28/09/2024

Katherine Arden, Requiem pour les fantômes, collection Lunes d'encre, éditions Denoël

Katherine Arden, Requiem pour les fantômes, collection Lunes d'Encre, 
Éditions Denoël 

Après le succès de sa trilogie d'Une nuit d'hiver empruntant au folklore slave, Katherine Arden est de retour avec un nouveau texte. Il s'agit de Requiem pour les fantômes qui est récemment paru dans la collection Lunes d'encre des éditions Denoël. 

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Denoël, je remercie Pol pour l'envoi de ce service de presse sous la forme d'une épreuve non corrigée.

Résumé :

A Halifax, en Nouvelle-Ecosse, Laura Iven a été démobilisée suite à une grave blessure. Après une grosse explosion rasant son quartier et tuant sa mère par la même occasion, elle a trouvé refuge chez deux vieilles dames et a repris du service comme infirmière pour aider à soigner les blessés de cette catastrophe. Mais, l'arrivée d'un colis contenant les affaires de son frère parti au front va la bouleverser profondément. Refusant de croire à sa mort, elle finit par se rendre en Flandres pour comprendre ce qu'il s'est passé. Sur place les réponses qui l'attendent pourraient bien l'ébranler plus que de raison. Et qui sait ce qu'elle va trouver.

Mon avis :

Avec Requiem pour les fantômes, Katherine Arden change de registre et signe une fantasy historique qui réinvestit le début du XXe siècle marqué par la Première Guerre Mondiale. Elle a d'ailleurs choisi comme cadre d'action, la terrible bataille de Passchendaele qui opposa les armées canadienne, anglaise et française à l'armée allemande et restera dans les mémoires de l'epoque comme le conflit le plus gigantesque, le plus sanglant et le plus inutile de l'Histoire. 

Point de rupture pour une société en pleine mutation, c'est une période opportune pour Katherine Arden d'y instiller un caractère onirique. Le modernisme se dispute à l'archaïsme et devient le parfait terreau pour que l'imaginaire s'épanouisse. Au-delà de la machinerie qui est clairement propice au steampunk, l'autrice a surtout beaucoup exploité ici le côté apocalyptique de ce violent épisode. En effet, la Première Guerre Mondiale marque la fin d'un monde. La mort est partout et draine avec elle son lot de souffrance et de désolation. On ne s'étonne donc pas d'y croiser de nombreux fantômes qui gravitent notamment autour d'un personnage central personnifiant le cavalier de l'Apocalypse. Faland est un personnage charismatique et inquiétant qui centralise un grand pouvoir. Il incarne la magie entre ces lignes. En effet, il attire non seulement les fantômes mais entraîne dans son sillage les âmes perdues, leur prenant leurs souvenirs sous couvert de les soulager de leurs peines et de leurs souffrances. Il intrigue par sa personnalité et fascine les plus vulnérables. Au son de son violon, il entraîne dans son sillage les plus démunis, les plus traumatisés pour les conduire dans un ailleurs qui apaisera leur douleur mais les condamnera à une vie d'oubli. Le pouvoir qui est à l'œuvre dans ce récit est sombre et pesant car il se nourrie du malheur des humains. Faland est le mauvais génie de ses êtres cabossés par la guerre. Sa présence infuse au texte une saveur douce amère qui ne laisse pas indifférente et donne à ce livre une aura si singulière. 

En outre, Requiem pour les fantômes est un roman d'une grande richesse car en choisissant la Première Guerre Mondiale pour décor, Katherine Arden se laisse l'opportunité de dénoncer la guerre et ses conséquences autant physiques que psychologiques. Elle a donc piqué son texte d'une critique politique portant particulièrement sur l'inutilité de ces conflits armés et de l'absence de leçon tirée au vu du climat belliciste qui n'a cessé d'embraser le monde depuis cette première moitié du XXe siècle, d'autant qu'ils sont toujours décidés en haut lieu par des personnes qui n'y prennent jamais part. 

