Né
en 1978, Lionel Davoust est un touche-à-tout. Traducteur, nouvelliste,
romancier, il s’épanouit dans l’univers des lettres et du livre.
Il
débute sa carrière en traduisant des textes pour les éditions L’Atalante et s’attaque ainsi à la traduction des romans
de Terry Pratchett ou de Sean Russell, par exemple.
Parallèlement, il devient le directeur littéraire de la revue de fantasy, Asphodale publiée aux éditions
Imaginaires Sans Frontières.
C’est
dans le fanzine rennais « Est-ce F ? » et la revue Galaxies, qu’il publie ses premières
nouvelles. C’est le début d’une nouvelle aventure pour lui. Il tient le rythme,
à partir de 2004, de deux à trois nouvelles par an, éditées dans différents
supports. Son premier succès, il va le rencontrer avec « L’IleClose », parue en France dans l’anthologie De Brocéliande à Avalon aux éditions Terre de Brume, et traduit en
américain pour l’anthologie Interfictions
2. Cette nouvelle obtiendra d’ailleurs le prix Imaginales en 2009.
En
2010, il publie son premier roman aux éditions
Critic, La Volonté du Dragon qui
est immédiatement sélectionné par les prix Futuriales,
Imaginales et Elbakin.net. Un roman qui se lit comme une partie d’échecs et dont
l’enjeu n’est pas moins que le destin
d’un royaume et des hommes qui le peuplent. Lorsque
le généralissime d’Eolus Vastech arrive avec son armada aux portes de Qhmarr,
il pense à une reddition immédiate mais c’est sans compter l’étrange résistance
du jeune souverain.
Cette
même année sort son recueil de nouvelles, L’importance
de ton regard qui contient notamment sa fameuse nouvelle primée « L’île
Close ».
Lionel
Davoust est également l’auteur d’une trilogie de thrillers initiatiques, Léviathan, dont le premier volet, La Chute sort en 2011, suivi de La Nuit en 2012 et Le Pouvoir, en 2013. Au cours de cette même année, il rejoint un
collectif de musiciens et d’auteurs de l’imaginaire qui propose des lectures de
textes en live avec accompagnement musical. Une autre approche pour mettre ces
littératures à l’honneur.
2014
est une année charnière pour lui car il reprend son univers d’Evanégyre qu’il a
décidé de développer. Ainsi sort La Routede la Conquête aux éditions Critic.
Une série de six novellas qui permet de
comprendre les grandes étapes par
lesquelles est passé le Saint Empire d’Asrethia pour conquérir Evanégyre.
En 2015, il écrit Port d’Âmes qui
relate la vie mouvementée de Rhuys ap Kaledan. De retour à Aniagrad après 8 ans de servitude dans la Marine, il espère
prendre sa revanche en récupérant son titre de baron et en faisant revivre son
domaine. Mais réussir dans cette ville ne sera pas chose aisée, les
chausse-trappes ne vont pas manquer de border sa route.
Depuis 2017, il s’est attelé à l’écriture de sa pentalogie des DieuxSauvages qui nous emmène à La Rhovelle. Depuis la chute de l'Empire
d'Asrethia, le monde est distordu, parcouru d'anomalies qui ont donné naissance
à des zones instables, dangereuses et inhabitables. C'est dans cet univers que
la jeune trappeuse Mériane est choisie par le dieu Wer pour devenir son Héraut,
sa voix, son bras armé : elle aura pour mission de fédérer les peuples et
d'organiser la défense du royaume face aux forces du Mal qui ne vont pas tarder
à déferler. Cinq tomes qui vont nous relater par le menu comment un monde
va sombrer dans la folie juste pour répondre à la soif de conquête de certains.
Néanmoins, en parallèle de la rédaction des Dieux Sauvages, Lionel
Davoust continue de publier des nouvelles. Les dernières en date sont parues en
2019 dans un recueil titré Contes Hybrides chez Les Editions Mille Cent Quinze. Il y explore autant les futurs fantasmés
de l'humanité qu'il part en quête de merveilleux.
Mais
revenons à son cycle des Dieux Sauvages
qui constitue donc l’œuvre la plus
aboutie de l’univers d’Evanégyre. Elle mêle tous les éléments forts du genre :
espaces cartographiés, mythologie et personnages héroïques. C’est la
combinaison de tous ces ingrédients qui va donner une grande légitimité à cette
œuvre.
