09/06/2015

Mathieu Gaborit, inspirateur d’une fantasy à la française

Le romancier de science-fiction et de fantasy, Mathieu Gaborit est né en 1972. Il a été très tôt baigné par l’ambiance des jeux de rôle. Un élément d’ailleurs non négligeable pour un écrivain de fantasy. Il commence ainsi par collaborer au magazine Casus Belli, ce qui a influencé son orientation vers l’écriture.

Ensuite, il participe à l’élaboration de quelques scénarios de jeux de rôles qui l’amènent à la rédaction de son premier roman Souffre-Jour, publié aux éditions Mnémos en 1995. Les deux autres tomes qui complètent cette trilogie des Chroniques des Crépusculaires sont Les Danseurs de Lorgol (1996) et Agone (1996). Ce cycle relate l’initiation d’Agone de Rochronde, un jeune héritier issu d’une famille noble qui, à la mort de son père est envoyé au collège du Souffre-Jour pour y apprendre à maîtriser la magie. Mais là-bas, il sera manipulé pour provoquer la destruction de l’établissement. En fait, Souffre-Jour est le premier livre de fantasy, écrit par un Français qui rencontre le succès.
   
Toujours en fantasy, il a également écrit le dytique Abyme (1996-1997), puis le cycle L’Ame des Roisnains (1997-1998) sous le pseudonyme de William Hawk, ensuite vient la trilogie : Les chroniques des Féals (2000-2002), Les Arcanes féériquesCarnets de voyage de Sinane l’enchanteur (2005), FaeryCity (2007), La Chronique du Soupir (2011) et enfin le recueil de nouvelles  D’une rive à l’autre (2012).



Côté steampunk, il est l’auteur du cycle Bohème (1997), et de Confessions d’un automate mangeur d’opium (1999), pour lequel il a reçu le prix Bob-Morane-Imaginaire 2000 dans la catégorie «Meilleur roman francophone».
D’autre part, Mathieu Gaborit a pas mal contribué à l’écriture de jeux de rôle comme Ecryme, co-écrit en 1994 avec Guillaume Vincent. Agone réalisé par Multisim en 1999 et qui s’inspire largement des Chroniques des Crépusculaires. Abyme, adapté du roman éponyme qui vient compléter Agone, paru toujours chez Multisim en 2000. Enfin Les Chroniques des Féals adaptées de la trilogie du même nom et éditée chez Sans-Détour en 2012.

Egalement, il a travaillé sur la réalisation de plusieurs jeux vidéo comme Outcast et Outcast II d’Infogrames.


Avec une bibliographie aussi variée, Mathieu Gaborit explore les univers imaginaires les plus étonnants. Face au succès fracassant de son premier roman de fantasy, il contribue à impulser un mouvement de création d’une fantasy à la Française. A ce titre, il devient incontournable pour le genre. Surtout que cette première génération d’écrivains français, dont Mathieu Gaborit fait partie a apporté un nouveau souffle à cette littérature avec une grande part d’originalité.

