L'influence du "gaming" à la littérature

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18/06/2017

Marion Zimmer Bradley: pour une féminisation de la fantasy

Marion Zimmer Bradley, née en 1930 à Albany et décédée en 1999 en Californie, est une pionnière en littérature fantasy et science-fiction comme en témoigne sa foisonnante bibliographie. L'essentiel de son oeuvre a d'ailleurs beaucoup surfé entre deux genres: la space fantasy et la science fantasy. En donnant la parole aux femmes dans ses romans, elle affiche clairement son féminisme en permettant ainsi à l’héroïne de devenir l'égal du héros. 

Fait remarquable à signaler est son investissement à pousser d'autres écrivaines à publier leurs textes à leur tour. Ce qu'elle fit notamment par l'intermédiaire de l'anthologie Sword and Sorceress qu'elle a dirigée et permis ainsi l'émergence de nouvelles auteures comme Mercedes Lackey.  

Elle étudie à l'université de Berkeley en Californie, puis enchaîne les petits boulots de serveuse, blanchisseuse et même chanteuse. Elle épouse en 1947 Robert Alden Bradley puis en 1964, Walter Henry Breen. Deux hommes dont elle divorcera après quelques années de vie commune. C'est très tôt qu'elle se lance dans l'écriture puisqu'elle est à peine âgée d'une vingtaine d'années lorsqu'elle publie sa toute première nouvelle en 1952 dans le magazine de fantasy et science-fiction, Vortex

Elle a marqué le paysage littéraire grâce aux nombreux cycles publiés tout au long de sa carrière. Le premier à citer est celui de Ténébreuse qui est constitué de pas moins de 26 tomes (édités de 1979 à 1999). Une saga qui s'inspire aussi bien de science-fiction que de fantasy. Cela démarre avec le crash d'un vaisseau terrien sur une planète hostile au climat rude où habitent de mystérieuses créatures. C'est dans ce contexte que va devoir survivre l'équipage en fondant, ce qui deviendra avec le temps, une société féodale dirigée par les Comyn aux cheveux rouges. Cette nouvelle population est constituée des familles se prétendant issues d'un être commun et ayant héritées de pouvoirs télépathiques grâce à la présence de cristaux sur cette étrange planète. Alors qu'ils n'ont pas conscience de leurs origines humaines, ils sont rattrapés par leur passé avec l'arrivée de nouveaux terriens avec lesquels ils vont devoir cohabiter. 

Cette première série de romans a été bien accueillie par son public au point que dans les années 70, une association a vu le jour sous le nom des Amis de Ténébreuse. Son but était de publier une lettre d'information qui se transforma en 1977 en fanzine dans lequel des apprentis-écrivains, fortement encouragés par l'écrivaine elle-même, s'initiaient à la rédaction de nouvelles dont l'action se déroulait dans l'univers de Ténébreuse. Plus tard, les meilleurs textes ont été réunis dans onze anthologies sous la direction de Donald Wollheim, le directeur des éditions DAW. Mais en 1992, suite à un désaccord avec l'un des auteurs, Marion Zimmer Bradley a interdit formellement la publication d'autres fictions tirées de Ténébreuse.

Sa saga majeure de fantasy reste celle d'Avalon qui s'étale sur huit romans et correspond à une réécriture des légendes arthuriennes du point de vue féminin. Néanmoins, elle ne se contente pas d'y évoquer seulement le destin d'Arthur et de ses célèbres chevaliers mais dessine l'histoire de la Bretagne depuis la conquête romaine jusqu'à même faire référence à la mystérieuse Atlantide. La petite particularité de ce cycle est qu'il a été continué de manière posthume par Diana L. Paxson. Si l'on tente de reconstituer un ordre chronologique d'écriture et non historique, vient en premier lieu Les Dames du Lac et Les Brumes d'Avalon (1983), suivi de La Chute d'Atlantis (1987), La Colline du dernier adieu (1994), Le Secret d'Avalon (1997), Les Ancêtres d'Avalon (2004), pour se terminer par deux romans non traduits Ravens of Avalon (2007) et Sword of Avalon (2009). 

Elle est l'autrice d'autres sagas comme la série Lumière publiée entre 1984 et 1998. Elle y raconte le destin d'une jeune psychologue rattrapée par ses pouvoirs d'extralucide. Alors que cette dernière s'est réfugiée à San Francisco dans une vieille demeure, elle était loin d'imaginer découvrir un monde occulte, angoissant qui l'épouvante autant qu'il la fascine.  
De 1990 à 1995, Marion Zimmer Bradley coécrit avec André Norton et Julian May une série de romans édités sous l'intitulé Trillium. Ceux-ci racontent de manière plus ou moins cohérente les aventures de deux princesses: Kadiya et Haramis. 

Elle ne sait pas contenter d'écrire des cycles puisque sous sa plume de nombreux romans indépendants ont vu le jour comme Le château des tempêtes (1965), La Maison entre les mondes (1981) ou encore La Princesse de la nuit (1985). 
Néanmoins là où sa plume a été la plus généreuse, cela reste avec ses nouvelles qu'elle a écrites presque tout au long de sa carrière littéraire. Ainsi, on en totalise une trentaine. 

Marion Zimmer Bradley laisse un bel héritage littéraire qui se transmet encore de génération en génération. Ses œuvres sont toujours rééditées, ce qui prouve la haute qualité de sa plume dont les lecteurs, à priori, ne se lassent pas.

On peut donc affirmer sans se tromper qu'elle a influencé toute une génération d'auteurs et de lecteurs en poussant notamment les femmes à lire et à écrire de la fantasy et de la science-fiction. Grâce à des personnalités comme elle, les littératures de l'Imaginaire ne sont plus la chasse gardée des hommes. Elles se féminisent enfin. 

Bien sûr, j'aurais pu vous parler de vaisseau spatial ou de planète lointaine pour évoquer le merveilleux travail d'écriture qu'a réalisé Marion Zimmer Bradley à travers ses textes. Cependant je préfère que l'on s'attarde plutôt sur sa réappropriation du mythe arthurien qui, je peux vous le dire, me fascine davantage. Donc par avance, je m'excuse pour les passionnés de science-fantasy et science-fiction, ici on n'en parlera guère.  

L'Avalon de Marion Zimmer Bradley fait revivre le mythe arthurien sous la forme de huit romans. Comme chacun de ses livres, elle construit son histoire autour de portraits d'héroïnes et laisse donc ici les femmes, qui ont marqué la Matière de Bretagne, parler. 


