd son ombre à son tour et disparaît. Pour Ory, c'est le début d'une course contre la montre pour la retrouver coûte que coûte, même si elle ne souvient plus de lui et quitte à courir de graves dangers. C'est donc sur un chemin tortueux qu'il s'engage sans réellement mesurer ce qui l'attend...

Le Livre de M est un récit très immersif qui nous entraîne dans une Amérique contemporaine fortement ébranlée lorsque sa population est menacée d'extinction. Impuissante à expliquer les raisons de cette disparition et surtout à l'inverser, la planète glisse peu à peu vers le trouble et la folie. Peng Shepherd explore avec beaucoup de pertinence les dégradations que subit la société moderne suite à une telle situation. L'inexplicable donne naissance à la panique et à l'instinct de survie, conduisant les hommes à commettre l'innommable. En effet, sans explication scientifique, la peur de la contagion prend facilement le dessus sur la raison et pousse les hommes à s'entre-tuer. Le Livre de M est un texte troublant. L'ambiance qui s'en dégage est inquiétante. Hasard du calendrier éditorial sans doute, ce livre vient tout de même faire écho à la crise que notre monde actuel traverse. A l'image de la pandémie de Covid-19, la perte de son ombre entraîne également suspicion et psychose chez ceux qui la détiennent encore. Ainsi, la crainte de la perdre est autant exacerbée que celle de contracter le virus. Alors même si l'ordre règne encore dans notre société, on partage quand même des inquiétudes similaires à celles distillées dans ce livre. L'autrice met le doigt sur la fragilité de notre quotidien. Finalement avec elle on prend conscience qu'un seul grain suffit à rompre l'équilibre. 

La force de ce texte réside également dans ses personnages. Il n'y a rien d'héroïques chez ces hommes et ces femmes qu'elle met en scène. Et pourtant ces gens ordinaires vont s'adapter, se dépasser, apprendre à devenir autre chose pour survivre, voire sauver le monde. Dans Le Livre de M, Peng Shepherd met l'accent sur le clivage qui va diviser ceux qui veulent se souvenir à tous prix de ceux qui renient ce qu'ils étaient pour devenir plus puissants et accéder à quelque chose de plus grand. C'est là qu'entre en scène la fantasy de ce texte. L'apocalypse n'est donc pas le fruit d'une bombe atomique, du réchauffement climatique ou d'une quelconque bactérie meurtrière mais elle est plutôt le résultat d'une puissance magique qui transcende l'humanité. Cette magie se découvre au fil des pages, par petites touches discrètes. Elle contribue à modifier profondément les gens et modèle le monde en quelque chose de différent. 

Récompensé par le Neukom Award 2019, Le Livre de M dépasse les frontières des littératures de l'Imaginaire. En proposant un récit Post-Apocalyptique nourri de pouvoirs magiques, Peng Shepherd réunit autant les amateurs d'anticipation que de fantasy

A travers ce captivant récit, l'autrice questionne finalement sur les fondements de nos sociétés modernes et sur l'avenir de l'humanité. 

Fantasy à la Carte


Peng Shepherd
Le Livre de M
Editions Albin Michel Imaginaire

26/06/2020

Clément Bouhélier, Olangar : Une cité en flammes, éditions Critic

Clément Bouhélier, Olangar : Une cité en flammes, éditions Critic

Je savais que Clément Bouhélier avait le projet d'étoffer son univers d'Olangar : il me l'avait confié lors d'une dédicace. Or, cette suite tant attendue vient de débarquer en librairie. 

Fidèle à lui-même, l'auteur distille à peu de chose près dans ce nouvel opus les mêmes ingrédients : mensonges d'Etat, terrorisme, pollution industrielle, capitalisme et prolétariat. 

Dans Olangar : Une cité en flammes, on retrouve certains héros de la première heure qui mêlent leur destin à de nouveaux personnages. 

