En plus de dénicher les talents de demain qui perpétuent le renouvellement des littératures de l'Imaginaire, les éditions Mnémos mettent également un point d'honneur à dépoussiérer des textes oubliés, des classiques délaissés afin de les remettre au goût du jour pour le plaisir de tous.
C'est ainsi qu'en ce mois d'avril, ils ont décidé de mettre en exergue la plume d'Andre Norton, à travers la réédition de son œuvre majeure de fantasy, Witch World.
Derrière ce pseudonyme masculin se cache une femme à la bibliographie impressionnante. Née au début du XXe siècle et bercée dès sa plus tendre enfance par la littérature et les histoires, elle écrit son premier roman Ralestone Luck très jeune et adopte rapidement un nom de plume masculin sur les conseils de son éditeur pour faciliter les ventes et s'affirmer au cœur de ce paysage éditorial et littéraire dominé quasi exclusivement par les hommes. Elle est clairement une figure majeure de la littérature féminine américaine avec près d'une centaine de romans de science-fiction et de fantasy publiés. D'ailleurs, en 1983, l'ensemble de son œuvre est primé par le Grand Master Award de Science-Fiction and Fantasy Writers of America.
Reçu en service de presse, je tiens d'abord à remercier Estelle Hamelin, ainsi que les éditions Mnémos pour l'envoi d'un exemplaire de Witch World.
Résumé :
Simon Tregarth est un soldat qui s'est illustré pendant la Seconde Guerre Mondiale. Or, peu après sa démobilisation, il est accusé de participer à des trafics clandestins et est traqué par une organisation secrète. Son salut, il le doit à un certain Jorge Petronius, un docteur illuminé qui propose de le soustraire à sa condamnation en l'envoyant dans une autre dimension grâce au célèbre siège périlleux, tiré des légendes arthuriennes. Peu convaincu par les propos farfelus de l'homme, il n'en croit pas ses yeux lorsqu'il débarque dans un lieu inconnu qui ne reste pas longtemps déserté puisqu'une femme, pourchassée par des hommes et des chiens sanguinaires, surgit dans son champs de vision. L'urgence de l'instant ne lui laisse pas le loisir de réfléchir et ni une ni deux, le voici qui vient en aide à la femme et se retrouve très vite à endosser le rôle de gardien du pays d'Estcarp, peuplé de sorcières menacées par les états voisins.
Mon avis :
Dans Witch World, Andre Norton nous ouvre les portes d'un univers imaginaire mixte mêlant de la fantasy épique à de la science-fiction. Ici, il fait office de dimension parallèle que l'on pénètre par le biais d'un portail magique. Ainsi, on passe d'un monde moderne accusant le coup de la Seconde Guerre Mondiale à un espace-temps immémorial où la magie semble avoir remplacé la science. En effet, ici le pouvoir est entre les mains des femmes qui disposent de joyaux leur permettant de manipuler les esprits, de changer d'aspect physique et d'exprimer ainsi une certaine supériorité. Or, ce matriarcat dérange les royaumes voisins gouvernés par des hommes qui considèrent ces sorcières comme une menace et se sont adjoints la mission de les traquer pour les asservir.
Andre Norton nous dépeint un monde déchiré car livré à une lutte sans merci, nourrie par la défiance, la haine et le machisme. Cependant, cet antagonisme va servir les desseins d'un ennemi invisible qui a infiltré les lieux sans bruit. Celui-ci se sert du même genre de portail emprunté par Simon Tregarth lui-même pour accomplir ses bases œuvres. A travers son ombre, l'autrice enrichit son monde de nouvelles perspectives. La science entre en action à travers le progrès qui cherche ici à supplanter la magie. Cette science est néanmoins dévoyée car l'autrice teste dans son récit des expérimentations scientifiques visant à créer une armée infaillible et décérébrée afin de coloniser les différents royaumes préexistants.
Dans Witch World, l'autrice joue donc sur les anachronismes d'une modernité qui investit la médiévalité ambiante pour nourrir un imaginaire insolite.
Witch World est un cycle marquant qui laisse s'exprimer un puissant féminisme. L'intrigue se concentre autour d'une poignée de femmes détentrices d'un pouvoir. Elle revisite donc la figure de la sorcière qui est à la fois puissante en son royaume et pourtant persécutée, passée les frontières. Andre Norton a repris l'image populaire et historique de la chasse aux sorcières à travers la notion d'indépendance féminine qui dérange la société misogyne. Sous sa plume la magicienne prend les traits d'une femme forte, actrice de son destin. Elle n'est plus cantonnée à occuper un rôle décoratif. L'autrice casse volontairement la représentation sexualisée de la femme, reléguée au simple rang d'objet de désir et de concupiscence. Mieux encore, elle prend la tête de l'aventure en menant la quête. En dépit du fait que le personnage principal soit un homme, c'est une femme qui demeure l'atout décisif à la réussite de la mission.