Elle fait une belle place à la magie qui est source de tout récit de fantasy et est également intrinsèque au cycle arthurien. Elle se dévoile par l'intermédiaire de détenteurs de dons comme toutes les filles d'Avalon en possèdent. Celui-ci se manifeste à des degrés différents en fonction de l'apprentissage reçu et de leurs usages au quotidien. Ainsi Viviane et Morgane ont des pouvoirs plus développés qu'Ygerne ou Morgause. En vivant longtemps sur l’île d'Avalon et en devenant prêtresses de la Déesse, elles ont acquis des facultés beaucoup plus étendues. Elles ont par exemple la capacité de faire apparaître des lieux ou des personnes à la surface de l'eau comme si elles les regardaient à travers un miroir. Ce qui leur permet de connaître la vie de telle ou telle personne, voire même de communiquer avec ladite personne. Leurs influences sur l'Histoire de la Bretagne en seront donc plus importants. Face à elles, Ygerne n'a que peu de pouvoirs si ce n'est celui de voir l'avenir à travers des visions que la Déesse Mère lui accorde. Quant à Morgause, elle se sert essentiellement de son don pour s'adonner à la magie noire afin d'obtenir ce qu'elle désire. Toutes quatre ont la particularité de bien vieillir, c'est comme si les années n'avaient pas prises sur elles. Elles semblent immortelles même si elles ne le sont pas en réalité. Leur lien avec Avalon les garde jeunes et belles. Autres habitants de l'île sacrée sont les druides qui détiennent également le don de voir l'avenir et de le tordre à leur guise, à l'image de Merlin. Ils apparaissent comme des guides spirituels et possèdent des connaissances pour notamment guérir les maux et apporter des réponses à certaines interrogations des païens. Ils transmettent donc le culte et sont des passeurs de savoirs. A Avalon, il est possible de rencontrer le petit peuple des fées qui accompagne les prêtresses et les druides dans leur travail de transmission du culte, qui rappellent l'importance de l'attachement à la terre car c'est d'elle que tous ces êtres tirent leurs pouvoirs. On les rencontre souvent aux pieds des rochers, ou près des sources d'eau. Leur présence se manifeste par des cadeaux comme des colliers de fleurs laissés en échange de nourriture. Mais le plus fréquemment, seuls les personnes autorisées à venir sur Avalon ont l'occasion de les voir car certaines de ces créatures sont chargées de conduire la barque qui relie le monde des hommes à l'île secrète. 
Justement Avalon est le lieu, par excellence, de concentration de magie. C'est un haut lieu de rassemblement pour tous ceux qui pratiquent le culte des anciens dieux. A cause de la menace romaine et chrétienne, il est devenu secret, protégé par des brouillards magiques qui le dissimulent aux regards des non-initiés. Pour l'atteindre, il faut connaître la formule magique sinon on ère sans jamais en trouver le chemin. Ce qui renforce son caractère mystérieux et sacré. Tout y est verdoyant et fleuri. C'est un havre de paix où les prêtresses et les vierges ont trouvé refuge. Elles y méditent en toute tranquillité et se connectent plus facilement à la terre et atteignent ainsi les pouvoirs que cette dernière leur transmet.
Tout au long du cycle arthurien, il est question d'une lutte perpétuelle contre le Mal. Celui-ci se manifeste de diverses manières. Ici, l'histoire nous est conté du point de vue des femmes d'Avalon. En conséquence, le récit va mettre en exergue la lutte contre les les saxons dans un premier temps, puis les chrétiens dans un second temps, et plus particulièrement contre l'extension de leur culte qui tend à mettre de plus en plus en péril celui des anciens dieux et menace les préceptes d'Avalon, ainsi que ses habitants. Les Dames du Lac vont tenter chacune à leur tout d'endiguer cette menace. Ce fut par exemple le cas avec Viviane qui a essayé de lier Arthur par un pacte, scellé par le don d'une épée magique, Excalibur, censée le protéger de tout danger en échange de sa propre protection pour Avalon. Un échec pour Viviane qui finira par tomber sous les coups de la haine et de l'aveuglement. Morgane, également, fera tout son possible pour protéger l'île et ses mystères des envahisseurs notamment en devenant à son tour grande prêtresse. Avec le temps, l'influence des druides s'estompent au profit de la religion chrétienne. Ainsi des églises fleurissent un peu partout au détriment des pierres levées qui sont abattues. Ça sonne la fin d'une magie ancestrale qui se replie peu à peu à Avalon et dans le monde des fées pour ne plus revenir dans celui des hommes.
La quête menée par le héros est très présente dans le cycle arthurien, raison pour laquelle Marion Zimmer Bradley la met en exergue dans son présent récit. Qu'elle soit là pour unifier les peuples et protéger Avalon qui fut la destinée d'Arthur. Ce grand roi annoncé par une très vieille prophétie. Ou qu'elle corresponde au moment où pour contrer l'ennui qui s'est installé dans le cœur des chevaliers de Camelot, tous se donnent pour mission de retrouver le Graal, cette coupe mythique détentrice de grands pouvoirs mystiques. 


A la lecture de cette saga, il en ressort la volonté de Marion Zimmer Bradley de démontrer le caractère fantasy de ces textes anciens. En effet, on y retrouve bien tous les éléments propres au genre. Elle nous fait à nouveau fouler les terres sacrées de la mythique Avalon, et nous enivre allègrement de magie. A travers cette œuvre, l'auteure prouve qu'elle est autant capable de laisser vagabonder son imagination sur les terres de fantasy que de science-fiction. 

L'ensemble de son travail est notable car elle a clairement fait évoluer le genre en le mettant à la portée du sexe féminin. Ce qui pour l'époque était clairement notoire, et est intéressant, aujourd'hui, car la fantasy est un genre qui justement se féminise de plus en plus. 


Fantasy à la carte

11/12/2016

Lord Dunsany : un précurseur à la littérature fantasy

De son nom complet Edward John Moreton Drax Plunkett est un écrivain irlandais né en 1878 à Londres et décédé en 1957 à Dublin. Il est le dix-huitième baron de Dunsany, d’où le nom de plume de Lord Dunsany qu’il adopte pour signer ses livres.

Auteur prolifique, il a écrit aussi bien des nouvelles, des romans, des poèmes, des essais que des pièces de théâtre. En effet, il a laissé derrière lui plus d’une soixantaine d’œuvres.

D’abord scolarisé à Eton, une école élitiste, fleuron des écoles publiques britanniques, il intègre ensuite l’académie royale militaire de Sandhurst. De 1899 à 1902, il sert dans un régiment d’infanterie de l’armée britannique, Les Coldstream Guards et est envoyé en Afrique du Sud lors de la seconde guerre des Boers. Après la disparition de son père, il devient le baron de Dunsany et hérite des propriétés familiales, et notamment du château de Dunsany dans le comté de Meath où il va d’ailleurs résider toute sa vie. En 1904, il épouse lady Béatrice, la benjamine du comte de Jersey Victor Child Villiers et en 1906 naît son fils Randal Arthur Henry Plunkett. La Première Guerre mondiale met à nouveau sa vie en suspens puisqu’il va y servir dans les rangs des Royal Inniskilling Fusiliers le temps du conflit.

De retour à la vie civile, il se met à enseigner la littérature anglaise et part à l’université d’Athènes de 1940 à 1941, juste avant l’invasion allemande.

Sportif, amoureux de la nature et passionné par la chasse, Lord Dunsany s’est nourri de ses passions pour produire des textes variés aux notes très poétiques.

