L'influence du "gaming" à la littérature

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19/11/2019

Jean-Laurent Del Socorro nous parle de...


Pour cette première interview, Fantasy à la Carte a donné la parole à Jean-Laurent Del Soccoro qui a gentiment accepté de se prêter au jeu des questions. Je le remercie pour son temps. En quelques mots, il nous parle de son dernier roman paru aux éditions ActuSF, Je suis fille de rage, de ses choix d'écriture, ainsi que de sa manière d'appréhender le genre ou encore de ses projets littéraires. Il nous fait même cadeau de conseils lectures.  

Fantasy à la Carte : Pour commencer, pouvez-vous nous donner les grandes lignes de l’histoire de Je suis fille de rage ?

Jean-Laurent Del Soccoro : Je suis fille de rage décrit la guerre de sécession de son premier à son dernier jour, à travers les tranches de vie d’une trentaine de personnages, du soldat au général ; de la forceuse de blocus à l’affranchie en passant par des personnalités politiques et des artistes.

Certains de ces personnages sont historiques (les généraux Grant et Lee ; les abolitionnistes Harriet Tubman et Frederick Douglas ; le poète Walt Whitman…), d’autres sont de fiction (Caroline, la fameuse fille de rage ; Minuit, l’affranchie qui s’enrôle dans les régiments noirs du nord…). Tous vont traverser ce conflit de leur point de vue. Ce sont des petites histoires qui font la grande.

Le personnage du Président Lincoln est un pivot central du roman. Il est en « huis-clos » dans son bureau à la Maison Blanche, face à la mort qui marque d’un trait à la craie chaque mort de la guerre civile. Tous deux vont avoir une discussion sur le sens de cette guerre. La mort, figurée comme un personnage à l’uniforme de général entièrement blanc, est la dimension fantastique de Je suis fille de rage.

À noter enfin, que le texte est parsemé de documents historiques (lettres, extraits de journaux, télégrammes…) traduits par mes soins et qui ont pour but de renforcer l’immersion du lecteur dans cette période.

FALC : Il y a de nombreuses manières d’écrire de la fantasy, pourquoi avoir choisi d’insérer vos récits dans des contextes historiques forts ? N’est-ce pas un exercice plus difficile que de partir sur un monde purement imaginaire ?

JLDS : Je dis souvent que je ne fais pas de la fantasy historique... mais de l’historique fantasy 

Mon entrée dans l’écriture c’est l’Histoire, avec un grand H. Les récits de notre propre monde sont aussi riches et fascinants. C’est une matière sur laquelle je m’appuie pour soulever des thématiques (l’insurrection et la révolte pour Boudicca : la lutte contre l’esclavage pour Je suis fille de rage…). Pour l’ajout d’une dimension fantastique à mes textes, je pense que je suis assez proche d’une autrice comme Jo Walton (dont je suis fan absolue – son roman Mes vrais enfants est un bijou). Elle aussi utilise la réalité en y ajoutant une part de « rêve ». 

FALC : D’ailleurs, comment choisissez-vous vos périodes d’Histoire ? Est-ce par goût ? Curiosité ?

JLDS : Au fil de mes lectures d’articles universitaires ou dans des magazines. Si j’avais toujours eu l’envie de me plonger dans la guerre de Sécession. Boudicca, en revanche, est un hasard total. Je suis tombé sur un documentaire sur elle après Royaume de vent et de colères. J’ai décidé d’écrire un roman sur cette reine celte méconnue en France (alors qu’elle fait figure de symbole de résistance sur l’île d’Angleterre !) plutôt que de m’attaquer tout de suite à Je suis fille de rage.

FALC : Dans une autre interview, vous avez évoqué votre projet d’écrire une suite à Royaume de vent et de colères, pouvez-vous nous en dire plus ?

JLDS : C’est un roman né de l’envie de mes lecteurs : celui d’en connaître davantage sur l’histoire de Silas, un de mes personnages de Royaume de vent et de colères. Silas a une place secondaire dans mon premier roman. Mon prochain texte en fera le personnage central. On le découvrira entre Grenade, juste après la fin de la Reconquista espagnole, et Montpellier avec, notamment, sa faculté de médecine. Il ne sera pas nécessaire d’avoir lu Royaume de vent et de colères.

Ce futur roman ne sera pas un récit choral, mais centré essentiellement sur ce personnage. De plus, il fera office à la fois de préquelle… mais aussi de suite. Je n’en dis pas plus pour l’instant, mais mes lecteurs savent que j’aime jouer avec la narration dans mes livres et celui-là ne fera pas exception.

FALC : Quel est votre livre de chevet ?

