25/08/2020

Loïc Le Borgne, Je Suis Ta Nuit, éditions ActuSF

Loïc Le Borgne, Je Suis Ta Nuit, éditions ActuSF

Loïc Le Borgne est un auteur français qui aime autant écrire de la science-fiction que du fantastique. Aujourd'hui on le retrouve avec Je Suis Ta Nuit, à l'occasion de sa réédition aux éditions ActuSF. J'en profite d'ailleurs pour remercier Jérôme Vincent pour l'envoi de ce service de presse.

Été 80, Pierre, 11 ans, vit dans la petite commune bretonne de Duaraz. Un jour, alors qu'il s'amuse avec avec sa bande de copains à lancer des bouteilles, ils tombent nez à nez avec le corps d'un homme nu sans lèvres, sans mains et sans sexe. Cette macabre découverte va mettre toute la ville en émoi. Or, lorsque d'autres faits étrange étranges vont survenir à leur tour, un vent de panique va s'abattre sur cette commune sans histoires et sur ses habitants. Pour Pierre et ses amis, cela risque de sonner le glas de leur innocence, enfin s'ils survivent à l'été...

Avec Je Suis Ta Nuit, Loïc Le Borgne signe un roman d'épouvante très réussi. Avec beaucoup de justesse, il revisite ici nos peurs d'enfant. Ainsi, la peur du noir et celle du croquemitaine viennent se heurter à une réalité effroyable et sinistre. Ces terreurs enfantines sont propices à une imagination fertile. Loïc Le Borgne s'en sert d'ailleurs allègrement pour flouter la frontière entre la fiction et la réalité. On découvre la menace à travers les yeux de Pierre mais jusque dans les dernières lignes de ce livre, on s'interroge sur la part de rêve et de vérité de ce que l'on voit. C'est toute la force de ce récit qui joue sur nos émotions en faisant naître et monter crescendo un sentiment de malaise qui évolue vers une pure terreur. Je Suis Ta Nuit est un roman sombre qui donne la chair de poule. Ce livre fout les jetons et pas seulement à cause des phénomènes paranormaux qui surviennent à Duaraz après la découverte du premier cadavre. Même si je vous l'accorde, l'attaque de corbeaux, l'invasion de scarabées et la cécité collective de quelques minutes ont de quoi ébranler même les esprits les plus cartésiens. Mais quand cette noirceur révèle un mal plus terrifiant encore, celui qui entache l'humanité, il y a de quoi courir dans les couloirs en hurlant. 

Derrière le fantastique de son texte, Loïc Le Borgne explore les blessures que les adultes peuvent faire aux enfants. Que ce soit suite à des abus ou à une inertie, beaucoup de mineurs sont victimes de ces adultes censés les protéger. L'auteur met en lumière ces traumatismes qui prennent racines dans l'enfance pour exploser souvent à l'âge adulte. L'innommable donne souvent naissance à l'horreur. La violence devient ainsi le seul moyen d'expression. 

Mais Je Suis Ta Nuit dégage également une certaine légèreté du fait que les héros sont encore très jeunes. Ils s'accrochent encore à leur innocence. En cela, ils n'oublient pas de rire et de jouer. A travers eux, Loïc Le Borgne fait un clin d’œil à sa propre enfance des années 80 en multipliant les références aux dessins animés et aux films qui ont bercé cette génération comme Star Wars ou Goldorak. C'est d'ailleurs en incarnant un Jedi que Pierre trouve la force d'affronter les démons qui s'agitent autour de lui. On se sent proche de ses enfants qui grandissent à une époque charnière. Elle annonce une ère de modernité qui sera marquée par le numérique. Je Suis Ta Nuit nous immerge dans une Bretagne inspirée de lieux existants et agrémentée du folklore local. Cela donne au livre une certaine authenticité qui est bien appréciable. 

L'autre élément fort de ce roman, ce sont ses personnages, ces six enfants qui font preuve d'un courage et d'une solidarité remarquable pour faire front ensemble face à la menace. On s'attache sans mal à Pierre, le narrateur de cette histoire. Sa force de caractère nous impressionne. Il s'identifie aux personnage de ses livres ou de ses dessins-animés pour mener l'enquête à son tour. Dans cette aventure, Pierre est finalement très héroïque, ce qui force le respect. 