Ce livre est bouleversant et riche en émotions variées. Il nous parle de deuil, de reconstruction après l'horreur et la solitude. Ce récit dégage émotionnellement une grande puissance qui se cristallise autour de ses personnages auxquels on ne peut que s'attacher. Tous sont tourmentés, touchés dans leur chair pour certains ou meurtris dans leur âme pour d'autres. L'autrice explore à travers eux les ravages de la guerre, la défiguration ou les troubles psychiques. Au milieu de cette communauté de protagonistes que Katherine Arden a choisi de mettre en scène, il y a les deux narrateurs de cette histoire, à savoir Laura Iven et son frère Wilfried, dit "Freddie". Blessée au cours de cette odieuse guerre, Laura en conserve encore les stigmates l'handicapant par moment. Pour autant, elle fait preuve de beaucoup de courage et d'abnégation et décide de retourner au front afin de soigner les blessés et de retrouver la trace de son frère porté disparu. Elle incarne l'image de la femme forte, solide et têtue, des qualités indéniables pour mener à bien sa quête.  A travers elle et les autres protagonistes féminins, Katherine Arden démontre aussi sa volonté de rappeler le rôle héroïque de ces femmes pendant la guerre donnant un coup de pouce à leur émancipation en ébranlant par la même occasion les mœurs de la société de l'époque. Quant à Freddie, il était un jeune homme plein de rêve et pétri d'un certain idéal au moment de s'engager mais le choc des tranchées va le changer profondément. Il va connaître un drame qui va manquer de peu de lui ôter la vie. Un évènement qui va le faire basculer vers autre chose. Sa personnalité va s'en retrouver profondément changé, notamment à cause d'une rencontre. A travers lui, l'autrice questionne la figure de l'étranger traité en ennemi et surtout la légitimité d'une telle position.

Pour conclure :

Avec Requiem pour les fantômes, Katherine Arden donne à sa fantasy une toute autre musicalité. Elle jette un nouveau regard sur ces évènements qui ont endeuillé l'Europe au XXe siècle et rappelle aux Américains que même si cela a peu compté dans l'Histoire américaine, beaucoup de compatriotes y ont perdu la vie. 

C'est un magnifique récit plein d'élégance et de sensibilité.

Fantasy à la Carte

Informations

Katherine Arden
Requiem pour les fantômes
9782207179345
480 pages
Collection Lunes d'encre
Editions Denoël

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21/09/2024

Nelly Chadour & Anne-Perrine Couët, Les sœurs Brontë contre la Momie, éditions Les Moutons électriques

Nelly Chadour & Anne-Perrine Couët, Les sœurs Brontë contre la Momie
éditions Les Moutons électriques 

Nelly Chadour est l'une des voix montantes des littératures de l'Imaginaire. Sa bibliographie compte déjà plusieurs titres comme Espérer le soleil ou Avant 7 jours. Quant à sa novella Les sœurs Brontë contre la Momie, elle vient d'être rééditée au format illustré dans la très belle collection, La Bibliothèque Dessinée des éditions Les Moutons électriques. 

Lu dans le cadre d'un partenariat avec Les Moutons électriques, je remercie Maxime pour l'envoi de ce service de presse. 

Résumé :

Alors que Charlotte et Anne sont parties à Londres pour mettre les choses au clair avec leur éditeur, Emily, elle, est restée dans le Yorkshire afin de garder à l'œil son père et son frère. Or, justement ce dernier s'est une nouvelle fois éclipsée dans la lande alors que la soirée est déjà bien avancée. Partie le chercher en compagnie de son chien, Emily le retrouve aux prises avec une étrange créature sortie de terre pour l'étrangler. N'écoutant que son courage, elle le sort des griffes de cette abomination et pense être saine et sauve. Seulement, la nuit venue, celle-ci s'est introduite dans la demeure familiale pour enlever son ivrogne de frère. Emily n'a pas d'autre choix que de partir à sa poursuite en espérant ne pas arriver trop tard. Quant à ses deux sœurs, elles ne sont pas plus en sécurité de leurs côtés puisque d'étranges phénomènes sont à l'œuvre dans les rues de Londres. Echapperont-elles à un sort funeste et trouveront-elles la clé de ce mystère ?