JLDS : En ce moment, beaucoup de manuscrits car je suis éditeur aussi. Sinon, je viens de finir l’excellent Brigades du Steam d’Étienne Barillier et Cécile Duquenne. C’est une aventure pulp à Aix-en-Provence au début du XIXe siècle. On y suit deux agents de la treizième brigade mobile de la police, dont une vétérante avec un bras mécanique. C’est absolument jubilatoire ! 

Sinon, je vais attaquer le Civilizations de Laurent Binet, une uchronie où ce sont les Incas qui envahissent l’Europe.

FALC : Quel est selon vous le roman de fantasy incontournable à lire ?

JLDS : Ouf, difficile à dire. Allez, je le cite souvent parce que c’est un ovni, un livre « Chaos magik » autant par le fond que par la forme : La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski. Il évoque une maison dont les dimensions sont différentes selon si l’on est à l’intérieur ou à l’extérieur de la demeure. Cette « anomalie » va évoluer au fur et à mesure du récit. Que l’on aime ou pas, une chose est sûr, c’est une œuvre qui ne laisse pas indifférente !

Fantasy à la Carte

A lire sur le blog les avis sur Boudicca et Royaume de vent et de colères

16/11/2019

Vincent Mondiot, L'Ombre des Arches, éditions Mnémos

Ceux qui ont apprécié Les Mondes-Miroirs, sorti il y un an, seront sans doute ravis d'apprendre la sortie de L'Ombre des Arches, deuxième tome de cette saga. 

Or, qui dit suite, dit parfois déception tant elles ne sont pas toujours à la hauteur ; mais avec ce récit à l'action menée tambour battant, il n'en est rien. Je vous confierais même qu'il a ma préférence. Peut-être parce que maintenant que je connais les protagonistes, c'est un plaisir de les retrouver. Allez savoir ! Cela ne s'explique pas, c'est l'alchimie. Au passage, je remercie Nathalie des éditions Mnémos pour m'avoir envoyé cet excellent service de presse. 

Elodianne et Elsy sont donc de retour. Mandatée par le palais, la miroitiste propose à son amie Elsy de l'accompagner dans sa mission diplomatique. Depuis les terribles attentats perpétrés par Teliam Vore, un an plus tôt, des recherches ont été menées afin de mieux maîtriser la création des mondes-miroirs. Or, Elodianne est chargée d'en faire la démonstration au légat d'Aurterre. Rien de compliqué ni de dangereux dans cette mission. Pour preuve, ce voyage entre filles prend vite des airs de vacances. Bien entendu, arrivées sur les lieux, elles vont vite déchanter. Déjà, Corbès Salven interprète cette démarche comme une diminution de sa liberté de gouvernance, une manière pour le gouvernement d'avoir ses provinces à l’œil. Une méfiance qui est d'ailleurs alimentée par sa propre femme, qui rêve d'un Etat indépendant. Alors, quand la statue géante d'un titan reprend vie, le soir du Rituel de Lumière, et massacre son peuple, Salven voit ça comme une déclaration de guerre et se laisse sans mal convaincre de former une coalition avec ses voisins. La rébellion est en marche et nos deux amies y sont enrôlées de force. Réussiront-elles à influencer les événements ? Prime seul le sait ! 

Pour ce second volet, Vincent Mondiot s'est lancé dans l'écriture en solo. Maintenant que l'univers de Mirinar est créé, c'est à lui que revient la tâche de le faire vivre. Et je dois dire qu'il le fait bien. 

Il fallait, bien entendu, offrir à ses deux héroïnes une aventure digne de leur réputation car, après tout, elles ont permis l'arrestation de dangereux terroristes. De fait, il n'y est pas allé de mains mortes avec elles en les envoyant carrément au milieu des loups. Dans une société où chacun lutte pour obtenir plus de pouvoir, elles vont devoir marcher sur des œufs, si elles espèrent rentrer à Mirinèce. 

L'auteur nourrit généreusement son intrigue de complots, de dissensions et de trahisons, comme il sied en fantasy. Un gouvernement n'est jamais exempt d’ingérence, surtout lorsque les mécontentements se multiplient. Ainsi, L'Ombre des Arches est un roman qui se présente comme le témoin d'une société au bord de l'implosion, conséquence d'une trop grande oppression du peuple. Parce que ce livre fait écho à la brûlante actualité qui secoue tant le monde à l'heure actuelle, sa lecture n'en est que plus prenante. 

Outre cette problématique intéressante et l'univers foisonnant dans laquelle elle s'épanouit, les deux personnages féminins qui portent l'aventure contribuent aussi à donner un charme fou à ce cycle. Voici deux femmes aux caractères diamétralement opposés mais qui se complètent bien. Que vous appréciiez la discrétion d'Elodianne ou la gouaille d'Elsy, elles sauront vous séduire lors de leurs innombrables joutes verbales qui ponctuent le récit. 