Je Suis Ta Nuit est le genre de roman qui vous happe dès les premières pages et vous laisse complètement sonné grâce à son atmosphère terrifiante propre à engendrer des cauchemars. On apprécie autant son suspense glaçant que son univers teinté d'un brin d'ésotérisme. A l'avenir, lorsque vous scruterez les coins sombres, veillez bien à ce que le Bonhomme Nuit ne s'y trouve pas...
Fantasy à la Carte

Retrouvez sur la blogosphère les avis du blog Au Pays des Cave Trolls et du Bibliocosme

Informations

Loïc Le Borgne
Je Suis Ta Nuit
370 pages
978-2-37686-249-9
Editions ActuSF

21/08/2020

Aurélie Wellenstein, Le Dieu Oiseau, éditions Pocket Imaginaire


Aurélie Wellenstein, Le Dieu Oiseau, éditions Pocket Imaginaire

Aurélie Wellenstein est une écrivaine française de fantasy. Ses livres sont régulièrement sélectionnés par les plus prestigieux prix littéraires de l'Imaginaire. En 2017, elle est élue auteur "coup de cœur" du festival des Imaginales. En 2020, son roman Mers Mortes est récompensé par le prix Imaginales des bibliothèques. 

Cet été, elle est à nouveau à l'honneur chez Pocket Imaginaire avec la réédition de son livre, Le Dieu Oiseau. Je remercie Laure Peduzzi qui, en m'envoyant ce service de presse, m'a ouvert la porte sur un imaginaire terriblement envoûtant. 

Imaginez une île sauvage et déserte, dix candidats et une compétition sans merci, voilà les principaux ingrédients sur lesquels repose ce roman. Dans Le Dieu Oiseau, on retrouve Faolan, esclave depuis dix ans de Torok, le fils du chef du clan du Bras de Fer. Depuis des siècles, les clans de l'île s'affrontent tous les dix ans à travers une compétition pour déterminer lequel va gouverner. La désignation du vainqueur donne lieu à la cérémonie du "banquet" : une orgie au cours de laquelle les vainqueurs dévorent ou réduisent en esclavage les vaincus. Depuis dix longues années, Faolan attend de prendre sa revanche. Il espère remporter la première épreuve des sélectifs pour se donner une chance de participer à cette compétition insensée. Vaincre ou périr, elle est son seul espoir de liberté...

Dans Le Dieu Oiseau, Aurélie Wellenstein nous immerge dans un roman psychologique très sombre. Elle place son héros dans un univers hostile au sein duquel il devra affronter mille dangers pour triompher. La quête de survie est donc au cœur des enjeux de ce récit. Elle prend même le goût ferreux du sang au fur et à mesure des épreuves que doit traverser Faolan. 

Ce livre nous laisse d'ailleurs presque en tête en tête avec ce personnage, les autres protagonistes n'occupent finalement ici qu'une place secondaire. Ainsi, toute la puissance de ce récit réside dans Faolan Escalada, un garçon meurtri et cabossé. Tout au long de sa quête, l'autrice insiste sur son ambivalence, il est tantôt bon, tantôt mauvais. L'orientation de cette aventure dépend totalement de ses choix. De fait, celle-ci prend volontiers une tonalité tragique au et à mesure de son avancée. Faolan est un héros blessé autant dans sa chair que dans son esprit. Il est le souffre-douleur d'un autre garçon depuis de nombreuses années. Il a subi maintes sévices qui l'ont fragilisé. A travers lui, Aurélie Wellenstein explore la folie qui habite un homme qui, à force de s'enfermer en lui-même pour échapper à l'innommable, finit par perdre la raison. Ainsi, le jeune homme multiplie les hallucinations et les excès de violence. Dans Le Dieu Oiseau, il est beaucoup question de sa descente aux enfers. Elle nous brosse le portrait d'une victime qui va devenir bourreau. Entre folie et bonté, on ne résiste pas au charme de ce personnage. Il nous captive dès les premières lignes jusqu'au dénouement de cette histoire. A travers lui, on est totalement habité par ce roman comme l'autrice l'a sans doute été, elle-même, par son écriture. 