Parmi ses œuvres de fantasy, il en existe une qui demeure encore bien méconnue à ce jour et qui
mérite que l’on parle  d’elle. En effet, de par sa singularité Les Chroniques des Féals constituent une belle trilogie de high fantasy. Il y est question du destin d’un orphelin du nom de Januel, qui après la mort de sa mère est confié à la Guilde des phéniciers. Or, ce jeune orphelin voit sa vie paisible voler en éclat le jour de ses dix-sept ans lorsqu’il est choisi pour faire renaître le Phénix impérial. En effet, pensant que cette tâche allait revenir à son meilleur ami Sildinn, il refuse dans un premier temps d’accomplir cette renaissance. Mais contraint, Januel part en compagnie de son maître, Farel dont il est séparé jusqu’à sa présentation à l’empereur et à la cérémonie de réveil du Phénix. Hélas, la renaissance se passe mal à cause du Fiel, qui s’est emparé de l’oiseau de feu. Or, pour se sortir de cette situation, il tente l’embrasement du Phénix, pour le bloquer à l’intérieur de son cœur. En agissant ainsi, il espère détruire le Fiel. Mais, sa tentative ne change rien et l’empereur meurt, tué par celui-ci. Grâce à la mercenaire Scende, une Draguéenne chargée de le protéger, il arrive à s’enfuir. Tous les deux se réfugient dans la forêt, et sont aidés par les Montagnards, qui les conduisent vers la sortie. Avant de retourner à la Guilde-Mère, Scende souhaite rejoindre Alguediane pour obtenir l’aide d’un ancien mercenaire et ami, Tshan l’Archer noir. Arrivés dans le tripot tenu par ce dernier, des soldats impériaux les attendent. Après en avoir tué quelques-uns, Scende, Januel et Tshan s’enfuient par les toits. Puis, ils font un détour par le couvent des Almandines, afin de récupérer des jelhenns, une sorte de masques magiques ressemblant à une carapace de tortue qui, placé sur le visage transforme l’aspect de celui qui le porte. Afin que Januel pénètre dans la Tour de la Guilde-Mère, Scende fait une diversion pour détourner l’attention des Griffons. Januel retrouve ainsi Farel qui, après avoir été tué, est devenu une Onde. C’est là, que le jeune homme apprend qu’il est le fils d’une Onde. Il est l’élu, conçu pour vaincre la Charogne. Or, pour débarrasser le corps de Januel de l’emprise du Fiel, les maîtres pratiquent sur ce dernier un rituel, leur permettant de s’introduire dans son corps et son esprit. Cependant, la cérémonie est interrompue par l’arrivée d’une Sombre Sente, de laquelle s’échappent des dizaines de Charognards, dont Sildinn, transformé aussi en Charognard. A la suite d’un combat acharné entre le jeune homme et son ancien ami, le Phénix des origines embrase Januel au moment le plus critique et pulvérise Sildinn, après que celui-ci lui eut annoncé que d’autres Charognards envahiront le M’Onde pour le détruire…

Pour ce cycle, Mathieu Gaborit élabore un univers imaginaire autour duquel s’articule son récit. D’ailleurs, est joint dans les premières pages du livre une carte de ce monde. Ainsi avant de se plonger dans l’histoire, le lecteur apprend que cet univers se nomme le M’Onde et se divise en neuf pays, s’étendant de la Caladre au nord aux Provinces-Licornes au sud, en passant par les Rivages Aspics, situés par-delà les mers d’Ébène et d’Ivoire.

C’est en suivant les aventures de Januel, que le lecteur découvre, peu à peu, ce monde fictif. Le roman débute dans le village de Sédénie, niché au cœur de l’Empire de Grif’, dans le massif montagneux de la Chaîne d’Émeraude, et plus précisément au sein de la Tour Écarlate. Cette Tour correspond à l’une des résidences de la Guilde des phéniciers, dont la Guilde-mère siège à Aldarenche, capitale de l’Empire de Grif’. En fait, de par la sobriété des lieux et le silence y régnant, la Tour Écarlate de Sédénie représente un lieu œuvrant pour le Bien, et où le Mal n’a pas de prise ; impression renforcée par le caractère sacrée de la mission d’éveil des oiseaux de feu, confiée aux phéniciers. En effet, le Phénix appartient à la race des Féals chargée de protéger et de défendre le M’Onde contre toute attaque.

Cependant Januel, qui se voit confier secrètement la mission de réveiller le Phénix de l’empereur, doit quitter ce lieu bienfaisant pour rejoindre la cité impériale d’Aldarenche, située à une journée de marche du bourg de Sédénie. Or, pour atteindre la capitale de l’empire, Januel doit franchir les hautes cimes de Gondorce et c’est en gravissant le col, que le jeune homme associe dans son esprit ces lieux à la mort. Avec un relief déchiqueté, les montagnes séparant Sédénie d’Aldarenche sont peu peuplées, hormis quelques villages de montagnards et apparaissent arides à quiconque veut les traverser. Il est donc facile d’y trouver la mort. Quant à la cité d’Aldarenche, elle est dominée par la citadelle impériale faite d’éphérite, une roche caladrienne aux reflets de saphir. Au vu de la renaissance du Phénix impérial qui tourne mal, la cité devient le théâtre d’une lutte entre les défenseurs de Januel et la garde impériale.