A ce jour, toutes ses œuvres n’ont pas été traduites en français mais suffisamment pour que l’on ait la pleine conscience de son talent et de l’héritage qu’il a laissé à la littérature fantasy. En effet, rappelons le rôle de précurseur que cet auteur a joué dans la naissance d’une fantasy moderne. Ce sont bien de ses textes que ses héritiers à l’image de J.R.R. Tolkien ou H.P. Lovecraft se sont inspirés pour écrire.

Lord Dunsany est donc l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles de fantasy dont Les dieux de Pegana est le premier paru en 1905, suivi d’un second Le Temps et les Dieux en 1906. Sous la forme d’une trentaine de monologues et de fragments historiques, il raconte la fabuleuse légende de la création du monde et des dieux. En 1908 sort L’épée de Welleran, un conte fantastique qui mêle des mondes imaginaires influencés par la Bible et l’Iliade à une réalité sombre. Un quatrième recueil, Contes d’un rêveur, sort en 1910 où l’auteur explore ce qu’il appelle les « régions brumeuses du sommeil et de la mort ». En 1912, il écrit Le Livre des merveilles qui immerge son lecteur dans un univers empreint de féérie et de légendes, de cités disparues et de dieux étranges. En 1916, il complète ce recueil par un autre, Le dernier livre des merveilles où l’on retrouve ce même monde hybride imaginé par Lord Dunsany. Quant aux autres nouvelles, elles ne sont pas encore traduites. Mais à la lecture de ces premiers recueils, il est clair qu’il apparaît comme un auteur d’univers dignes des plus grands récits de fantasy.

Après s’être initié à l’écriture de nouvelles, il se tourne vers des récits plus longs, plus élaborés dont La Fille du roi des elfes est le plus bel héritage. Paru en 1924, ce roman relate la destinée du prince Alvéric, chargé par son père d’enlever la fille du roi des Elfes de la Forêt Enchantée. Seulement, il n’aura pas besoin de commettre un tel méfait, car Lizarel, tombée sous son charme accepte de le suivre dans le monde des hommes sans problème. De leur union, naîtra Orion, un enfant doué de magie. Seulement le roi des Elfes, furieux de la disparition de sa fille unique fera tout pour la retrouver. Et c’est sous la forme d’un message ensorcelé porté par un troll que Lizarel, déçue par les hommes, finira par retourner auprès des siens au plus grand désespoir d’Alvéric. D’ailleurs, inconsolable, le prince amoureux passera le reste de sa vie à parcourir le monde pour retrouver la Forêt Enchantée. Un autre roman paraît en 1927, Vent du Nord qui rend hommage à la vieille Irlande en faisant revivre les vieilles légendes du Pays de l’Eternelle Jeunesse des Celtes. Malheureusement les autres romans, poésies ou encore essais de Lord Dunsany n’ont pas encore été traduites à ce jour et donc resteront dans l’ombre.

Puisque La Fille du roi des Elfes est considérée comme son « chef d’œuvre », c’est de ce roman qu’on parlera plus longuement. Un livre d’ailleurs intéressant pour ce qu’il apporte à la fantasy moderne. Déjà le premier élément à mettre en exergue est le riche univers imaginé par Lord Dunsany. Il choisit d’inscrire son histoire dans un monde où les hommes vivent près du Royaume Enchanté peuplé d’Elfes. L’existence de ce royaume est connue de tous, seulement peu peuvent témoigner d’avoir été spectateur d’un quelconque prodige. Le récit démarre au moment où le prince du royaume des Aulnes (le territoire à la frontière du Royaume Enchanté) est chargé de pénétrer dans ce Royaume Enchanté pour enlever la fille du roi des Elfes. C’est ainsi que le lecteur découvre un monde merveilleux où les montagnes sont bleues et où les palais sont immenses. La nature y est verdoyante et enchanteresse. Les arbres sont doués de vie et se déplacent au gré des dangers. Ce monde émet un son de trompes magiques que seuls les êtres qui lui sont liés peuvent entendre.  Pour pénétrer dans cet espace merveilleux et secret, il faut passer une barrière magique constituée de brumes. Ce Royaume Enchanté rappelle l’île d’Avalon de la littérature arthurienne, car à son image c’est un lieu mystérieux réservé aux élus. Un endroit où s’épanouissent des créatures surnaturelles comme des Trolls, des Elfes, et autres esprits de la forêt.

Il est vrai que l’auteur s’est inspiré de ces légendes arthuriennes pour nourrir son présent récit, déjà dans le fait qu’il parle longuement de l’errance du chevalier aussi bien au début du roman lorsque Alvéric traverse le pays enchanté pour enlever Lizarel puis lorsqu’il parcourt la terre entière pour retrouver le royaume disparu avec son épouse.

La magie se manifeste de bien des manières, déjà à travers l’existence de cet endroit magique mais aussi par le biais de certaines créatures. Lizarel en est la parfaite incarnation. Une femme superbe, irrésistible, immortelle contre qui Alvéric ne pouvait pas résister. Le père de Lizarel, le souverain des Elfes possède également sa propre magie qui se manifeste par la possibilité d’user de trois puissants sorts qu’il va justement utiliser pour récupérer sa fille partie dans le monde des hommes. Même du côté du territoire des humains, la sorcellerie est présente avec notamment l’existence de la sorcière Ziroondel qui va devenir la conseillère d’Alvéric, et même la nurse d’Orion, l’enfant d’Alvéric et de Lizarel. Un personnage important qui est décrit par Lord Dunsany comme la parfaite représentation de la sorcière type dans l’imaginaire populaire, à savoir une vieille femme, ermite, qui vole sur un balai et lance des sorts à l’aide d’une baguette.
La quête est au cœur de ce récit. Elle y est évolutive. En effet, elle commence avec Alvéric qui a pour mission d’enlever Lizarel, puis plus tard lorsque celle-ci aura à nouveau disparue, ce dernier repartira en quête de la retrouver. Du côté d’Orion, devenu adulte, il mène également sa propre quête qui est de chasser les licornes qui pénètrent le monde des hommes à la nuit tombée.

Au vue de tous ces éléments, Lord Dunsany démontre dès son époque qu’il a commencé à rassembler des données propre à la littérature fantasy qui par la suite vont être repris et largement développés par ses disciples, comme J.R.R. Tolkien ou H.P. Lovecraft.  Il est un véritable peintre des mots et nous entraîne dans un imaginaire fortement teinté de merveilles. Quel que soit le récit, ils invitent pleinement à la rêverie, au voyage. De format court, ils sont tous très poétiques, et donc envoûtants.

Finalement Lord Dunsany a su marquer son époque en laissant des écrits qui apparaîtront comme autant de guides pour des générations d’écrivains à venir. Il atteste son désir de se démarquer des autres et de remettre le merveilleux au centre de ses histoires. C’est à travers tout cela qu’il apparaît clairement comme un précurseur au genre. 

Fantasy à la carte

25/10/2015

Terry Pratchett, ou comment conquérir le Disque-Monde?

Terence David John Pratchett est un écrivain britannique de fantasy parodique. Il est né en 1948 à Beaconsfield et est décédé il y a peu, le 12 mars 2015 à Broad Chalke.