Comme dans tous les romans d'Aurélie Wellenstein, les animaux sont présents. En plus d'être les fidèles compagnons d'infortune de Faolan qui puise en eux la chaleur et l'affection que les humains lui refusent, on les côtoie aussi beaucoup à travers les oiseaux. N'oublions pas l'omniprésence du dieu Oiseau qui assure la pérennité et la prospérité du clan vainqueur. 

Dans Le Dieu Oiseau, l'autrice nous fait voyager dans une fantasy teintée de rudesse et de violence. Elle ne nous épargne donc pas avec ce texte qui écorne au passage bien volontiers notre sensibilité. Elle signe ici un univers inquiétant et assassin. La mort rôde entre ces lignes. Pourtant malgré toute la noirceur de ce livre, il nous passionne d'un bout à l'autre. 

Aurélie Wellenstein est une plume talentueuse. Elle donne vie à des récits qui nous habitent longtemps après avoir les avoir refermés. 

Fantasy à la Carte
A lire aussi sur la blogosphère l'avis de La Bibliothèque d'Aelinel

Aurélie Wellenstein
Le Dieu Oiseau
Pocket Imaginaire

18/08/2020

David S. Khara, Thunder, tome 1, collection Naos, éditions ActuSF

David S. Khara, Thunder, tome 1, collection Naos, éditions ActuSF

Avec Thunder, David S. Khara délaisse le polar pour se lancer dans l'écriture d'une trilogie de Young Adult. 

A tout juste 15 ans Ilya vient de perdre son père dans d'étranges circonstances. Rapatrié en urgence de Los Angeles où il passait ses vacances, le jeune Russe doit aller vivre à Londres chez sa grand-mère qu'il ne connait pas. Sur place, c'est le majordome qui l'accueille et non ladite grand-mère qui, elle, brille par son absence. Pour Ilya, c'est un nouveau chapitre de sa vie qui s'ouvre car il va devoir s'habituer à son nouveau foyer et prendre ses marques dans un nouveau lycée. Alors qu'il pensait se fondre dans le décor d'un établissement privé, ses premiers jours d'école lui promettent au contraire d'être mouvementés. En effet, il est attaqué avec quatre autres de ses camarades par une bande d'individus masqués. Sur les traces de leurs bourreaux, les adolescents vont mettre à jour de lourds secrets qu'ils ne soupçonnaient même pas. Pour eux, c'est le début d'une nouvelle aventure qui pourrait les changer à jamais, mais sont-ils seulement prêts ? 

Avec Thunder, David S. Khara revisite la figure du super-héros. Marqué par ses lectures de comics, il a eu envie, à son tour, de mettre en scène des héros aux capacités hors-normes. Quand on voit le succès des blockbusters adaptés des œuvres de Marvel, on se dit que cette idée est sans doute très séduisante pour plus d'un lecteur. Pour ma part, je vous avoue n'avoir aucun faible pour ses héros en collant lycra qui sauvent le monde à chacune de leurs sorties, néanmoins, j'ai adoré lire Thunder car David S. Khara y brosse le portrait de jeunes héros très humains, pétris de failles et de doutes. Comme quoi cet auteur pourrait bien me réconcilier avec ce genre de littérature. En tout cas, ce livre, c'est avant tout l'histoire de cinq adolescents mal dans leur peau qui se cherchent. Avec eux, on est en pleine quête d'identité et d'affirmation de soi. Même s'ils sont tous très brillants chacun dans leur genre, ils restent des héros en devenir. Ainsi, Ilya maîtrise des techniques de combat, Angela est une grande gymnaste, Jennifer a une ouïe surdéveloppée, Pad est un génie de l'informatique et Carri est une force de la nature. Voilà pour leurs capacités réciproques, mais pour le moment, ils manquent surtout d'assurance et d'entraînement. 

Dans ce premier tome, on sent que l'auteur ne fait qu'effleurer leurs personnalités. Bien des zones d'ombre demeurent pour chacun d'entre eux qui ne demandent qu'à être dévoilées. Mais en bon maître du suspense, David S. Khara garde encore dans sa manche quelques atouts pour mieux aiguiser notre curiosité. 