Ainsi,
Lionel Davoust insère son épopée dans une géographie précise, cartographiée par
Roxane Millard. Les lecteurs peuvent se reporter à cette carte, insérée au
début de chaque livre afin de mieux suivre la progression de ses héros. La Rhovelle
est bordée à l’est par le golfe des Longues Houles, à l’ouest par Les Mortes
Couronnes (d’où part l’armée d’Aska), au nord, par La Magnecie et au sud, par La
Grande Vassière. L’intérieur même de La Rhovelle est délimitée par le fleuve
Aÿs qui coupe le royaume en deux avec au nord la Linacie et au sud, La
Belnacie. Voilà pour la description des grandes lignes de cet univers qui sert
de terrain de jeu à l’auteur.
Comme
souvent en littérature fantasy, il y
a une grande spiritualité qui se dégage de ces textes. C’est finalement la
croyance en l’existence d’un panthéon de divinités qui motive cette aventure.
C’est très perceptible dans Les Dieux
Sauvages puisque les affrontements sont conduits par deux entités divines,
deux dieux, deux frères qui cherchent par la ferveur des croyants à dominer le
monde. Comme nous suivons cette histoire essentiellement du point de vue de
Mériane qui porte la parole de Wer, on n’est donc plus volontairement enclin à
soutenir le parti de ce dernier qui incarne ici la vie et donc par extension le
Bien, alors qu’Aska qui mène des êtres difformes et profondément modifiés à la bataille
représente, de fait, le Mal. Seulement, à y regarder de plus près, les choses
ne sont pas si simples. Car après tout, l’armée d’Aska, ce n’est ni plus ni
moins, des hommes et des femmes qui ont été abandonnés par la lumière de Wer. Tous
ces laissés-pour-compte des Mortes Couronnes vont servir à la vengeance du dieu
aveugle qui en profite pour distiller dans leur cœur, haine et rancœur qui vont
servir de moteur pour la reconquête du royaume. Seulement, comme souvent en fantasy, la frontière entre le Bien et le
Mal est floue et les personnages ne sont ni noirs ni blancs. De fait, on peut
considérer les Askalites comme des victimes collatérales de la soif de pouvoir
des dieux. Peu importe le camp, ils sont tous des jouets entre les mains de ces
puissances supérieures. Toute la force de ce récit réside dans cette lutte dont
on ne sait finalement pas où placer la frontière.
Que
serait un bon récit sans personnages forts et charismatiques pour mener
l’aventure ? Lionel Davoust a bien intégré cet élément à sa saga en
introduisant une belle communauté de héros aux personnalités variées. Seulement,
pour écrire son cycle, l’auteur a fait preuve d’une grande rigueur. En effet, même
s’il tourne sur un petit nombre de protagonistes, il ne s’éparpille pas pour
autant et ne nous égare donc pas. Pour appréhender l’histoire, on passe d’un
point de vue à l’autre. Chaque paragraphe étant signalé ici par le nom du
protagoniste. Ce qui permet un meilleur ancrage dans le récit tout en assurant
notre attachement aux héros.
Parmi
les grandes figures de ce cycle, arrive en tête Mériane, la Messagère du Ciel,
le Héraut de cette grande épopée. Très jeune, elle se voit chargée d’un fardeau
souvent trop lourd pour ses frêles épaules. Dans une société machiste qui voue
un mépris, voire une haine du genre féminin, se faire entendre promet d’être
difficile. Mériane est un choix surprenant car elle ne colle pas forcément à
l’archétype du héros de fantasy. Du
fait de son jeune âge, notamment. Elle n’a pas la carrure ni l’envie d’endosser
ce rôle. Elle est amère, et n’a, à la base, aucune conviction religieuse. C’est
plutôt une marginale, une paria. On l’imagine donc mal haranguer les foules
pour sauver Evanégyre. Et pourtant, c’est ce qu’elle va faire et avec beaucoup
de charme, de surcroît. Elle apporte un vrai trait d’humour. Son sale caractère
et la mauvaise grâce qu’elle y met offrent des échanges avec Wer parfois
explosifs. A la fois forte et fragile, drôle et combative, elle est une héroïne
que l’on n’oublie pas. Léopol, son compagnon des premiers instants est un
personnage ambivalent. Il est perpétuellement torturé entre sa fidélité pour
Mériane et ses devoirs envers le werisme. Fortement endoctriné depuis
l’enfance, difficile pour lui d’assumer ses choix de soutenir la Messagère du Ciel
face aux autres croisés. Lorsque l’on a passé une grande partie de sa vie à
entendre le même discours, accepter de voir les choses autrement n’est pas un
chemin facile à prendre. Pourtant, c’est celui qu’il a décidé d’emprunter. Les
obstacles sont pour lui autant d’épreuves envoyées par Dieu. A lui de les
surmonter pour être accueilli parmi les justes. Il se dégage une grande
spiritualité de ce personnage très sérieux, qui contraste avec la juvénilité de
Mériane. Mais Lionel Davoust ne s’est pas contenté d’explorer la figure du guerrier
dans ses romans. On y rencontre aussi des personnages rusés comme ce Guil Redel
qui n’agit que pour son intérêt et change de camps s’il le juge nécessaire.
