Grand auteur de science-fiction, John Brunner est connu pour ses univers dystopiques et cyberpunk. Ses œuvres les plus marquantes sont Tous à Zanzibar (1978) et L'Orbite déchiquetée (1969). Chacun de ses textes a été l'occasion de mettre en lumière des sujets toujours d'actualité comme l'emprise des médias avec la mise en place de la censure, la puissance des multinationales, la guerre, l'écologie ou encore le péril technologique.
Après la réédition de certaines de ses œuvres comme les intégrales Les Planétaires et La Tétralogie Noire ou encore L'Orbite déchiquetée, les éditions Mnémos récidivent en ce début d'année 2024 en nous proposant, cette fois-ci, avec Le Voyageur en Noir son unique récit de fantasy.
Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Mnémos, je remercie Estelle Hamelin pour l'envoi de ce service de presse.
On y suit les pérégrinations d'un certain voyageur en noir toujours muni d'un bâton lumineux. En effet, celui-ci est chargé par une entité anonyme de rétablir l'ordre en éradiquant la magie car cette dernière est source ici de chaos et constitue à ce titre un danger. La tâche semble de longue haleine, alors arrivera-t-il à mener sa quête jusqu'au bout ?
Dans Le Voyageur en Noir, John Brunner prend la fantasy à contre-pied. En effet, il ne s'agit pas ici d'un roman d'apprentissage dans lequel le jeune héros doit apprendre à maîtriser ses pouvoirs afin de libérer son monde d'un quelconque oppresseur. Pas plus que l'on assiste entre ces lignes à une lutte entre magie blanche et magie noire.
En fait, dès les premières lignes du livre, on sent l'auteur de science-fiction derrière ce récit de fantasy car il a mis beaucoup de rationalité dans le traitement de la magie. Celle-ci étant surtout tournée vers un usage personnel dans l'univers imaginé par John Brunner, on comprend donc d'autant mieux sa vision pessimiste car elle va à l'encontre de l'intérêt collectif. On en prend, d'ailleurs, la mesure dans la deuxième partie intitulée, Abattre la porte des enfers où l'on goûte à la destinée tourmentée de la cité d'Ys et de ses habitants qui voient s'abattre sur eux bien des calamités. Ceux-ci ont péché par excès en invoquant des puissances néfastes pour sauver la ville de sa déchéance plutôt que de se retrousser les manches et en payent donc le prix.
Mais plus que d'implorer magiciens ou élémentaux, la population réclame aussi, à cor et à cri, l'intervention d'un dieu qui tel un messie sera à même de les guider et de leur trouver des solutions à leurs problèmes. Ainsi, dans la première partie, La marque du chaos, le voyageur en noir exauce non sans humour leur vœu puisqu'il extrait Bernard Brown de son époque pour lui faire endosser ce rôle divin. Une manière de prouver au peuple que seule la réflexion et l'astuce peuvent régler la situation.
En outre, le voyageur en noir prend ici les traits du génie qui intervient pour exaucer les vœux. Seulement les gens ignorent à qui ils ont affaire et professent des désirs à tort et à travers sans l'avoir mesuré au préalable. Or, ceux-ci prennent des tournures inattendues et bien souvent désagréables. En cela, l'auteur souligne l'inconséquence humaine qui cherche toujours un coupable dans autrui et n'assume généralement pas ses actes. Figure du magicien ou jedi, le voyageur en noir endosse au fil des pages bien des rôles, du simple observateur à l'acteur. Le regard qu'il pose sur ce monde en perdition est désabusé car nul ne semble jamais apprendre de ses erreurs. C'est donc avec beaucoup d'ironie et de lassitude qu'il porte sa mission d'ordonner le monde.
Comme dans beaucoup de ses textes, on retrouve certains de ses thèmes de prédilection, notamment son rapport à l'écologie et à la problématique de la pollution comme dans Ces choses qui sont des dieux où toutes sortes d'immondices, des cadavres d'animaux ou d'humains aux déchets végétaux sont jetés dans Métamorphia rendant la consommation de l'eau impropre tout en enrichissant une sorcière malhonnête.
Ainsi, dans Le Voyageur en Noir, la magie personnifie la société archaïque que le personnage principal cherche à remplacer par un monde plus progressiste fondé sur la raison et la science.
Divisé en cinq parties, la rédaction de cette œuvre ne s'est donc pas faite d'une traite. Ainsi, en se ménageant de longues pauses entre chacune d'elles, John Brunner a choisi de laisser mûrir sa réflexion en permettant à sa fantasy de se nourrir de la science-fiction qu'il n'a pas cessé d'écrire.
En rééditant ce texte, les éditions Mnémos nous donnent accès à un grand nom de la science-fiction qui s'est essayé à la fantasy et évitent ainsi que ce patrimoine culturel ne s'éteigne à jamais. Alors, on les remercie !
Fantasy à la Carte
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