D'autre part, il donne à son récit une dimension mythologique en faisant référence à un projet scientifique top secret répondant au nom de code : Olympe et mené après la Seconde Guerre Mondiale. Celui-ci consiste à des recherches pratiquées sur des enfants, rebaptisés par les noms des dieux Grecs. C'est sa manière de faire un nouveau clin d’œil aux comics qu'il aime tant. Mais cela lui permet surtout d'expliquer le fantastique de son texte par la réalisation d'expériences scientifiques. Il arbore donc ici la casquette de chercheur fou qui nous embarque dans une histoire délirante qui prend racine dans l'Histoire européenne. Cette démarche donne une vraie crédibilité à ce récit le rendant par la même occasion très passionnant. 

L'auteur distille la juste dose de mystères pour capter l'attention. J'ai apprécié Thunder pour son savant mélange d'action et d'humour. Avec ce livre, je découvre une nouvelle plume de l'Imaginaire, je ne peux donc que remercier Jérôme Vincent pour l'envoi de ce service de presse qui enrichit mon palmarès de lectures d'un nouveau nom à suivre.

Fantasy à la Carte

Lire aussi les avis de La Bibliothèque d'Aelinel et de Phooka de Book en Stock.

Informations

David S. Khara
Thunder
Tome 1
Collection Naos
240 pages
978-2-37686-244-4
Editions ActuSF

14/08/2020

Léafar Izen, La Marche du Levant, Albin Michel Imaginaire

Léafar Izen, La Marche du Levant, Albin Michel Imaginaire

Avec La Marche du Levant, Albin Michel Imaginaire nous propose un récit déroutant, brouilleur de pistes et qui se joue bien volontiers des frontières entre les genres. Je remercie d'ailleurs Gilles Dumay pour l'envoi de ce service de presse qui marque indubitablement mon été d'une touche d'évasion.

Dans La Marche du Levant, on évolue aux côtés des peuples du Levant. A Odessa, on s'attache aux pas de la belle assassine Célérya. Membre de la Guilde, la jeune femme est passée maîtresse dans l'art de dépouiller ses victimes de leur bourse et si nécessaire, de leur vie. Un jour, elle est mandatée pour accomplir une étrange mission dans l'Est auprès de ceux que l'on appelle les Guetteurs. Là-bas, les événements ne vont pas se dérouler comme prévus. Une rencontre va bouleverser sa vie car ce qu'elle ignore encore, c'est que son destin est déjà écrit. Elle est un rouage nécessaire à l'accomplissement d'une très vieille prophéties. Les éléments se mettent en place, à Célérya, maintenant, de découvrir quel rôle elle va tenir ?

Dans son livre, Léafar Izen nous plonge dans un univers dystopique. En effet, il met en scène des peuples nomades qui avancent lentement, traversant des terres répondant aux noms d'Europa, de Syberia, d'Amerika ou de Terra Nuova. Nous sommes donc en terre connue. Ainsi, les villes qui servent de refuges aux populations, ne restent pas sur un espace géographique délimité sur une zone précise. En perpétuel mouvement, on s'émerveille devant la grandeur de la cité d'Odessa qui sert de cadre au plus gros de l'action de ce récit. Ainsi, ses demeures sont tirées par des bœufs et des dirigeables la survolent en permanence. Point de royaumes figés dans l'univers de Léafar Izen qui a choisi comme terrain de jeu la planète entière. Ce roman se lit comme une promenade au cœur de vastes paysages qui nous coupent le souffle par leur beauté. Mais c'est aussi la quête de survie d'un peuple qui, dans leur exode, court de grands dangers. 

Les éléments de fantasy ne manquent donc pas dans ce roman. Outre, cet univers sauvage et grandiose, l'auteur inscrit son récit dans un Moyen-Âge revisité comme cela est souvent privilégié dans la fantasy épique. On y croise une guilde d'assassins qui oeuvre dans l'ombre du pouvoir. Il faut dire que les enjeux sont nombreux et la course au pouvoir est acérée. Cette Guilde devient donc tout naturellement un outil indispensable pour asseoir son autorité et étendre son influence. Que l'on parle de la quête de pouvoir ou de la quête d'un paradis à trouver, l'auteur fait également appel à ce motif traditionnel de cette littérature. Elles sont d'ailleurs motivées ici par l'existence d'une prophétie qui annonce l'arrivée d'une élue chargée de conduire son peuple à la porte de l'Arche afin qu'il passe dans un nouveau monde. En outre, les combats épiques ne manquent pas de venir pimenter les pages de ce livre. 