Mon avis :

Dans Les sœurs Brontë contre la Momie, Nelly Chadour nous propose un mélange de genres à sa sauce. Ainsi, elle mêle habilement des notes pré-apocalyptiques à de l'uchronie et de la fantasy. Dans son roman, Les sœurs Brontë croisent la route de momies ressuscitées importées à Londres à l'occasion d'une exposition. La rencontre promet d'être un brin cocasse et particulièrement horrifique, surtout au vu de l'agressivité des cadavres animés qui cherchent juste à les étouffer à coup de serpents dans le gosier. Pour la famille Brontë, il s'agira surtout de survivre et d'empêcher le monde d'être broyé sous les crochets d'Apophis. Vous l'aurez compris, Nelly Chadour revisite un épisode majeur de la mythologie égyptienne au cours duquel Apophis, symbole du chaos et du mal, est contré dans ses attaques du dieu Rê par Seth, Isis et Bastet qui l'empêchent de mettre fin à la création. 

Le cadre est clairement idéal pour y développer un récit crépusculaire où il sera question d'empêcher rien de moins qu'un Armageddon. Enrôler les sœurs Brontë dans cette aventure ne manque pas de charme car voir ces demoiselles retrousser leurs manches pour affronter ces immondes créatures au risque de leur vie est juste trépident. 

Dans son livre, Nelly Chadour casse leur image de femmes de lettres, dont le nom est clairement associé au romantisme, pour nous brosser le portrait de petits bouts de femmes pleine de courage, aventurières qui se frottent sans hésiter au danger. C'est un régal de les retrouver dans cette aventure baroque où la magie s'épanouit généreusement aussi bien à travers l'apparition de divinités égyptiennes déchues ou non que dans cette capacité qu'ont les sœurs à pouvoir s'écrire à distance par l'intermédiaire d'une sorte de transe. Un don lié à l'écriture, c'est plutôt bien vu pour des écrivaines, n'est ce pas ! 

Le récit est insolite, drôle et rocambolesque. Une alchimie se crée de suite avec ces protagonistes que l'on découvre sous un jour nouveau, au moins pour certains d'entre eux. Le ton enlevé de Nelly Chadour joue beaucoup sur l'absurde pour divertir ses lecteurs. Ici, elle s'appuie sur des héroïnes fortes qui sont là pour sauver la situation en luttant bec et ongles contre la menace pendant que les hommes, eux, préfèrent se cacher ou se sauver. En cela, l'autrice adopte un point de vue féministe afin de casser la place mineure qu'occupaient les femmes du XIXe siècle. C'est rafraîchissant !

Quelle merveilleuse idée qu'ont eu Les Moutons électriques d'offrir à ce texte un nouvel écrin extrêmement visuel. Il fallait bien un graphic pour mettre en couleurs cette intrigue pleine de panache. Et il faut bien le dire Anne-Perrine Couët a parfaitement su capter l'essence de cette histoire pour la retranscrire à merveille à coup d'illustrations de qualité. Le texte et les images s'ajustent parfaitement pour donner du relief à l'action et du rythme à la lecture. 

Pour conclure :

Intégrer Les sœurs Brontë contre la Momie dans La Bibliothèque dessinée, c'est le gage d'une lecture extrêmement divertissante. Alors que le spectacle commence...

Fantasy à la Carte

Informations

Nelly Chadour
Les sœurs Brontë contre la Momie
Collection La Bibliothèque Dessinée
9782361839420
161 pages
Editions Les Moutons électriques 

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16/09/2024

Rozenn Illiano, D'Hiver et d'Ombres, OniroProds

Rozenn Illiano, D'Hiver et d'Ombres, éditions OniroProds 

Avec l'automne qui revient, c'est également le retour du "Mois de" chez Book en Stock. Le principe est simple, il s'agit d'une interview partagée organisée par Phooka et Dupinette sur leur blog après qu'elles aient préalablement choisi le mois et l'auteur à mettre en valeur. 

Or pour cette nouvelle édition, elles ont décidé de donner la parole à la talentueuse Rozenn Illiano

Lu dans le cadre d'un partenariat avec Book en Stock, je remercie Rozenn Illiano pour l'envoi de son roman D'Hiver et d'Ombres.