Januel et Scende doivent parcourir les terres de l’Empire de Grif’, jusqu’à rejoindre Alguediane. Ces terres que traversent  les deux jeunes gens sont parsemées de forêts giboyeuses, de rivières et de plaines cultivées par les paysans grifféens et gouvernées par de puissants chevaliers. La vie y est paisible et le Bien y règne encore. En revanche, en pénétrant les faubourgs d’Alguediane, Januel et Scende découvrent les premiers signes de la présence du Mal. Ici, celui-ci se manifeste par une destruction totale, ne laissant que cadavres d’animaux et vers blancs sur son passage. Marqués par la Charogne, les faubourgs d’Alguediane sont à jamais souillés par l’empreinte du Mal et de la mort, et annoncent les ravages à venir par le royaume des morts.

Doté de la mission d’éveiller les Phénix logeant dans le fleuve des Cendres, situé en Charogne, Januel doit, d’abord, se rendre en Caladre, afin que les moines blancs le forment. Or, pour y arriver au plus vite, il faut à Januel et à ses compagnons, voyager sur une Tarasque. C’est sur Ancyle, la septième cité taraséenne, une véritable cité flottante, qu’ils font le voyage. Comme son nom l’indique cette cité a la forme du Féal qu’elle représente. Alors que toutes les provinces du M’Onde sont envahies peu à peu par les Sombres Sentes, seule la Caladre demeure inviolée jusque-là, fruit de la puissance de l’Onde expliquant l’avortement de ces Sombres Sentes aux frontières. Ce royaume constitue véritablement un bastion du Bien. Tout du moins jusqu’à ce qu’un assassin envoyé par la Charogne réussi à y pénétrer pour tuer tous les moines blancs.
Aucune province du M’Onde n’est donc épargnée par les maléfices de la Charogne, qui s’immiscent partout et sèment morts, destructions et malheurs sur son passage. Rien ne semble résister à ces êtres maléfiques, pas mêmes les différents peuples, qui tentent de se soulever contre ces hordes démoniaques.

Enfin Januel finit par se rendre en Charogne. L’atmosphère des lieux pourrit l’espace et supprime toute étincelle de vie. Occupant un endroit autrefois plein de vie et d’amour, avec le passage des Charognards tout tombe en décrépitude. Mais c’est la citadelle où réside le roi de la Charogne qui forme un haut-lieu du Mal. Et c’est là que va se dérouler le plus grand combat opposant le Bien et le Mal. Il est à noter que l’autre nom de la Charogne est le royaume des morts, un surnom qui en dit long sur la terrible menace qui pèse sur le M’Onde.

Mathieu Gaborit a élaboré un univers, qui comme celui de J.R.R. Tolkien oppose des espaces bénéfiques à des espaces maléfiques, tels La Comté et le Mordor dans Le Seigneur des Anneaux et, l’Empire de Grif’ et la Charogne dans Les Chroniques des Féals. Et entre ces deux extrêmes, ces deux écrivains montrent la dégradation des territoires, peu à peu, marqués par l’empreinte du Mal, corrompant, détruisant et pervertissant tout ce qui entre en contact avec les représentants maléfiques.

Comme en témoigne la corruption progressive de l’univers créé par l’auteur, la lutte du Bien et du Mal constitue la trame du récit des Chroniques des Féals. Tout au long de son aventure, Januel va devoir lutter pour mener à bien sa quête de ranimer les Phénix situés dans le royaume des morts, seules armes capables de vaincre le roi de la Charogne et ses armées. Pour cela lui et ses compagnons vont devoir affronter les mille seigneurs charognards que gouverne ce souverain démoniaque. Ces personnifications de la mort agissent dans l’intérêt du royaume des morts, afin que celui-ci puisse étendre son ombre sur le M’Onde. Pas moins de quatre assassins répondant au nom de Gormi dit le Ferreux, Jaëlle, Aphrane et le plus dangereux d’entre tous Symentz, le Basilik sont envoyés à Januel pour faire obstacle à sa mission.