Derrière cette aventure au long court surgissent deux figures féminines qui nous racontent tour à tour leur incroyable destinée. On ouvre ce livre avec Célérya qui passe de pion de la Guilde à pièce maîtresse dans ce jeu de pouvoir. Elle incarne l'indépendance et la liberté. Elle joue un rôle majeur dans cette histoire car c'est elle qui prend sous son aile l'élue annoncée par la prophétie, elle la protège et la place là où elle doit être. Cette élue, c'est Akeyra que l'on suit de la naissance jusqu'au terme de sa vie. Au fur et à mesure du roman, elle s'affirme et prend davantage de place dans la narration. Elle se révèle être une âme courageuse, aussi fougueuse que peut l'être Célérya. Elle prend le pouvoir dans un bain de sang mais arrive à se faire respecter malgré son jeune âge car elle incarne l'espoir pour les peuples du Levant. Elle est une jeune fille attachante. Pleine de rêves, elle n'hésite pourtant pas à se sacrifier pour protéger le plus grand nombre. C'est une héroïne surprenante qui se découvre au fil du temps. 

Léafar Izen est un rêveur qui nous embarque dans son épopée que l'on qualifie d'emblée de fantasy mais pourtant lorsque l'on arrive à l'épilogue, il nous met le doute. Le voilà qui conclue son livre sur un chapitre qui remet totalement en question toutes les certitudes que l'on a pu avoir sur ce livre. Il se montre ici d'une grande facétie et nous prouve que la frontière entre les genres est finalement très perméable. 

Avec La Marche du Levant, Léafar Izen se fait l'auteur d'un pavé prenant que l'on apprécie malgré quelques longueurs. Il réussie à nous attacher à des héroïnes majestueuses et inoubliables qui évoluent dans un monde sublime et implacable.

Fantasy à la Carte

A lire aussi sur la blogosphère l'avis de Just A Word
Léafar Izen
La Marche du Levant
Albin Michel Imaginaire

11/08/2020

David Bry, Le Garçon et la ville qui ne souriait plus, Pocket Imaginaire

David Bry, Le Garçon et la ville qui ne souriait plus, Pocket Imaginaire

Invité d'honneur de l'édition 2019 des Imaginales, David Bry a su s'imposer dans le paysage actuel des littératures de l'Imaginaire. Il commence à cumuler quelques titres notables comme Que passe l'hiver, un récit poétique et envoûtant. 

Avec Le Garçon et la ville qui ne souriait plus, il signe un nouveau récit tout aussi puissant. Sa réédition chez Pocket Imaginaire me donne l'occasion de vous en parler. Je remercie Laure Peduzzi pour l'envoi de ce service de presse. 

Résumé :

Paris 1858. Romain désespère ses parents. Fils de bonne famille, ces derniers souhaitent qu'il s'intègre dans la haute société en décrochant une bonne situation et en faisant un beau mariage. Seulement, le jeune homme ne se sent pas à sa place parmi les mondains. Il n'aspire qu'à la liberté. Chaque soir, il fait le mur pour rejoindre en catimini la Cour des Miracles. Là-bas, il observe en cachette et admire en secret la légèreté de ce monde, bien loin de l'hypocrisie des nobles. Un jour, il surprend une conversation entre son père, chef de la police et un inconnu. Ils parlent d'éradiquer la Cour des Miracles. A ces mots, son sang ne fait qu'un tour, il ne peut laisser faire sans rien tenter. Mais saura-t-il se faire entendre, lui, le notable, auprès des rejetés de la société ?