Résumé :

Dans la Cité des Bâtisseurs vit un grand inventeur prénommé Filius. Il a un secret qu'il cache à tous sous peine d'être arrêté, voire pire. Il a le don de visiter les autres mondes en rêve. Or, depuis quelque temps, il s'est attelé à l'invention d'une machine capable de le téléporter pour de vrai dans ces royaumes parallèles. Aidé par une confrère, il espérait garder pour lui ses petites expériences, seulement il va être dénoncé par un proche un peu trop ambitieux et il va devoir s'échapper pour espérer rester en vie et libre. Mais où ces destinations inconnues vont-ils l'amener ? Que trouvera-t-il au bout du chemin ? Un refuge sûr ou d'autres dangers car peut-on réellement fuir longtemps  son passé sans être rattrapé ?

Mon avis :

D'Hiver et d'Ombres est une fantasy crépusculaire qui emprunte autant au merveilleux, au steampunk qu'au postapocalyptique. En effet, Rozenn Illiano joue sur un multivers dans lequel ses personnages vont évoluer. Ils traversent de nombreux univers. Certains sont accueillants, d'autres sont hostiles ou en voie de disparition. Ils se servent des onirolabes inventés par  Filius pour arrêver dans ces mondes qu'ils ne pouvaient rejoindre qu'en rêve jusque-là. 

Ainsi, l'autrice a instillé de la technologie dans sa fantasy, ce qui lui donne une saveur toute particulière. D'autant qu'elle y a ajouté des bracelets de perles d'irev qui servent de traducteurs et permettent de communiquer avec les natifs des autres mondes. 

Néanmoins, ce don de rêver est très mal vu, aussi ceux qui en ont la capacité le taisent sous peine d'être emprisonné ou tué. C'est la raison pour laquelle Filius a fabriqué l'onirolabe afin d'échapper à un sort funeste tout en cherchant à se rapprocher des gens comme lui et ainsi créer la Guilde des Voyageurs afin d'explorer ces univers parallèles. 

Seulement, ils vont vite découvrir qu'une menace pèse sur ces mondes que l'on appelle ici les Ombres, prenant la forme de tempêtes de neige et d'attaques d'oiseaux noirs. C'est donc dans une course contre la montre que ces cinq explorateurs s'engagent afin d'endiguer le phénomène. En effet, il faut préserver le monde-rêve à tout prix en protégeant particulièrement le Prunellier, appelé également l'Epine Noire sinon la destruction sera totale. D'ailleurs, ceux qui vouent un culte à l'Epine Noire se sont déjà attelés à cette mission et cherchent à éliminer tous les éléments considérés comme responsables de cette fin. Ils ont été sensibilisés à cette cause par les Sœurs du Silence qui ont prophétisé cet anéantissement depuis fort longtemps. 

Dans D'Hiver et d'Ombres, Rozenn Illiano donne à sa fantasy un cadre fouillé et original dans lequel s'épanouit une intrigue complexe. 

Le texte est riche car derrière ce récit d'aventure se cachent des thématiques intéressantes tournant autour de l'écologie et la survie. Il y a une vraie réflexion sur l'impact des hommes sur la nature à travers les bouleversements environnementaux dus aux changements climatiques. 

En outre, le livre parle également de tolérance et d'amitié mais aussi de quête de soi pour trouver sa place au sein de la société. 

D'Hiver et d'Ombres est un roman choral porté par de nombreuses voix. On peut citer, par exemple, Filius qui se retrouve propulsé dans cette croisade bien malgré lui au départ. Lui qui n'osait pas tester son invention de peur d'échouer va devenir l'instigateur d'une grande mission salvatrice. Au fil des pages, il va prendre de l'assurance et affermir son caractère. C'est donc un protagoniste qui va beaucoup  évoluer et  finir par peser sur le futur. 

Pour conclure :

Avec D'Hiver et d'Ombres Rozenn Illiano a délaissé le fantastique pour nous plonger dans une fresque de fantasy insolite riche en actions qui vous plonge dans un voyage au cœur des songes.  