D’autre part, il est à souligner que l’auteur s’est évertué à associer à chaque espace, un peuple propre. À ces peuples, il confère des caractéristiques physiques, sociales, religieuses ou linguistiques variées afin de donner une crédibilité à son univers. Ainsi, il fait correspondre à chaque province du M’Onde une créature mythologique, qu’il qualifie de « Féals ». On dénombre donc neuf créatures fabuleuses que l’écrivain emprunte à la mythologie et intègre à son univers sous la forme de Féals, chargés de protéger chaque royaume. Le griffon est le gardien de l’Empire de Grif’ dont Januel est originaire, le dragon est celui du Royaume Draguéen, la licorne pour les Provinces Licornes, la tarasque pour la Tarasque, La chimère pour la Chimérie, l’aspic pour les Rivages Aspics, le basilik pour la Basilice, le pégase pour les Contrées Pégasines  et le caladre pour la Caladre. Quant au phénix, il a la particularité de s’être lié à un ordre ascétique appelé les Phéniciers. Il est à souligner que de par la proximité de ces créatures merveilleuses, certains habitants subissent des changements morphologiques.


Au-delà du merveilleux que représente chaque créature mythologique et des pouvoirs magiques qu’elles dégagent, la magie de cette trilogie réside aussi dans certaines lames que possèdent les membres de cette aventure. Néanmoins, c’est l’épée confiée à Januel qui demeure l’arme la plus précieuse du roman. Ce n’est pas une lame ordinaire, puisqu’elle puise son pouvoir des veines qui courent depuis son pommeau jusqu’à la pointe, ce qui lui confère une redoutable puissance. En fait, il s’agit de l’une des cinq épées du Saphir, dont la légende se confond avec l’histoire du M’Onde. Cette légende évoque « cinq épées forgées par les premiers hommes, cinq épées trempées dans les ruisseaux originels et habités par un Esprit frappeur ». Cet Esprit frappeur désigne une entité mystérieuse, accouchée à chaque bataille des Origines, qui résume le fracas, la violence et la force des affrontements titanesques des Féals. Or, l’Esprit frappeur et le Phénix des Origines, tapi dans le cœur de Januel vont sceller un pacte apportant, de ce fait, force et puissance au jeune homme. Ainsi, cette épée magique donne le pouvoir nécessaire à Januel d’affronter et peut-être de vaincre ces créatures des ténèbres que le roi de la Charogne lui envoie.


Néanmoins, Mathieu Gaborit insuffle à son cycle quelques particularités comme le choix d’une quête multiple qui ne révèle  tous ses secrets qu’au trois-quarts du roman ménageant ainsi suspense et surprise. De plus, à l’image d’autres écrivains français de fantasy, il choisit de mettre l’accent sur un héros singulier, cachant en réalité deux entités distinctes. En effet, l’auteur préfère privilégier deux héros s’incarnant en un seul corps. Ces deux esprits sont nécessaires pour donner les moyens au Bien de triompher du Mal.  Ainsi dans Les Chroniques des Féals, c’est grâce à la fusion entre la Mère des Ondes et Januel que le M’Onde est sauvé de l’emprise du Néant. Quant au final proposé par l’auteur, il laisse tout simplement sans voix et suscite bien des questions.

Dans ce cycle des Chroniques des Féals, Mathieu Gaborit réunit tous les éléments fondamentaux à la construction d’un récit de high fantasy de grande qualité, tout en conférant au genre une grande part d’originalité. En étant l’un des premiers auteurs à succès de cette littérature en France, il joue donc véritablement un rôle de fer de lance dans le lancement d’une fantasy française. Et comme il le dit lui-même, ce qu’il apprécie « en définitive dans cette littérature, c’est la liberté de créer, de tisser un univers et des intrigues à partir de cet inconscient collectif, mais aussi la liberté du lecteur qui peut, à sa guise, voyager dans le récit sans embarras ». Par conséquent, sa qualité d’inventeur, de créateur d’univers vient, à point nommé, dans un sous-genre, où l’univers imaginaire est une donnée essentielle.

Fantasy à la carte

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