Mon avis :

Dans Le Garçon et la ville qui ne souriait plus, David Bry nous plonge dans un Paris uchronique régit, depuis cinquante ans, par les Lois de la Norme afin d'assurer ordre et stabilité au sein de l'Empire. Depuis lors toutes personnes difformes, malades ou ayant des mœurs contre-nature sont arrêtées lorsqu'elles sont surprises à déambuler en dehors de l'île de la Cité qui leur sert de refuge. Persécutés aussi bien par la police de la Norme, par les Lames Noires, engagées par l'Eglise que par le chasseur, les "anormaux" survivent avec de plus en plus de difficultés. Avec l'aide de Romain, ils mettent à jour un complot visant à les faire définitivement disparaître. En effet, il semble que les bien nés souhaitent leur disparition pour ne vivre qu'entre eux. C'est dans cet univers teinté de défiance et d'intolérance que David Bry projette sa pléthore de héros, tous plus intéressants les uns que les autres. 

Il y a bien évidemment son personnage principal, Romain de Sens. En pleine quête d'identité, Romain est un adolescent troublé et perdu qui n'appréhende pas encore sa vraie nature et ses sentiments. Il est écrasé sous le poids de la pression sociale et familiale. Or, cette aventure va lui donner la force de s'assumer et de se faire accepter dans le regard des autres. Il y a son père, Rodéric de Sens qui dégage une aura d'autorité, conséquence de sa fonction. C'est un homme droit et sévère que Romain ne veut pas décevoir mais pourra-t-il empêcher l'inévitable ? C'est un personnage qui se découvre et se laisse apprécier au fil des pages. Dans un autre genre, on aime Lion avec son franc-parlé et son flegme. Il se lit très rapidement d'amitié avec Romain, à qui il accorde, presque immédiatement, sa confiance. On ne résiste pas à sa bonhomie. Sans parler du petit Zacharie qui zozote un peu et ne manque pas de courage, du haut de son jeune âge pour affronter les dangers. Il est très attendrissant. L'auteur a vraiment fait du bon travail sur tous les personnages de ce roman, créant un attachement évident.

Derrière une intrigue bien ficelée, il aborde des thématiques fortes comme la différence, la tolérance et l'acceptation de soi. Il les aborde d'ailleurs avec la même sensibilité qu'il a utilisée dans Que passe l'hiver. C'est un roman riche en émotions qui nous prend littéralement aux tripes. On reste subjugué par la beauté de ce Paris décadent où les miséreux sont des héros solaires. 

En conclusion :

David Bry est un très bon auteur dont la plume agréable nous offre avec Le Garçon et la ville qui ne souriait plus, un roman très travaillé autant au niveau de l'univers, de l'intrigue que des personnages. Voici une lecture dont il ne faut surtout pas se priver !

Fantasy à la Carte

Du même auteur, lisez aussi mes avis sur Que passe l'hiver et La Princesse au Visage de Nuit

David Bry
Le Garçon et la ville qui ne souriait plus
Pocket Imaginaire

07/08/2020

Alan Moore & Cindy Canévet, L'Hypothèse du Lézard, éditions ActuSF

Alan Moore & Cindy Canévet, L'Hypothèse du Lézard, éditions ActuSF

Après Liavek de Megan Lindholm et Steven Brust, c'est au tour d'Alan Moore de prendre place dans le catalogue des éditions ActuSF. Cette nouvelle de L'Hypothèse du Lézard est également tirée de l'une des 5 anthologies, publiées entre 1985 et 1990, qui partagent un univers commun. Seulement pour sa réédition, les éditions ActuSF lui ont offert un bel écrin. Edité dans sa toute nouvelle collection de graphics, le texte d'Alan Moore profite du talent de Cindy Canévet qui vient l'égayer de ses superbes illustrations. 

Mais avant d'aller plus loin, je souhaite remercier Jérôme Vincent pour m'avoir proposé ce très beau partenariat. 

A neuf ans, Som-Som est vendue au bordel, la Maison sans Horloges, situé à Liavek. Alors qu'au début, on ne la charge que de quelques commissions, les choses changent, trois ans plus tard, lorsque la maîtresse des lieux, Madame Ouish, lui annonce qu'elle va porter le Masque brisé et devenir ainsi l'amante des magiciens. Un nouveau statut qui va la condamner au silence lorsqu'elle aura subi l'opération nécessaire à la pose de ce masque. Enfermée dans son corps et n'ayant plus l'usage de la parole, elle devient la compagne idéale, gardienne de tous les secrets. Pour elle, c'est également le début d'une étrange amitié avec Raura Chin qui a pris l'habitude de lui confier autour d'un thé sa vie et ses expériences avec son amant Foral Yatt. A la Maison sans Horloges, la vie de Som-Som va donc prendre un étrange tournant mais saura-t-elle l'accepter ? 