Fantasy à la Carte

A lire sur le blog, mon avis sur Le Phare du Corbeau

Informations

Rozenn Illiano
D'Hiver et d'Ombres
9782490040483
492 pages
OniroProds

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13/09/2024

Mu Ming, Le Bracelet de Jade, collection RéciFs, éditions Argyll

Mu Ming, Le Bracelet de Jade, collection RéciFs, éditions Argyll

Mu Ming est une autrice chinoise qui vit aujourd'hui aux Etats-Unis. Traduit pour la première fois en français, son roman Le Bracelet de Jade inaugure la collection RéciFs des éditions Argyll.

Celle-ci a pour but de mettre en lumière des plumes féminines engagées du monde entier.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Argyll, je remercie Xavier et Simon pour l'envoi de ce service de presse. 

Résumé :

1640, règne de la dynastie Ming. Alors qu'elle accompagnait son père à la Foire des lanternes, Chen s'égare un moment et fait l'étrange rencontre d'un commerçant qui lui offre un bracelet de jade. Or, il semblerait que ce bijou dispose de proprétés magiques la propulsant en rêve dans un autre monde. Fascinée par ce qu'elle vit, Chen va s'ouvrir à son père pour comprendre ce phénomène et aussi appréhender le sens de la vie.

Mon avis :

Avec Le Bracelet de Jade, Mu Ming nous plonge dans un conte teinté d'onirisme. Ce livre prend cadre à l'ère de la dynastie Ming et particulièrement sous le règne de Chongzhen qui fut le seizième et dernier empereur de cette dynastie. C'est une époque troublée par les attaques des Mandchous et les soulèvements populaires qui sont toujours plus nombreux. Ceux-ci finiront d'ailleurs par causer la perte de Chongzhen. 

C'est dans ce contexte tendu que l'on fait la connaissance de Qi Youwen, un fonctionnaire impérial qui va démissionner à trois reprises et être rappelé à chaque fois dans ses fonctions. Face à la corruption et à l'immoralité de certains de ses collègues provoquant bien des malheurs au sein du peuple, cet administrateur intègre renonce à sa carrière afin de se consacrer à sa famille et à son jardin. 

En sus de cette géopolitique critique qui alourdit l'ambiance de ce récit, Mu Ming a ajouté un soupçon de magie par l'intermédiaire du bracelet de jade que la fille de Qi, Chen a reçu des mains d'un inconnu. Le choix du bijou n'est pas anodin ici puisque celui-ci est considéré en Chine comme étant un talisman de protection et de chance. On attribue d'ailleurs à la jade la vertu de repousser le mal et d'attirer la fortune. On ne s'étonne donc pas que ce soit cet objet qui fasse le lien avec le monde ésotérique. Ici, il est intimement lié au domaine des rêves puisque le porteur dudit bracelet rejoint dans son sommeil les lieux sculptés sur toute sa surface. En cela, il exerce une grande fascination sur le duo de personnages de cette histoire qui cherche à comprendre la technique et à reproduire ce phénomène grandeur nature à l'échelle d'un jardin. 

Bien qu'éthéré, le merveilleux prend racine dans nos cœurs d'autant plus facilement qu'il est porté par une plume d'une grande poésie. Le style de Mu Ming est tout simplement envoûtant et arrive sans mal à nous faire perdre pied. 

Avec Le Bracelet de Jade, l'autrice nous offre une balade fabuleuse dans une Chine légendaire tout en rites et en traditions. 

Dans sa novella, Mu Ming revisite habilement ce passé historique tout en y glissant une critique politique. En effet, elle souligne les manquements de certains élus, à travers leur corruption et leurs faiblesses. Il en ressort un système défaillant et injuste qui a, de facto, des conséquences néfastes sur la population. Par le truchement de son personnage principal masculin, on perçoit le mal être quant à ses dysfonctionnements. En outre, Mu Ming fait souvent référence dans sa novella au poème, La Source aux fleurs de pêcher. C'est une histoire qui a traversé les âges marquant le monde asiatique d'un souffle de liberté. Ainsi, ce récit se révèle être l'utopie d'une société affranchie de toute législation et de contrôle. Derrière la poésie de ses mots et la beauté des lieux décrits, la plume de Mu Ming se veut aussi très engagée face à la tyrannie. C'est une histoire touchante qui lie un père et sa fille. Elle est remplie de nostalgie et de tendresse ainsi que d'une pointe de désenchantement. 