Dans son enfance, il se passionne d’abord pour l’astronomie, puis s’intéresse à la science-fiction jusqu’à assister à des conventions à partir de 1963. Il est à noter que ses premières lectures des œuvres de H. G. Wells et d’Arthur Conan Doyle influenceront son écriture plus tard. 

C’est à l’âge de 13 ans qu’il publie sa première nouvelle The Hades Business dans un fanzine de son école. Nouvelle qui sera d’ailleurs rééditée deux ans plus tard dans une revue professionnelle. 

Terry Pratchett est un adolescent qui s’intéresse à tout. Ainsi, il commence une formation en Art, en Histoire puis en Anglais avant de s’orienter vers le journalisme en 1965. Grand amateur de livres, il publie son premier roman, Le Peuple du Tapis en 1971 qui reçoit un succès relatif malgré quelques bonnes critiques. 

Entre 1970 et 1980, il devient rédacteur et dessinateur pour différents journaux. On lui connait notamment la série Warlock Hall qui raconte la vie d’une agence de recherche paranormale. 

Même si en 1980 il obtient le poste d’attaché de presse au sein d’une société gérant trois centrales nucléaires, il n’en met pas pour autant de côté l’écriture. En effet, il publie en 1976 La face sombre du soleil puis Strate-à-gemmes en 1981. Néanmoins, malgré l’humour filtrant déjà à travers ses titres, Terry Pratchett demeure encore dans l’anonymat. Pour que cela change, il faut attendre la publication de La Huitième Couleur qui sera le premier volume des Annales du Disque-Monde. En fait, l’auteur va bénéficier d’un petit coup de pouce lorsque la BBC accepte de diffuser une version radiophonique du roman. Le second tome, Le Huitième Sortilège vient confirmer cet engouement du public. En 1987, lorsqu’il met un point final au quatrième volume, Terry Pratchett décide de se consacrer pleinement à l’écriture et arrête d’exercer son emploi d’attaché de presse. Une sage décision face au triomphe de Sourcellerie qui incite même son éditeur à lui commander six autres nouveaux romans. Dès lors, Pratchett démontre qu’il est un auteur prolifère en écrivant deux romans par an. Ainsi, Les Annales du Disque-Monde comptent 27 romans dont chaque tome s’attache à explorer cet univers fabuleux, baroque et farfelu imaginé par l’auteur. 




Mais ce dernier a été plus loin puisqu’il a même collaboré à des livres gravitant autour de cet univers. Il co-écrit ainsi avec Stephen Briggs un guide encyclopédique du Disque-Monde, Le Vade-Mecum (1994), qui sera d’ailleurs réédité en 2003 sous le titre Le Nouveau VadeMecum. L’année d’après, il élabore une carte géographique associée à un livret regroupant des éléments biographiques des différents explorateurs du Disque. Enfin, il va même jusqu’à écrire avec Tina Hannan un livre de cuisine aux notes humoristiques, Les Recettes de Nounou Ogg. En compagnie du mathématicien Ian Stewart et du biologiste Jack Cohen, il se lance dans une série de livres sur la science du Disque-Monde. Pour ces ouvrages de vulgarisation scientifique, il sera d’ailleurs récompensé par un diplôme honorifique délivré par l’université de Warwick. 


Terry Pratchett est également l’auteur de quelques livres pour enfants, parmi lesquels on peut notamment citer la trilogie du Grand Livre des gnomes publiée entre 1988 et 1990, ou encore Les Aventures de Johnny Maxwell (1992-1996). En 2012, il écrit un dernier roman jeunesse Roublard dans lequel le héros rencontre des personnes ayant réellement existées comme Charles Dickens. 

Côté littérature pour adultes, il publie une uchronie en 2008, Nation dont l’action se déroule au milieu du XIX e siècle. Ensuite, il s’associe à Stephen Baxter pour co-écrire une série s’axant autour des mondes parallèles à la Terre. Trois volets vont en ressortir, La Longue Terre en 2013, La Longue Guerre en 2014 et The Long Utopia en 2015. 

Bien entendu, on ne peut pas parler de la fantasy pratchettienne sans revenir plus longuement sur son œuvre majeure des Annales du Disque-Monde. Cette gigantesque saga suit tour à tour une série de personnages tous plus étonnants les uns que les autres dans leur exploration du Disque. A la différence de la fantasy commune mettant en scène une communauté de héros dont le but ultime est de mener à bien une quête et le plus souvent de sauver le monde, Terry Pratchett, lui, va apporter un autre souffle au genre. Ici, on colle aux basques de héros inattendus qui se retrouvent enrôlés dans des aventures hasardeuses et étranges. Ainsi, le cycle démarre avec l’arrivée d’un étranger prénommé Deuxfleurs dans la ville d’Ankh-Morpork. Cet homme semble sortir tout droit du futur avec ses expressions modernes et ses appareils avant-gardistes par rapport à l’époque médiévale qui est décrite ici. Mais c’est surtout lorsque Deuxfleurs rencontre le mage Rincevent que l’aventure va réellement débuter. Chargé par le praticien de la cité, Rincevent n’a pas d’autres choix que de suivre l’étranger dans ses pérégrinations déconcertantes car Deuxfleurs est un touriste et son seul but est de partir à la découverte de ce monde fabuleux. 

Pourquoi est-il si fabuleux d’ailleurs ? Peut-être parce qu’il est constitué d’un immense disque plat soutenu par quatre éléphants : Bérilla, Tubul, Ti-Phon et Jérakine, eux-mêmes reposant sur le dos d’une tortue géante, prénommée la Grande A’Tuin qui navigue dans le cosmos. Voici donc un univers qui n’a pas son pareil dans ce qui se fait en littérature fantasy. Originalité et singularité seront donc les maîtres-mots de cette série. 
Néanmoins, des critères communs au genre transparaissent à travers ses textes comme la magie qui demeure un élément omniprésent dans la totalité des aventures du Disque-Monde. Elle se manifeste déjà par le pouvoir que possèdent les mages. Ceux-ci ont la capacité de jeter les sorts contenus dans les grimoires de magie comme l’In-Octavo. Même si les sorciers de Terry Pratchett sont peu banals avec leur maîtrise approximative du pouvoir, à l’image de Rincevent. En effet, ce dernier est incapable de prononcer le moindre sort depuis que l’un d’eux s’est logé dans sa tête le jour où il a ouvert le grimoire. D’autre part, certaines femmes possèdent aussi un don pour la magie. Il passe notamment par la maîtrise de l’emprunt, cette capacité à couler son esprit dans le corps d’autrui comme celui d’un animal, ou encore la connaissance des plantes et des simples, et même l’habileté à voler sur un balai. Existent également des objets ensorcelés comme cette malle qui suit Deuxfleurs partout. Elle semble douée de raison, dispose de nombreuses petites pattes grâce auxquelles elle se déplace et a même l’étrange capacité de faire apparaître à chaque ouverture de son couvercle ce que souhaite son propriétaire. En outre, même dans les écrits de Terry Pratchett, on retrouve un peu la dimension manichéenne de la lutte entre le Bien et le Mal. Pour autant, elle est plus subtile que dans la fantasy traditionnelle. Par exemple, dans le premier diptyque, elle se manifeste lorsque Rincevent va s’opposer au mage maléfique Trymon quand celui-ci cherche à s’emparer de tous les sorts enfermés dans l’In-Octavo
Néanmoins toute l’extravagance de l’auteur réside dans les détournements des éléments classiques de fantasy pour apporter une vraie touche d’humour, voire d’absurdité à ses textes. Ainsi, ses romans sont remplis de références à d’autres œuvres afin que le lecteur se retrouve finalement en terrain connu. Il instaure ainsi une certaine complicité avec lui et rend ses livres encore plus fascinants. Il reprend par exemple des éléments des contes merveilleux comme les bottes des sept lieues dont vont user Rincevent et Deuxfleurs ou encore aux fameuses mines de pierres précieuses des nains qui nous rappellent bien entendu Blanche-Neige. Quant aux terribles créatures ailées cracheuses de feu, elles sont le fruit de pouvoir de l’esprit de certains humains qui les font apparaître à leur gré. Là encore, nous sommes bien loin des créatures dangereuses et indépendantes auxquelles la littérature fantasy nous avait habituées. Et cette malle n'est pas sans rappeler le sac de Mary Poppins car l'un comme l'autre semblent contenir l'univers infini. 