Dans L'Hypothèse du Lézard, Alan Moore nous entraîne dans un récit baroque et tragique. Il nous immerge dans le quotidien d'une maison close où l'on croise des personnalités fantasques comme les deux comédiens : Raura Chin et Foral Yatt. Tous deux entretiennent une relation fusionnelle et conflictuelle. Som-Som est témoin des déchirures de leur couple après que Raura Chin est décidé de quitter le bordel pour faire décoller sa carrière de comédien. Plus tard, son retour va entraîner bien des souffrances, des affrontements et de la déception pour l'un comme pour l'autre. A travers le regard de Som-Som, Alan Moore explore la lente destruction d'une relation amoureuse lorsqu'elle est sacrifiée sur l'autel de l'ambition. Il met en lumière toute la cruauté de l'âme humaine lorsque celle-ci n'aspire qu'à la vengeance. 

La Maison sans Horloges est un lieu étrange, miroir de la démesure de la cité de Liavek. Lieu de perdition ou d'oubli pour certains, elles est donc autant une prison qu'un refuge. 

Bien que Som-Som soit l'héroïne de cette nouvelle, elle s'efface pour laisser la place aux autres résidents de cette maison close. Pourtant ce qu'elle subit est terrible. Abandonnée par sa mère, dépossédée de la parole, défigurée et handicapée, elle n'en demeure pas moins une héroïne forte qui ne s’apitoie pas sur elle-même. 

Observatrice avisée, elle nous ouvre la porte d'un monde violent et cruel que l'illustratrice Cindy Canévet a parfaitement mis en valeur ici. Sa prédilection pour l'encre de Chine met en lumière toute l'étrangeté de cette sombre histoire. Au-delà de la noirceur de l'encre qu'elle utilise, l'artiste a su donner une grande beauté aux personnages d'Alan Moore. Ainsi, on découvre une Madame Ouish majestueuse et une Som-Som d'une grande beauté en dépit de son masque effrayant. Cindy Canévet a parsemé les pages de ce livre de ses magnifiques dessins qui accompagnent harmonieusement notre lecture de cette nouvelle. 

Tourner les pages de L'Hypothèse du lézard est autant un enchantement pour les yeux qu'un billet pour embarquer à nouveau vers une cité imaginaire qui a déjà fait beaucoup parler d'elle. 

Fantasy à la Carte
A lire aussi les avis de Livropathe et Le Bibliocosme

Informations

Alan Moore & Cindy Canévet
L'Hypothèse du Lézard
128 pages
978-2-37686-255-0
Editions ActuSF

04/08/2020

Jean-Laurent Del Socorro & Marc Simonetti, La Guerre des Trois Rois, éditions ActuSF


Jean-Laurent Del Socorro, La Guerre des Trois Rois, éditions ActuSF

Avec La Guerre des Trois Rois, Jean-Laurent Del Socorro fait une nouvelle escale dans son univers de Royaume de Vent et de Colères. La sortie de ce livre, c'est l'occasion pour les éditions ActuSF d'inaugurer une très belle collection de romans graphics. Je remercie d'ailleurs Jérôme et les éditions ActuSF pour l'envoi de ce magnifique service de presse. 

Mai 1588. La compagnie du Chariot, dirigée par la jeune capitaine Axelle, accompagne le roi Henri III dans son coup de force pour reprendre Paris au duc de Guise et à ses Ligueurs. Mais devant le soulèvement des Parisiens, il échoue et doit fuir à Chartres. Pour mettre un terme aux guerres de Religion et asseoir définitivement son pouvoir, il décide de faire appel aux alchimistes de l'Artbon. L'affaire est délicate et doit rester secrète. Axelle et ses hommes auront un rôle à jouer. Mais attention : à trop vouloir se frotter aux affaires d'Etat, ils pourraient bien s'y brûler les ailes. 