Dans Le Bracelet de Jade, Mu Ming s'appuie sur deux narrateurs. Qi Youwen est à la fois un père aimant et un fonctionnaire dévoué, obstiné et consciencieux, il va tenter à plusieurs reprises de changer les choses de l'intérieur sans réellement y parvenir. Un échec qui risque bien de lui coûter cher. Sa fille Chen découvre le monde dans le sillage de son père et va faire l'amère expérience  du manque.

Pour conclure :

En publiant Le Bracelet de Jade, les éditions Argyll relèvent le défi de confronter les lecteurices à de la fantasy asiatique. Encore trop peu de textes d'imaginaire venus d'ailleurs sont traduits en français, alors voir débarquer en cette rentrée une nouvelle collection dédiée aux plumes féminines du monde entier, c'est tout simplement prodigieux. Alors rendez-vous à la prochaine novella. 

Fantasy à la Carte

A lire sur la blogosphère, les avis de : Le nocher des livres et Yuyine

Informations

Mu Ming
Le Bracelet de Jade
Collection RéciFs
9782494665347
110 pages
Editions Argyll

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10/09/2024

David Gemmell, L'Enfant Maudit, T.1, Le Lion de Macédoine, éditions FolioSF

David Gemmell, L'Enfant Maudit
T.1, Le Lion de Macédoine
éditions FolioSF 

Dans le cadre de mon focus consacré à trois grands noms de fantasy anglophone, j'ai choisi de mettre cette fois-ci en lumière la plume de David Gemmell qui s'est très vite classée parmi les auteurs classiques du genre dès la sortie de son roman, Légende en 1984.

Mais aujourd'hui, on va plutôt parler d'une autre de ses sagas que j'avais très envie de lire car l'intrigue s'insère à l'Antiquité, au IVe siècle avant J-C. Or, à mon grand regret, il n'y a pas tant de fantasy se déroulant à cette période, alors c'est clairement un plus.

Ce roman est lu dans le cadre d'un partenariat avec la librairie Dolpo, je les remercie de leur confiance. 

Résumé :

Parménion est métisse. Son père est spartiate, sa mère est macédonienne. Une origine qui lui vaut d'être harcelé par la jeunesse spartiate aisée. Or, les brimades de plus en plus violentes vont lui forger un caractère bien trempé. Cela va servir les intérêts de l'oracle Tamis qui voit en lui le futur Lion de Macédoine, seule force capable de lutter contre l'Esprit du Chaos, annonçant le retour du Dieu Noir. Mais trouvera-t-il autre chose que la mort et la désolation sur son chemin ?

Mon avis :

Le Lion de Macédoine prend cadre à l'Antiquité, après la guerre du Péloponnèse qui opposa essentiellement Athènes à Sparte. Un conflit qui se termine par la victoire de Sparte et l'effondrement de l'empire athénien. Cependant la domination spartiate sur le monde grec est de courte durée. L'auteur s'appuie ici sur les rivalités des plus puissantes cités-Etats : Athènes, Thèbes, Corinthe et Sparte, ainsi que sur l'essor de la Macédoine pour servir de cadre à son intrigue.

Rejeté par Sparte, Parménion rejoint entre ces lignes Thèbes pour se mettre à son service en faisant jouer son statut de strategos et ainsi prendre sa revanche sur les Spartiates. Le récit est clairement guerrier et même très tourné sur la stratégie militaire. La religion joue également un rôle important dans ce texte. Elle s'exprime par la pratique de rites ancestraux qui s'insèrent dans une relation d'échange avec le monde divin par l'intermédiaire d'offrandes ou de sacrifices. Aussi, la divination à travers l'oracle s'avère être un élément majeur de communication avec le divin. Or, ici c'est la porte d'entrée choisie par David Gemmell pour déposer une touche de merveilleux sur son univers. Dans ce roman, on retrouve un ingrédient classique en littérature fantasy : la prophétie. Celle-ci est d'ailleurs le moteur de la quête qui prend progressivement place au fil des pages. Parménion est donc désigné comme étant l'élu par l'oracle Tamis qui voit en lui le seul remède à l'avènement du Dieu Noir incarnant le mal absolu. Pour cela, elle manipule autant que faire se peut sa destinée, n'hésitant pas à alourdir son fardeau, en multipliant ses épreuves. En outre, certains disposent de dons à l'image de Dérae qui va servir les desseins de Tamis car elle voit en elle sa successeuse toute désignée. Clairement, c'est une magie intimement liée à la vie et à la mort. 