D'autre part, des héros mythiques ont leur place dans l’œuvre de Pratchett. C’est le cas de Cohen le Barbare en hommage au célèbre personnage de Conan de Robert E. Howard. Mais un Conan âgé de plus de 80 ans. On est donc loin du jeune homme fort, défenseur de la veuve et de l’orphelin, toujours parti sur les chemins pour vendre son épée au plus offrant. Pratchett met l’accent sur l’humanité des personnages, sur leurs faiblesses aussi. Finalement, l’auteur propose des héros proches de ses lecteurs où chacun y trouve son compte, d’où sans doute son immense succès. Mais Cohen le Barbare n’est finalement pas le seul personnage aux caractéristiques si humaines. 

Tous les héros de Pratchett sont remarquables au regard du soin qu’il a mis pour les façonner. Prenons par exemple Rincevent. Voilà bien un héros atypique. Un mage raté, on peut le dire. Et pourtant, il n’en demeure pas moins un héros. Lui qui manquait tant de courage, couard sur les bords, il a su en trouver à la toute fin de l’aventure pour sauver son monde et ses amis. Car c’est dans l’adversité que l’on prend conscience de la valeur de l’être humain. Quant à Deufleurs, petit personnage farfelu aux idées bien arrêtées qui ne semble avoir peur de rien. Non pas qu’il soit très brave lui non plus, mais il est inconscient des réalités. Totalement dans sa bulle, cela lui donne un côté frondeur. Tout fantasques qu’ils soient, Rincevent et Deuxfleurs n’en demeurent pas moins très humains et forts attachants. 

Autre personnage incontournable est La Mort car elle a une place centrale dans Les Annales du Disque-Monde. La première chose à dire sur La Mort est qu’elle est de sexe masculin et qu'il est même chef de famille. Ce qui est pour le moins étonnant. D’autre part, son rôle est bien entendu de moissonner les âmes des défunts. Un personnage bien sombre me diriez-vous. Et bien détrompez-vous car Terry Pratchett a su y insuffler de l’humour notamment lorsque La Mort n’arrive pas à récolter l’âme de Rincevent qui semble se jouer de lui. En effet, notre mage catastrophe est en fait un grand chanceux qui se sort des pires situations. Pratchett multiplie les situations burlesques comme lorsque La Mort joue aux cartes avec ses amis La Famine, La Guerre et La Peste pour passer le temps. En somme, c'est une manière pour l’auteur de dédramatiser la fin de la vie. Autre personnage hors norme est Mémé Cirdeutemps. Voilà une sorcière peu ordinaire, déjà au vu de son âge avancé. A la différence de ses confrères écrivains, Pratchett va donner la primeur à des héros vieillissants dans certaines de ses aventures au risque de manquer de crédibilité parfois. Car comment peut-on imaginer un vieillard sortir victorieux d’un combat singulier ? Et pourtant Terry Pratchett l’a fait et ce avec brio puisqu’il arrive même à nous tirer un sourire, voir un rire au détour de l’une ou l’autre des pages de ses romans. Et puis comment ne pas fondre devant cette grand-mère complètement dépassée par sa petite-fille appelée à devenir un mage à cause d’une erreur de présage. 

C’est bien dans des aventures rocambolesques et désopilantes que nous entraîne Terry Pratchett. Observateur du monde, il se sert de ses écrits pour dépeindre notre société en exagérant les situations, ou les travers de l’humanité. Pour quelles raisons ? Pour rire, peut-être. Ou tout simplement pour arrêter de se prendre au sérieux. Finalement Terry Pratchett maîtrise la dérision de soi avec une grande habileté et on se laisse si facilement prendre au jeu par ses romans. Alors je ne sais pas ce que vous en pensez mais autant ne pas se priver d’une franche dose de bonne humeur, non ?


Fantasy à la carte

09/06/2015

Mathieu Gaborit, inspirateur d’une fantasy à la française

Le romancier de science-fiction et de fantasy, Mathieu Gaborit est né en 1972. Il a été très tôt baigné par l’ambiance des jeux de rôle. Un élément d’ailleurs non négligeable pour un écrivain de fantasy. Il commence ainsi par collaborer au magazine Casus Belli, ce qui a influencé son orientation vers l’écriture.

Ensuite, il participe à l’élaboration de quelques scénarios de jeux de rôles qui l’amènent à la rédaction de son premier roman Souffre-Jour, publié aux éditions Mnémos en 1995. Les deux autres tomes qui complètent cette trilogie des Chroniques des Crépusculaires sont Les Danseurs de Lorgol (1996) et Agone (1996). Ce cycle relate l’initiation d’Agone de Rochronde, un jeune héritier issu d’une famille noble qui, à la mort de son père est envoyé au collège du Souffre-Jour pour y apprendre à maîtriser la magie. Mais là-bas, il sera manipulé pour provoquer la destruction de l’établissement. En fait, Souffre-Jour est le premier livre de fantasy, écrit par un Français qui rencontre le succès.
   
Toujours en fantasy, il a également écrit le dytique Abyme (1996-1997), puis le cycle L’Ame des Roisnains (1997-1998) sous le pseudonyme de William Hawk, ensuite vient la trilogie : Les chroniques des Féals (2000-2002), Les Arcanes féériquesCarnets de voyage de Sinane l’enchanteur (2005), FaeryCity (2007), La Chronique du Soupir (2011) et enfin le recueil de nouvelles  D’une rive à l’autre (2012).



Côté steampunk, il est l’auteur du cycle Bohème (1997), et de Confessions d’un automate mangeur d’opium (1999), pour lequel il a reçu le prix Bob-Morane-Imaginaire 2000 dans la catégorie «Meilleur roman francophone».
D’autre part, Mathieu Gaborit a pas mal contribué à l’écriture de jeux de rôle comme Ecryme, co-écrit en 1994 avec Guillaume Vincent. Agone réalisé par Multisim en 1999 et qui s’inspire largement des Chroniques des Crépusculaires. Abyme, adapté du roman éponyme qui vient compléter Agone, paru toujours chez Multisim en 2000. Enfin Les Chroniques des Féals adaptées de la trilogie du même nom et éditée chez Sans-Détour en 2012.