Comme à son habitude, Jean-Laurent Del Socorro inscrit son récit au cœur d'un moment-clé de l'Histoire. Ici, il s'agit d'événements antérieurs à ceux relatés dans Royaume de Vent et de Colères. En effet, nous sommes en pleine guerres de Religion. Le pouvoir est écartelé entre le duc de Guise et ses partisans, le roi Henri III et Henri de Navarre. La France est donc divisée. Après l'échec de son putsch sur Paris, Henri III est contraint de signer l'Edit d'union à Rouen avec la Ligue, renouvelant la promesse de chasser les hérétiques et de convoquer les Etats généraux à Blois du 16 octobre 1588 au 16 janvier 1589. Cette réunion extraordinaire est surtout marquée par l'assassinat de Henri Ier de Guise, commandité par le roi lui-même. Cela lui vaudra les représailles d'un moine fanatique du nom de Jacques Clément qui l'assassinera à son tour le premier août 1589. Cette mort tragique met donc fin à la dynastie des Valois et annonce l’avènement des Bourbons, avec Henri de Navarre qui monte sur le trône. 

La Guerre des Trois Rois est un texte court qui met en lumière des instants cruciaux où les tensions sont exacerbées et le danger est à son comble. Cette période trouble est donc un terreau idéal à l'épanouissement de la fantasy. Avec un roi aux abois, on ne s'étonne qu'à peine de le voir se tourner vers des alchimistes pour trouver une solution à son problème et triompher de cette épineuse situation. D'autant qu'à l'époque on croit à la sorcellerie. On la rend même responsable de tous les maux : guerres, famines, épidémies, etc. D'ailleurs, c'est bien entre 1580 et 1630 que les procès pour sorcellerie atteignent leur apogée. Ainsi donc on recroise ici la magie de l'Artbon. Puissante, elle a tout de même un prix à payer. D'ailleurs, au vu de la fin tragique d'Henri III, on peut en conclure qu'elle lui a coûté cher. L'Artbon a des effets dévastateurs et il est difficile de lui résister. Beaucoup en deviennent tout simplement accro. C'est une magie dangereuse qui marque à jamais l'alchimiste qui la manipule. Sa présence dépose finalement une aura de mystère sur ces événements historiques. 

La Guerre des Trois Rois, c'est aussi les destins entremêlés d'une poignée de mercenaires que l'on a plaisir à retrouver ici. Voici des héros hauts en couleurs à la langue bien pendue et à la gouaille légendaire. Il y a par exemple N'a-qu'un-œil, le narrateur de ce livre qui nous relate les faits par l'intermédiaire du journal que la capitaine lui a demandé de tenir. Avec son franc-parlé et son langage parfois fleuri, il donne le ton de cette compagnie hétéroclite, souvent brute de décoffrage, mais respectant un certain code d'honneur. Parmi eux, il y a également l'artiste Tremble-voix qui croque, à ses moments perdus, aussi bien ses camarades que les lieux et les gens qu'il rencontre. Avec lui, l'auteur fait une belle mise en abyme en lui attribuant les splendides illustrations du talentueux Marc Simonetti. On s'émerveille devant la finesse de son trait qui reproduit à la perfection des lieux mythiques ou des grandes figures de l'Histoire de France. Il faut dire que dans le milieu de l'Imaginaire, Marc Simonetti est un illustrateur célèbre. On lui doit notamment les belles illustrations des romans de G.R.R. Martin ou de Robin Hobb

La collaboration entre la plume de Jean-Laurent Del Socorro et le pinceau de Marc Simonetti fait de ce livre un superbe objet qu'on apprécie de feuilleter. 

Pari réussi pour cette nouvelle aventure éditoriale des éditions ActuSF qui nous proposent avec ce premier livre, La Guerre des Trois Rois, un récit d'aventure rondement mené.

Fantasy à la Carte

A lire aussi sur le blog mes avis sur Boudicca et Royaume de Vent et de Colères.

Informations

Jean-Laurent Del Socorro
La Guerre des Trois Rois
128 pages
978-2-37686-253-6
Editions ActuSF


D'autres avis sur la blogosphère : Au Pays des Cave Trolls et Ombrebones