Le fil directeur de L'Enfant Maudit est la vengeance. C'est une thématique qui plaît beaucoup à David Gemmell car on la retrouve dans ses autres sagas. En effet, il choisit toujours de mettre en lumière des héros sombres, nuancés et souvent en quête de rédemption. Dans ce premier volet, Parménion est simplement aveuglé par sa vengeance sans réfléchir à la portée de ses actes. En outre, il est également question de harcèlement et de violence en réunion. Le texte est émotionnellement dur. D'autant que David Gemmell s'appesantit pas mal sur les conséquences morales de ce déchaînement de violence. Aussi, il nous brosse le portrait d'un héros qui s'est endurci et a fermé son cœur à la bonté pour laisser la place à un être implacable et glacial. Parménion n'est pas un personnage lisse. Il n'incarne ni le bien ni le mal dans ce premier volet, juste un jeune homme qui veut faire rendre gorge à ses tourmenteurs. Il n'est donc pas un mercenaire mais un soldat qui travaille à la chute de la cité qui l'a trahi. 

L'Enfant Maudit est au demeurant un récit très classique dans sa reprise des codes habituels : la lutte entre le bien et le mal, la quête et la prophétie. Néanmoins, l'auteur table sur un héros sombre qui est rempli de colère, ce qui donne à cette aventure une note d'amertume. 

Parménion est un personnage à la fois touchant par sa solitude et inquiétant par sa froideur. Il nous entraîne dans une expédition à la finalité incertaine où ses chances de survie sont minimes. 

En somme avec L'Enfant Maudit, David Gemmell prend le temps de poser le décor pour rendre son univers plus immersif. Un premier roman d'exposition qui nous immerge habilement dans la Grèce Antique à travers sa géopolitique et à ses traditions. 

Pour conclure :

Maintenant que l'intrigue est initiée, il n'y a plus qu'à lire la suite pour rentrer dans le vif du sujet et toucher pleinement à l'enjeu de ce livre.

Fantasy à la Carte

Informations

David Gemmell

L'Enfant Maudit
T.1
Le Lion de Macédoine
9782070421220
404 pages
Editions FolioSF

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03/09/2024

Jeanne Mariem Corrèze, Nous serons l'incendie, éditions Les Moutons électriques

Jeanne Mariem Corrèze, Nous serons l'incendie
éditions Les Moutons électriques 

Après le succès du Chant des Cavalières et un coup de cœur récent pour moi, Jeanne Mariem Corrèze a repris la plume pour nous proposer une nouvelle histoire s'insérant dans son merveilleux univers.

Pour fêter cette sortie très attendue, les éditions Les Moutons électriques ont sorti le grand jeu en donnant un superbe écrin à ce nouveau texte. Ainsi, Nous seront l'incendie vient de paraître au format d'un relié arborant un très beau jaspage sur toute sa tranche, ainsi que des illustrations en pages de garde et à l'intérieur de l'ouvrage, signées Melchior Ascaride et Amandine Labarre

Lu dans le cadre d'un partenariat avec Les Moutons électriques, je remercie Maxime pour l'envoi de ce service de presse exceptionnel. 

Résumé :

Voilà 4 ans que le royaume de Sarda est occupé par les Contés-Unis des Sabès après une guerre éclair de 30 jours. Beaucoup y ont trouvé la mort, certains se sont résignés à leur sort tandis que d'autres voient, au contraire, leurs convictions se renforcer. C'est dans ce contexte houleux que la résistance menée par une poignée de cavalières survivantes s'organise. Mais ont-elles une réelle chance de sauver leur royaume, également menacé par un terrible incendie ? 