Cinq années se sont écoulées depuis la mise à jour des malversations de politiciens véreux et le soulèvement populaire des bas quartiers d'Olangar. De retour dans sa province, Evyna en a pris la gestion à la suite du décès de son père. En dépit de quelques désaccords avec certains nobles, elle impose sa loi et fait construire des écoles et un hôpital pour l'éducation et la protection de son peuple. Mais alors qu'elle se croyait à l'abri du danger, une bande d'incendiaires déboule à la cérémonie de mariage qu'elle présidait et assassine de nombreux invités. Ces hommes annihilés par la drogue, à la force décuplée semblent agir de manière aléatoire pour semer le chaos un peu partout sur le territoire. Tandis que du côté du royaume des Elfes, la colère monte depuis qu'ils ont constaté une pollution de leur fleuve qui tue les plus faibles d'entre eux. Alors que les Elfes sont sur le point de déferler sur Olangar, la Chancellerie charge deux nains de la Confrérie de trouver les causes de cette pollution. Ainsi chacun à leur tour les héros d'hier prennent la route pour trouver qui se cache derrières ces événements. Mais seront-ils à même d'arrêter ce qui est en marche ? 

Dans Olangar : Une cité en flammes, l'auteur surfe sur la même vague qui a fait le succès de Bans et Barricades. Ainsi, il reprend le motif de l'enquête menée par une poignée de personnages pour démasquer le ou les responsables de cette anarchie meurtrière. Or, on se doute que cette pollution inopinée et cette série d'attentats ne sont en réalité que le haut de l'iceberg. Des faits aussi graves ne peuvent que cacher un secret encore plus gros aux intérêts énormes. Dès lors toute la difficulté va être de remonter la piste sans se faire tuer car l'ennemi, lui, ne lésine pas sur les moyens ni sur l'artillerie.

Avec ce nouveau livre, Clément Bouhélier se fait l'auteur d'un récit rythmé où l'action est toujours menée tambour battant. 

En écrivant de la fantasy, l'auteur n'a pas cherché à se conformer aux canons du genre. Bien au contraire, il se plait à y entremêler du thriller, du steampunk et même du western et donne donc une autre identité à sa fantasy

Olangar : Une cité en flammes, c'est un roman sans concession qui fait la part belle à l'humanité. On la doit surtout à des personnages très engagés pour la cause sociale et humaine. Parmi eux, il y a Evyna qui incarne la seule figure féminine de ce texte. Bien née, elle se veut pourtant proche de son peuple qu'elle tire bien volontiers par le haut. Touchée par ces meurtres de masse, elle s'implique activement dans cette quête et va tout mettre en oeuvre pour empêcher une nouvelle guerre d'éclater. En véritable meneuse d'hommes, elle entraîne dans son sillage des héros qui se révèlent  comme Kiev, ce jeune sergent mercenaire au passé violent. Elle tire le meilleur des gens comme avec Torgend, qui, malgré son bannissement, prend à son tour part à cette cause désespérée. Clément Bouhélier nous brosse le portrait de personnages hétéroclites au passé bien souvent trouble mais c'est sans doute ce qui les rend si attachants. Ils sont les véritables moteurs de cette histoire contribuant à rendre ce livre si passionnant. Mais toute la bienveillance que dégagent certains protagonistes ne peut que rentrer en conflit avec les intérêts personnels des autres. Ainsi, un nouveau rapport de force s'installe peu à peu dans ce livre mettant en exergue quelques thématiques chères au cœur de cet écrivain comme l'intolérance, la xénophobie ou encore la lutte des classes. 

Avec Olangar : Une cité en flammes la magie opère encore une fois. On est suspendu à la plume de cet écrivain. Le suspense est d'ailleurs trop grand pour avoir envie d'en décrocher. Je remercie les éditions Critic pour ce nouveau partenariat. Voilà encore un livre qui confirme mon attachement à leur collection de fantasy

Fantasy à la Carte
A lire sur le blog mes avis sur les volets 1 et 2 d'Olangar : Bans et Barricades. 

Clément Bouhélier
Olangar : Une cité en flammes
Editions Critic 

23/06/2020

Noémie Wiorek, Les Chats des Neiges ne sont plus blancs en hiver, éditions de L'Homme Sans Nom

Noémie Wiorek, Les Chats des Neiges ne sont plus blancs en hiver, éditions de L'Homme Sans Nom

Noémie Wiorek débarque dans le catalogue des éditions de L'Homme Sans Nom avec un titre de dark fantasy plein de fureur

Avec Les Chats des Neiges ne sont plus blancs en hiver, je découvre un nouveau visage de l'Imaginaire français. Je remercie Vincent et les éditions de L'Homme Sans Nom de m'avoir proposé ce partenariat. 