Egalement, il a travaillé sur la réalisation de plusieurs jeux vidéo comme Outcast et Outcast II d’Infogrames.


Avec une bibliographie aussi variée, Mathieu Gaborit explore les univers imaginaires les plus étonnants. Face au succès fracassant de son premier roman de fantasy, il contribue à impulser un mouvement de création d’une fantasy à la Française. A ce titre, il devient incontournable pour le genre. Surtout que cette première génération d’écrivains français, dont Mathieu Gaborit fait partie a apporté un nouveau souffle à cette littérature avec une grande part d’originalité.

Parmi ses œuvres de fantasy, il en existe une qui demeure encore bien méconnue à ce jour et qui
mérite que l’on parle  d’elle. En effet, de par sa singularité Les Chroniques des Féals constituent une belle trilogie de high fantasy. Il y est question du destin d’un orphelin du nom de Januel, qui après la mort de sa mère est confié à la Guilde des phéniciers. Or, ce jeune orphelin voit sa vie paisible voler en éclat le jour de ses dix-sept ans lorsqu’il est choisi pour faire renaître le Phénix impérial. En effet, pensant que cette tâche allait revenir à son meilleur ami Sildinn, il refuse dans un premier temps d’accomplir cette renaissance. Mais contraint, Januel part en compagnie de son maître, Farel dont il est séparé jusqu’à sa présentation à l’empereur et à la cérémonie de réveil du Phénix. Hélas, la renaissance se passe mal à cause du Fiel, qui s’est emparé de l’oiseau de feu. Or, pour se sortir de cette situation, il tente l’embrasement du Phénix, pour le bloquer à l’intérieur de son cœur. En agissant ainsi, il espère détruire le Fiel. Mais, sa tentative ne change rien et l’empereur meurt, tué par celui-ci. Grâce à la mercenaire Scende, une Draguéenne chargée de le protéger, il arrive à s’enfuir. Tous les deux se réfugient dans la forêt, et sont aidés par les Montagnards, qui les conduisent vers la sortie. Avant de retourner à la Guilde-Mère, Scende souhaite rejoindre Alguediane pour obtenir l’aide d’un ancien mercenaire et ami, Tshan l’Archer noir. Arrivés dans le tripot tenu par ce dernier, des soldats impériaux les attendent. Après en avoir tué quelques-uns, Scende, Januel et Tshan s’enfuient par les toits. Puis, ils font un détour par le couvent des Almandines, afin de récupérer des jelhenns, une sorte de masques magiques ressemblant à une carapace de tortue qui, placé sur le visage transforme l’aspect de celui qui le porte. Afin que Januel pénètre dans la Tour de la Guilde-Mère, Scende fait une diversion pour détourner l’attention des Griffons. Januel retrouve ainsi Farel qui, après avoir été tué, est devenu une Onde. C’est là, que le jeune homme apprend qu’il est le fils d’une Onde. Il est l’élu, conçu pour vaincre la Charogne. Or, pour débarrasser le corps de Januel de l’emprise du Fiel, les maîtres pratiquent sur ce dernier un rituel, leur permettant de s’introduire dans son corps et son esprit. Cependant, la cérémonie est interrompue par l’arrivée d’une Sombre Sente, de laquelle s’échappent des dizaines de Charognards, dont Sildinn, transformé aussi en Charognard. A la suite d’un combat acharné entre le jeune homme et son ancien ami, le Phénix des origines embrase Januel au moment le plus critique et pulvérise Sildinn, après que celui-ci lui eut annoncé que d’autres Charognards envahiront le M’Onde pour le détruire…

Pour ce cycle, Mathieu Gaborit élabore un univers imaginaire autour duquel s’articule son récit. D’ailleurs, est joint dans les premières pages du livre une carte de ce monde. Ainsi avant de se plonger dans l’histoire, le lecteur apprend que cet univers se nomme le M’Onde et se divise en neuf pays, s’étendant de la Caladre au nord aux Provinces-Licornes au sud, en passant par les Rivages Aspics, situés par-delà les mers d’Ébène et d’Ivoire.

C’est en suivant les aventures de Januel, que le lecteur découvre, peu à peu, ce monde fictif. Le roman débute dans le village de Sédénie, niché au cœur de l’Empire de Grif’, dans le massif montagneux de la Chaîne d’Émeraude, et plus précisément au sein de la Tour Écarlate. Cette Tour correspond à l’une des résidences de la Guilde des phéniciers, dont la Guilde-mère siège à Aldarenche, capitale de l’Empire de Grif’. En fait, de par la sobriété des lieux et le silence y régnant, la Tour Écarlate de Sédénie représente un lieu œuvrant pour le Bien, et où le Mal n’a pas de prise ; impression renforcée par le caractère sacrée de la mission d’éveil des oiseaux de feu, confiée aux phéniciers. En effet, le Phénix appartient à la race des Féals chargée de protéger et de défendre le M’Onde contre toute attaque.

Cependant Januel, qui se voit confier secrètement la mission de réveiller le Phénix de l’empereur, doit quitter ce lieu bienfaisant pour rejoindre la cité impériale d’Aldarenche, située à une journée de marche du bourg de Sédénie. Or, pour atteindre la capitale de l’empire, Januel doit franchir les hautes cimes de Gondorce et c’est en gravissant le col, que le jeune homme associe dans son esprit ces lieux à la mort. Avec un relief déchiqueté, les montagnes séparant Sédénie d’Aldarenche sont peu peuplées, hormis quelques villages de montagnards et apparaissent arides à quiconque veut les traverser. Il est donc facile d’y trouver la mort. Quant à la cité d’Aldarenche, elle est dominée par la citadelle impériale faite d’éphérite, une roche caladrienne aux reflets de saphir. Au vu de la renaissance du Phénix impérial qui tourne mal, la cité devient le théâtre d’une lutte entre les défenseurs de Januel et la garde impériale.

Januel et Scende doivent parcourir les terres de l’Empire de Grif’, jusqu’à rejoindre Alguediane. Ces terres que traversent  les deux jeunes gens sont parsemées de forêts giboyeuses, de rivières et de plaines cultivées par les paysans grifféens et gouvernées par de puissants chevaliers. La vie y est paisible et le Bien y règne encore. En revanche, en pénétrant les faubourgs d’Alguediane, Januel et Scende découvrent les premiers signes de la présence du Mal. Ici, celui-ci se manifeste par une destruction totale, ne laissant que cadavres d’animaux et vers blancs sur son passage. Marqués par la Charogne, les faubourgs d’Alguediane sont à jamais souillés par l’empreinte du Mal et de la mort, et annoncent les ravages à venir par le royaume des morts.