Détestable, il l’est à souhait, mais il est un pion important dans cette grande
partie d’échecs que mènent Wer et Aska. Tous ne sont pas des combattants hors-pair
mais occupent tout de même une position stratégique comme Erwel de Rhovelle, le
prince héritier, à qui le trône doit revenir. Beaucoup veulent se servir de
lui ; il est un atout pour certains et un otage pour d’autres. Erwel est
un idéaliste qui va voir ses illusions s’envoler. Avec l’invasion des
Askalites, il va devoir vite mûrir et apprendre de ses erreurs pour se forger
le destin qui lui tend les bras. Avec sa candeur, il est sans doute l’un des
héros les plus attachants de Lionel Davoust. Du chaos, certains ambitieux pensent
en profiter. Maragal Dwelen, le fameux chronète de Mériane en est un parfait
exemple. Il espère marquer l’Histoire et voir le vent tourner en sa faveur, en
racontant les hauts faits du Héraut de Wer. Il n’est pas mauvais en soi, mais
il reste un calculateur qui n’agit surtout qu’en fonction de ce qui va le
servir. Bien entendu, l’auteur n’a pas omis d’introduire des personnages
profondément sombres comme le ténébreux Ganner. Commandant des armées
askalites, élu d’Aska il est le pendant de Mériane. Froid, monstrueux,
réfléchi, il est un redoutable adversaire car à la différence de la jeune femme,
il ne ressent rien. Massacrer ses troupes ne le dérange pas, bien au
contraire ! L’important est d’arriver à ses fins, à savoir conquérir La
Rhovelle et étendre l’Eternel Crépuscule afin qu’Aska domine le monde. Il
semble toujours avoir un coup d’avance sur ses ennemis. Rien n’est laissé au
hasard avec lui et c’est bien ce qui est le plus inquiétant. Comment vaincre un
ennemi sans failles ? Entouré de Spectres Armurés, de Santoriaux, d’Effrais,
autant d’humains modifiés, il semble bien invincible.
Dans
son cycle des Dieux Sauvages, Lionel
Davoust donne la parole à une multitude de personnages qui sont à la fois
témoins et acteurs de ce qui ébranle Evanégyre. Entre coups d’éclats et coups
d’estocs, l’auteur a su s’attacher ses lecteurs au fur et à mesure des tomes.
Et ses héros aux multiples facettes y sont clairement pour quelque chose.
L’autre
force de ce cycle fleuve s’exprime dans la construction d’un univers mêlant
magie et technologie. Evanégyre a connu un cataclysme d’une telle ampleur
qu’elle renaît profondément modifiée. Pour le meilleur et pour le pire, les
peuples ont survécu et se sont adaptés aux anomalies qui déforment maintenant
le paysage. La magie a échappé à tout contrôle, elle est corrompue et corrompt
à son tour ce qu’elle touche. Les préceptes de Wer véhiculent la crainte de
cette magie, et tient ainsi la population dans un obscurantisme total. Ce qui
fera d’ailleurs la force d’Aska qui va la reprendre à son compte et la
déchaîner sur un peuple désarmé. Car de simples armes humaines ne peuvent rien
contre la puissance magique.
L’auteur
nous dépeint un monde nourri de noirceur et de mensonges. Chaque roman révèle
sa part de secrets et nous donne au fur et à mesure une conscience aiguë de
l’étendue de la supercherie.
Les
codes de la fantasy sont bien là,
l’épopée et l’héroïsme aussi. Les Dieux
Sauvages, c’est le bon dosage de ce que l’on aime de la fantasy avec l’ingrédient en plus qui
rend accro, l’humour.
Ce
sont tous ces éléments qui inscrivent ce cycle de fantasy et à travers lui, l’auteur lui-même, dans le panthéon des
œuvres à lire et des écrivains français à suivre.
Lionel Davoust maîtrise
finalement tous les formats et s’épanouit dans tous les genres de l’Imaginaire.
Que l’on apprécie les grandes sagas ou les courts récits, il est impossible
d’échapper à cette plume qui a su, au fil des années, s’imposer dans nos
bibliothèques.
Fantasy à la Carte