Dans le royaume de Morz, la neige a cessé de tomber depuis des siècles. Depuis lors, le blanc immaculé a laissé la place à une boue infâme. Alors que le jeune prince Jaroslav souhaite maintenir la paix et la Lumière dans son royaume, les ombres s'étendent autour de lui. Il y a d'abord celle de Noir, à la tête d'une horde de créatures sanguinaires qui sèment le chaos sur le territoire. Il y a aussi celle des sorcières exilées plus au nord qui ne rêvent que de refaire tomber la neige et de prendre ainsi leur revanche sur la Lumière. Et c'est sans compter ses conseillers à la cour qui ne cherchent qu'à le manipuler. La pression sur ses frêles épaules est bien lourde, espérons que la Lumière lui vienne en aide ? 

C'est à travers les regards croisés de certains de ses personnages que Noémie Wiorek nous raconte cette sombre histoire. Dans ce récit, il est bien difficile de placer la frontière entre le Bien et le Mal tant ses protagonistes ne sont finalement ni blancs ni noirs. En effet, en nous relatant la même histoire de points de vue différents, on prend la mesure de la noirceur de chacun d'entre eux. On est bien d'accord que lorsque chacune des parties veut imposer par la force ses idées à l'autre, cela ne peut aboutir qu'à une lutte. De fait, on peut s'attacher autant au jeune héritier du trône qu'à la guerrière Agnieszka. Ce qui rend ce roman d'autant plus troublant. 

Noémie Wiorek y explore la folie des hommes. Mais qu'elle leur soit insufflée par une croyance en une divinité ou par le charisme d'un être, elle n'en demeure pas moins dévastatrice pour tous. Ce choix de narration donne à ce texte une tonalité sombre et inquiétante. Même si le culte d'Eldan est omniprésent, la Lumière qu'il est sensé véhiculer est surtout teintée de noirceur. Il maintient davantage ses fidèles dans un obscurantisme les rendant intolérants aux autres. 

Dans Les Chats des Neiges ne sont plus blancs en hiverNoémie Wiorek s'appuie sur des figures féminines très fortes. Le plus bel exemple est Agnieszka qui incarne indépendance et liberté. Elle est le second de Noir et mène en son nom les combats. A ce titre, elle inspire la terreur parmi le peuple de Morz. Farouche et secrète, son passé demeure un mystère pour tout le monde, excepté pour Noir. L'autrice s'est laissée le loisir de le dévoiler par petites touches pour mieux capter notre attention. 

Noémie Wiorek témoigne d'une vraie fascination pour les chats qui s'invitent dans tous ses textes. Ce roman ne fait donc pas exception. Le félin y est omniprésent en revêtant bien des formes : compagnon de route, animal totem ou décrits sous des traits humanisés. En tout cas, il y est toujours aussi rusé. Ainsi, ce roman s'inscrit aussi dans de l'Animal fantasy comme Les Chroniques de Narnia de C.S. Lewis puisque les animaux y ont également la parole. 

Avec ce roman, Noémie Wiorek signe un récit d'une puissante originalité et se ménage ainsi une entrée remarquée dans les littératures de l'Imaginaire. 

Fantasy à la Carte
A lire aussi sur la blogosphère l'avis des Critiques de Yuyine

Noémie Wiorek
Les Chats des Neiges ne sont plus blancs en hiver
Editions de L'Homme Sans Nom

19/06/2020

Vincent Ferré et Frédéric Manfrin (sous la dir.), Tolkien, Voyage en Terre du Milieu, Christian Bourgois Éditeur/ BNF

Tolkien, Voyage en Terre du Milieu, Christian Bourgois Editeur/BNF

Alors que l'exposition Tolkien, Voyage en Terre du Milieu de la Bibliothèque nationale de France vient de se voir attribuer le Prix Spécial du Grand Prix de l'Imaginaire 2020, j'en profite pour ressortir de ma PAL, le catalogue de l'exposition reçu à mon anniversaire. 

N'ayant pu me rendre physiquement à la BNF et déambuler dans les espaces consacrés au maître de la fantasy, ce beau-livre m'en donne néanmoins un bon aperçu. 

De l'avis de tous, le premier élément qui caractérise J.R.R. Tolkien et son oeuvre est la Terre du Milieu. C'est donc la construction de ce monde qui a été cœur de cette exposition. 

Divisé en trois parties, ce catalogue revient sur la genèse de ce monde fantastique en mettant en exergue ses principales forces. 

Qu'ils soient professeur, archiviste, conservateur, tous les intervenants qui ont pris la parole dans cet ouvrage sont des passionnés de l'univers de Tolkien. 