Mon avis :

Dans Nous serons l'incendie, Jeanne Mariem Corrèze réinvestit son fabuleux univers initié dans Le Chant des Cavalières et peuplé de cavalières, de créatures fantasmagoriques et d'un mage de feu. Mais, cette fois-ci celui-ci est mis à feu et à sang, meurtri par la guerre et dévoré par les flammes. En effet, la guerre menée par Eliane de Nordeau a laissé les citadelles exsangues, tuant bon nombre de guerrières et d'habitants de Sarda. Or, la poignée de survivants organise la résistance pour tenter de libérer les territoires occupés par les Sabès. Les affrontements se multiplient et sont sanglants. La puissance de feu des Contés-Unis des Sabès est telle que la rébellion des cavalières paraît dérisoire. Le seul atout qu'elles semblent encore avoir dans leurs manches est le dernier mage de feu, Myrddin même si celui-ci est sorti affaibli du conflit. Blessé et hanté par les fantômes de son passé, il est difficile de voir en lui un allié fiable. D'autant que sa magie est déclinante et même défaillante condamnant de facto le royaume de Sarda à sombrer dans les ténèbres. Surtout que celui-ci est également en proie un gigantesque incendie nourri par la sécheresse qui consume cette terre depuis bien trop longtemps. Or, rien ne semble pouvoir arrêter ce feu à caractère surnaturel si ce n'est peut-être la magie ? 

Jeanne Mariem Corrèze nous plonge donc dans un monde divisé et en ruines. L'ambiance choisie pour cette nouvelle intrigue est crépusculaire et s'accorde parfaitement aux thématiques mises en exergue. 

On y parle avant tout de la guerre et de ses conséquences sur les peuples envahis. Entre ces lignes, la terre de Sarda est occupée obligeant la population locale à se déplacer pour échapper à un sort funeste ou à l'esclavage. En effet, beaucoup de femmes sont enlevées pour rejoindre les mines où elles trouvent bien souvent la mort. Les ressources sont pillées pour enrichir les Contés-Unis des Sabès. La terre est littéralement vidée de sa substance et beaucoup d'enfants sont orphelins.  Le récit est dramatique et donne le vertige bousculant nos émotions car il est impossible de rester indifférent à tant de détresse. 

Pour autant ce texte est loin d'être sombre, au contraire, il est incandescent car porté par l'étincelle de rébellion de certains des protagonistes. En effet, Nous serons l'incendie n'est pas un récit de résilience mais bien de résistance. L'autrice nous attache aux pas de personnages courageux emplis de certains idéaux. Ivres de liberté, ils enchainent les actions pour affaiblir l'ennemi et se libérer de leur joug. Le roman n'en est que plus palpitant, rempli de rebondissements et de trahisons car les missions de sape du pouvoir des Sabès menées par certaines cavalières ne sont pas toujours couronnées de succès. 

En outre, ce titre est aussi une réflexion politique quant au meilleur modèle à adopter pour construire une société plus juste et davantage représentative. Ainsi, en dépit du conflit qui fait rage, certaines n'ont pas renoncé à instaurer une république en remplacement de la royauté pour une vraie démocratie. 

Enfin, Jeanne Mariem Corrèze a donné à son texte une portée écologique à travers cette terre malmenée par les hommes, rendue stérile par sa surexploitation devenant ainsi le parfait berceau nourricier pour un incendie inarrêtable. A travers la disparition des forêts et surtout de l'humidité qu'elle dégage, c'est la barrière naturelle du feu qui manque ainsi à l'appel laissant le champ libre à l'aridité qui lui est propice

Pour conclure :

Nous serons l'incendie est un roman choral qui nous transporte dans une aventure pleine de fureur et d'espérance. Jeanne Mariem Corrèze a eu à cœur nous proposer de la diversité dans ses protagonistes qui sont aussi bien racisés, non genrés qu'homosexuels. Elle signe une fantasy épique et inclusive qui s'inscrit dans un questionnement très actuel. 

Finalement, le fond s'accorde parfaitement à la forme puisque le texte est aussi bon que l'écrin est beau. A ne pas manquer pour cette rentrée 2024 !

Fantasy à la Carte

A lire sur le blog, mon avis sur Le Chant des Cavalières.

Informations

Jeanne Mariem Corrèze
Nous serons l'incendie
9782361839406
432 pages
Editions Les Moutons électriques

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