Finalement, L'Ombre des Arches vient juste élever le niveau de cette captivante saga. 

Fantasy à la Carte

A lire aussi sur le blog, mon avis sur Les Mondes-Miroirs

Vincent Mondiot
L'Ombre des Arches
Editions Mnémos

12/11/2019

Ellen Kushner, A la pointe de l'épée, collection Perles d'épice, éditions ActuSF

En cette fin d'année, les éditions ActuSF ont permis à un grand nom de la fantasy de faire son grand retour en France. En rééditant A la pointe de l'épée d'Ellen Kushner dans une version collector agrémentée de textes inédits, l'équipe des éditions ActuSF attire notre attention sur une oeuvre majeure du genre. Je remercie Jérôme Vincent pour l'envoi de ce très beau service de presse. 

Cette magnifique édition a revêtu ses plus beaux atours en arborant orgueilleusement une couverture, digne des fiers romans d'Alexandre Dumas, pour nous livrer une aventure au long cours. 

A la pointe de l'épée est composé du roman lui-même, de cinq nouvelles (dont une éditée pour la première fois), et de lettres que l'autrice a glissées entre ses différents textes afin de faire le lien entre eux. 

Cette oeuvre d'une vie nous plonge dans l'intimité d'un célèbre bretteur du nom de Richard Saint-Vière. D'une histoire à l'autre, on suit les plus beaux combats de la plus fine lame du coin car Saint-Vière est une légende. Sensible aux défis, il n'hésite jamais à les relever. Il n'est pas un bretteur d'apparat et refuse de se battre pour la galerie, lors des mariages, mais il accepte volontiers de régler les dettes d'honneur des plus fortunés à la pointe de son épée, moyennant contribution, bien entendu ! Mais travailler pour les nobles de La Colline n'est pas sans risque, surtout lorsqu'on leur oppose un refus. Richard a beau être un bretteur qui maîtrise l'art de l'assassinat, il n'abuse pas de son talent et préfère agir avec mesure, quitte à se mettre à dos des personnes influentes. A voir maintenant comment lui et son amant Alec vont se sortir de cette situation épineuse, baignée de complots ?

Ne cherchez pas de la magie entre ces lignes, vous n'en trouverez pas. La fantasy d'Ellen Kushner s'exprime à coup de duels et de trahisons. Son texte est puissant car porté par une ambiance mêlant panache des récits de cape et d'épée, nobles sentiments, détresse humaine et secrets enfouis. Son roman fourmille d'escarmouches et de règlements de compte comme les romans historiques savent nous en livrer. 

Pour donner corps à son récit, l'autrice s'est inspirée d'une époque très particulière, celle où les nobles se défiaient pour éliminer un rival gênant, ou simplement par ennui. Interdits sous l'Ancien Régime, les "duels du point d'honneur" ont quand même perduré longtemps.

A la pointe de l'épée nous donne un aperçu de cette période quelque peu sanglante, quoique divertissante. Dans ce livre, Ellen Kushner joue beaucoup sur le décalage entre l'ambiance feutrée des salons et celle, plus populaire, des Bords-d'eaux, lieu de perdition et d'amusement dans lequel s'épanouit Richard Saint-Vière.

Plus que de mettre l'accent sur un univers intrigant, Ellen Kushner donne surtout la parole à deux héros très atypiques. Richard, le bretteur taiseux et honorable qui n'agit qu'avec réflexion. De sa personnalité se dégagent une noblesse et une force qui le rendent très attachant. Peu expansif, on le découvre pourtant protecteur vis-à-vis de certains de ses proches, comme Alec. Or, justement, parlons de ce dernier. Énigmatique, étrange, voici un étonnant personnage. Beaucoup de zones d'ombre subsistent autour de lui. Même Saint-Vière en sait peu sur son compte. Instable et fragile, Richard est sa boussole et son garde-fou. Les deux hommes forment un duo déconcertant avec lequel le lecteur a envie de passer du temps. Ils sont vraiment l'essence de ce récit épique. 

Avec ce livre, Ellen Kushner a marqué le genre. Récompensée par de nombreux prix aux Etats-Unis, elle est un talent que l'amateur de fantasy ne peut ignorer. On la redécouvre donc grâce aux éditions ActuSF qui, avec cette belle réédition, lui restituent toutes ses lettres de noblesse.


Fantasy à la Carte
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Ellen Kushner
A la pointe de l'épée
Collection Perles d'épice
978-2-36629-479-8
Editions ActuSF