Doté de la mission d’éveiller les Phénix logeant dans le fleuve des Cendres, situé en Charogne, Januel doit, d’abord, se rendre en Caladre, afin que les moines blancs le forment. Or, pour y arriver au plus vite, il faut à Januel et à ses compagnons, voyager sur une Tarasque. C’est sur Ancyle, la septième cité taraséenne, une véritable cité flottante, qu’ils font le voyage. Comme son nom l’indique cette cité a la forme du Féal qu’elle représente. Alors que toutes les provinces du M’Onde sont envahies peu à peu par les Sombres Sentes, seule la Caladre demeure inviolée jusque-là, fruit de la puissance de l’Onde expliquant l’avortement de ces Sombres Sentes aux frontières. Ce royaume constitue véritablement un bastion du Bien. Tout du moins jusqu’à ce qu’un assassin envoyé par la Charogne réussi à y pénétrer pour tuer tous les moines blancs.
Aucune province du M’Onde n’est donc épargnée par les maléfices de la Charogne, qui s’immiscent partout et sèment morts, destructions et malheurs sur son passage. Rien ne semble résister à ces êtres maléfiques, pas mêmes les différents peuples, qui tentent de se soulever contre ces hordes démoniaques.

Enfin Januel finit par se rendre en Charogne. L’atmosphère des lieux pourrit l’espace et supprime toute étincelle de vie. Occupant un endroit autrefois plein de vie et d’amour, avec le passage des Charognards tout tombe en décrépitude. Mais c’est la citadelle où réside le roi de la Charogne qui forme un haut-lieu du Mal. Et c’est là que va se dérouler le plus grand combat opposant le Bien et le Mal. Il est à noter que l’autre nom de la Charogne est le royaume des morts, un surnom qui en dit long sur la terrible menace qui pèse sur le M’Onde.

Mathieu Gaborit a élaboré un univers, qui comme celui de J.R.R. Tolkien oppose des espaces bénéfiques à des espaces maléfiques, tels La Comté et le Mordor dans Le Seigneur des Anneaux et, l’Empire de Grif’ et la Charogne dans Les Chroniques des Féals. Et entre ces deux extrêmes, ces deux écrivains montrent la dégradation des territoires, peu à peu, marqués par l’empreinte du Mal, corrompant, détruisant et pervertissant tout ce qui entre en contact avec les représentants maléfiques.

Comme en témoigne la corruption progressive de l’univers créé par l’auteur, la lutte du Bien et du Mal constitue la trame du récit des Chroniques des Féals. Tout au long de son aventure, Januel va devoir lutter pour mener à bien sa quête de ranimer les Phénix situés dans le royaume des morts, seules armes capables de vaincre le roi de la Charogne et ses armées. Pour cela lui et ses compagnons vont devoir affronter les mille seigneurs charognards que gouverne ce souverain démoniaque. Ces personnifications de la mort agissent dans l’intérêt du royaume des morts, afin que celui-ci puisse étendre son ombre sur le M’Onde. Pas moins de quatre assassins répondant au nom de Gormi dit le Ferreux, Jaëlle, Aphrane et le plus dangereux d’entre tous Symentz, le Basilik sont envoyés à Januel pour faire obstacle à sa mission.

D’autre part, il est à souligner que l’auteur s’est évertué à associer à chaque espace, un peuple propre. À ces peuples, il confère des caractéristiques physiques, sociales, religieuses ou linguistiques variées afin de donner une crédibilité à son univers. Ainsi, il fait correspondre à chaque province du M’Onde une créature mythologique, qu’il qualifie de « Féals ». On dénombre donc neuf créatures fabuleuses que l’écrivain emprunte à la mythologie et intègre à son univers sous la forme de Féals, chargés de protéger chaque royaume. Le griffon est le gardien de l’Empire de Grif’ dont Januel est originaire, le dragon est celui du Royaume Draguéen, la licorne pour les Provinces Licornes, la tarasque pour la Tarasque, La chimère pour la Chimérie, l’aspic pour les Rivages Aspics, le basilik pour la Basilice, le pégase pour les Contrées Pégasines  et le caladre pour la Caladre. Quant au phénix, il a la particularité de s’être lié à un ordre ascétique appelé les Phéniciers. Il est à souligner que de par la proximité de ces créatures merveilleuses, certains habitants subissent des changements morphologiques.


Au-delà du merveilleux que représente chaque créature mythologique et des pouvoirs magiques qu’elles dégagent, la magie de cette trilogie réside aussi dans certaines lames que possèdent les membres de cette aventure. Néanmoins, c’est l’épée confiée à Januel qui demeure l’arme la plus précieuse du roman. Ce n’est pas une lame ordinaire, puisqu’elle puise son pouvoir des veines qui courent depuis son pommeau jusqu’à la pointe, ce qui lui confère une redoutable puissance. En fait, il s’agit de l’une des cinq épées du Saphir, dont la légende se confond avec l’histoire du M’Onde. Cette légende évoque « cinq épées forgées par les premiers hommes, cinq épées trempées dans les ruisseaux originels et habités par un Esprit frappeur ». Cet Esprit frappeur désigne une entité mystérieuse, accouchée à chaque bataille des Origines, qui résume le fracas, la violence et la force des affrontements titanesques des Féals. Or, l’Esprit frappeur et le Phénix des Origines, tapi dans le cœur de Januel vont sceller un pacte apportant, de ce fait, force et puissance au jeune homme. Ainsi, cette épée magique donne le pouvoir nécessaire à Januel d’affronter et peut-être de vaincre ces créatures des ténèbres que le roi de la Charogne lui envoie.


Néanmoins, Mathieu Gaborit insuffle à son cycle quelques particularités comme le choix d’une quête multiple qui ne révèle  tous ses secrets qu’au trois-quarts du roman ménageant ainsi suspense et surprise. De plus, à l’image d’autres écrivains français de fantasy, il choisit de mettre l’accent sur un héros singulier, cachant en réalité deux entités distinctes. En effet, l’auteur préfère privilégier deux héros s’incarnant en un seul corps. Ces deux esprits sont nécessaires pour donner les moyens au Bien de triompher du Mal.  Ainsi dans Les Chroniques des Féals, c’est grâce à la fusion entre la Mère des Ondes et Januel que le M’Onde est sauvé de l’emprise du Néant. Quant au final proposé par l’auteur, il laisse tout simplement sans voix et suscite bien des questions.

Dans ce cycle des Chroniques des Féals, Mathieu Gaborit réunit tous les éléments fondamentaux à la construction d’un récit de high fantasy de grande qualité, tout en conférant au genre une grande part d’originalité. En étant l’un des premiers auteurs à succès de cette littérature en France, il joue donc véritablement un rôle de fer de lance dans le lancement d’une fantasy française. Et comme il le dit lui-même, ce qu’il apprécie « en définitive dans cette littérature, c’est la liberté de créer, de tisser un univers et des intrigues à partir de cet inconscient collectif, mais aussi la liberté du lecteur qui peut, à sa guise, voyager dans le récit sans embarras ». Par conséquent, sa qualité d’inventeur, de créateur d’univers vient, à point nommé, dans un sous-genre, où l’univers imaginaire est une donnée essentielle.