Ainsi, Damien Bador nous parle ici du goût de J.R.R. Tolkien pour l'invention des langues qu'il qualifie lui-même de "vice secret". Une passion poussée à l'extrême puisqu'il ira, par exemple, jusqu'à attribuer un alphabet aux Gobelins dans ses Lettres du Père Noël. Un intérêt qui a fait des émules parmi les passionnés puisque certains ont été jusqu'à bâtir des grammaires des langues elfiques. 

Sa fascination pour la linguistique est de notoriété mais Tolkien est également un cartographe et un géographe, comme le rappelle Isabelle Pantin. En effet, en même temps qu'il écrit, J.R.R. Tolkien trace une représentation figurative des lieux traversés par ses personnages. D'ailleurs, certaines cartes sont même annotées des noms des personnages aux côtés des noms de lieux. Au fur et à mesure de l'avancée dans la rédaction de ses histoires, il démontre un vrai souci de crédibilité en redessinant des cartes à l'échelle comme c'est le cas pour Le Silmarillion en 1930. 
Mais que serait un monde sans peuples comme le dit Anne Rochebouet. Alors J.R.R. Tolkien a commencé par introduire en Terre du Milieu, les Elfes. Certains se réfugient à l'ouest, à Valinor pendant que d'autres comme les Elfes gris demeurent dans les forêts comme celle de la Lorien. Puis, il introduit les hommes dont l'ouest leur est interdit, sauf aux Edains qui ont aidé les Elfes contre Morgoth. C'est là-bas qu'ils fondent le royaume de Numénor dont Aragorn est le dernier représentant de la lignée. Il y a également les Nains qui vivaient dans de grands royaumes sous la montagne jusqu'à ce qu'ils en soient chassés et errent depuis lors sur les routes. Les Hobbits que l'on retrouve du côté du Comté. Les Ents, seigneurs et protecteurs des forêts, un peuple qui témoigne de l'attachement de J.R.R. Tolkien aux arbres et à la nature. Sans parler des Orques, des Trolls, des Dragons, tous corrompus par Morgoth et Sauron. 

Ce qui est moins connu du grand public est le grand intérêt que portait l'auteur au dessin. Pierre Serié le souligne d'ailleurs judicieusement dans cet ouvrage. J.R.R. Tolkien avait une grande culture visuelle. Il a illustré ses récits à l'aide de dessins et d'aquarelles qui témoignent de sa fascination pour la nature anglaise et ses paysages. 

La seconde partie est riche en documents et en photographies pour illustrer au mieux le travail de construction de son univers. Dessins, cartes, lettres, brouillons se pressent entre ses pages pour nous faire prendre conscience de la mesure du travail colossal réalisé par l'auteur. Un intermède qui nous plonge dans les lieux emblématiques de la Terre du Milieu : le Comté, les royaumes des Nains, les terres des Elfes, le Rohan, le Gondor ou encore le Mordor. Un itinéraire visuel construit comme une balade instructive destinée aux amateurs et aux curieux qui sont avides d'en savoir un peu plus sur cette genèse de toute une vie. 

Cette exposition a été aussi l'occasion de mettre en lumière l'homme qu'il était. C'est pourquoi, ce catalogue se conclut sur ses années à Oxford qui fut autant pour lui son cadre de travail que de vie. C'est un peu son Valinor, son refuge, son paradis. Tout comme l'a été sa femme Edith ainsi que ses enfants. Pour preuve, ces photographies disséminées ici ou là qui sont autant d’instantanés des moments heureux auprès de sa famille et de ses amis. L'exposition n'a pas omis non plus ses moments passés au front qui l'ont profondément marqué au point de lui inspirer par exemple les terres désolées du Mordor. 

Ce catalogue reflète le travail de fourmis réalisé par les contributeurs de l'exposition autant pour l'exposition elle-même que pour la publication de ce livre. Chaque élément a été soigneusement sélectionné pour faire ressortir toute l'essence de cet événement.

Tolkien, Voyage en Terre du Milieu constitue un bel ouvrage qui donne finalement à cette exposition exceptionnelle son caractère éternel. 

Fantasy à la Carte

Vincent Ferré & Frédéric Manfrin (sous la dir.)
Tolkien, Voyage en Terre du Milieu
Christian Bourgois Éditeur
Bibliothèque nationale de France