Fantasy à la carte

Tolkien, un père fondateur

Il est indéniable que J.R.R Tolkien a joué un rôle fondamental dans le développement de la fantasy. En effet, que serait celle-ci, si Tolkien n’avait pas existé ? La réponse est bien évidemment « totalement différente ». Afin de comprendre les raisons qui ont poussé cet écrivain a inventé sa Terre du Milieu, revenons sur certaines données biographiques. 

Tolkien est né à Bloemfontein, en Afrique du Sud, mais, en raison d’une santé fragile, sa mère le ramène en Angleterre à l’âge de 3 ans. Son enfance est marquée par des lectures qui suscitèrent sans doute son intérêt pour les contes de fées : la série des Curdie de George MacDonald, les anthologies d’Andrew Lang et surtout le Red Fairy Book. Élevé dans une école catholique, Tolkien apprend le grec, le français, l’allemand et commence à manifester de l’intérêt pour la philologie, autrement dit la science qui traite d'une langue d'un point de vue historique, à partir de documents écrits. Il découvre aussi les poèmes épiques en vieil anglais comme le Beowulf ou Sire Gauvain et le chevalier vert. Avec sa cousine Mary Incledon, il invente une langue nouvelle, le Nevbosh, puis, seul, un langage qu’il appelle Naffarin. À l’Université d’Oxford, il apprend le finnois et commence à travailler sur un langage inventé plus complexe, le quenya, qui va devenir la langue des Elfes.

Suite à la Première Guerre mondiale et à l’expérience traumatisante des tranchées, Tolkien se lance dans la rédaction d’un  ensemble de légendes qui aboutit à un énorme manuscrit intitulé Le livre des légendes perdues. Mais, celui-ci n’est pas publié de son vivant et donne plutôt la matière du Silmarillion (1977) et des Contes et légendes inachevées, que son fils Christopher met en ordre et fait éditer après sa mort.

Tolkien publie Bilbo, le Hobbit chez Allen & Unwin en 1937, un roman pour la jeunesse qui devient rapidement un best-seller et obtient le prix du meilleur livre pour enfants du New York Herald Tribune aux États-Unis. Plongeant les lecteurs dans « un monde secondaire » : la Terre du Milieu dont, on devine déjà l’ampleur et le degré d’achèvement, Bilbo, le Hobbit n’est que la première pierre d’une œuvre considérable. En effet, à la demande de son éditeur Stanley Unwin, Tolkien se décide à écrire ce qui va devenir Le Seigneur des Anneaux.
Son idée de départ est d’introduire un nouveau personnage, Frodon, le fils de Bilbo Baggins, et de traiter comme thème, le retour de l’anneau magique, donné à Bilbo par Gollum. À ce moment, Tolkien n’est certain que d’une chose : sa nouvelle histoire va s’insérer de façon plus étroite dans la vaste mythologie, qu’il est en train de construire. Il ne lui faut pas moins de douze années pour mener à bien la rédaction de son roman. Celui-ci paraît finalement chez Allen & Unwin découpé, en raison de sa taille, en trois volumes : La Communauté de l’Anneau, Les Deux Tours et Le Retour du Roi (1954-1955).
À ce troisième volume est d’ailleurs jointe une série d’appendices comprenant l’histoire du Troisième Âge (époque où se déroule l’action du Seigneur des Anneaux), les arbres généalogiques des familles régnantes, le calendrier de la Terre du Milieu, les cartes du pays, les langues et les alphabets des peuples qui l’habitent. Or, ces appendices montrent avec quelle précision Tolkien a bâti non seulement son histoire, mais aussi tout l’arrière-plan de celle-ci.
Illustration de John Howe
Par conséquent, par l’élaboration de la Terre du Milieu avec ses langues, ses peuples, ses coutumes, ses légendes, ses chansons, son histoire du monde depuis sa création ou encore ses cartes détaillées, Tolkien porte l’obsession créatrice à des sommets rarement atteints avant lui. Il révolutionne la fantasy en créant, notamment un sous-genre particulier : la high fantasy.

Illustration d'Alan Lee
A travers Le Seigneur des Anneaux, qui demeure son œuvre la plus  magistrale, voyons quels sont les éléments qui structurent la fantasy. Premier élément à souligner est bien évidemment la lutte du Bien et du Mal qui se manifeste aussi bien dans la construction de son récit que dans l’enchaînement des actions. D’emblée les membres de la communauté vont lutter contre les serviteurs de Sauron, le Mal incarné de cette trilogie. Mais cette lutte contre le Mal va être symbolisée par une quête qui vient construire le récit et devient la principale réponse, que trouvent les envoyés du Bien dans la lutte contre le Mal. Ici, il s’agit d’une quête initiatique dans laquelle le jeune Frodon doit se débarrasser d’un anneau maléfique, afin de sauver la Terre du Milieu.

Ce voyage, qui reprend à l’envers celui du Graal, va mener ce petit homme vers la reconnaissance, le faisant mûrir comme avant lui Arthur. D’autre part, Tolkien met en scène, non pas un personnage, mais plusieurs. L’une des grandes caractéristiques de la plupart des fantasy est l’accent mis sur un groupe de héros, même si un personnage conserve l’avantage, du fait que c’est à lui, que la mission est confiée. Avec Tolkien l’enjeu est si important, qu’un seul personnage ne peut réussir. Il lui faut des compagnons qui l’aideront tout au long de sa quête, surtout que souvent le chargé de mission est décrit comme très jeune, faible et inexpérimenté, comme c’est le cas de Frodon. Par ailleurs, la quête du Seigneur des Anneaux conduit les membres de la communauté à parcourir un long itinéraire les conduisant dans des contrées imaginaires à la géographie précise. L’invention d’univers imaginaires constitue une autre grande caractéristique de la plupart des courants de fantasy.

Illustration d'Alan Lee
Même si Tolkien n’en est pas le précurseur, grâce à une minutie extrême au point de cartographier les espaces décrits, il a su légitimer la création d’univers imaginaires géographiquement autonomes, alors que les « mondes secondaires » mis en scène avant lui, demeuraient le plus souvent dans le domaine de la fable et de la nouvelle. Dernière caractéristique que l’auteur met au jour est le choix d’introduire des personnages tirés du Folklore, de la mythologie ou des contes de fées. En effet, même si d’autres écrivains l’ont fait avant lui, il va plus loin en faisant correspondre à chaque espace géographique des créatures et/ou des peuples différents, possédant leurs propres lois et coutumes. Il met en scène un nombre important de races, qu’il fait vivre ensemble ou qu’il oppose dans le cadre de la lutte du Bien et du Mal. Ainsi, les Elfes s’associent aux Hommes, aux Hobbits ou encore aux Ents pour combattre les Cavaliers noirs, les Orques, Gobelins et autres créatures envoyées par Sauron ou Saroumane.

À la lumière de cette analyse, il apparaît clair que Tolkien a emprunté aussi bien aux littératures anciennes, comme la mythologie ou le conte merveilleux, qu’aux écrivains considérés comme les précurseurs de la fantasy. Cependant, il faut lui reconnaître que même s’il n’est pas l’inventeur de tels éléments, c’est bien lui, qui, en les réunissant dans un seul et même récit et en les développant à un tel degré, a jeté les bases qui forment la trame de nombreux récits de fantasy.



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